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Le fact-checking est-il mort ? Merci Trump ?

Terme à la mode, la vérification par les faits est usée et abusée par différents médias. En effet, ce n’est pas parce qu’on vérifie les propos d’un homme politique que cela empêche l’utilisation de sources erronées, de propos faux, etc. par le journaliste. Aussi, une des questions récurrentes est : à quand le fact-checking du fact-checking ? Mais en tentant d’y répondre apparaît un autre problème : la défiance envers le journalisme. Or, cette défiance, à tort ou à raison, sape les bases même de la démocratie dont une presse libre et indépendante est un des fondements. [oui... on parle de Donald Trump dans l'article...]

La vérification par les faits : une nouveauté morte née ? 

Le fact-checking est l’action de vérifier les contre-vérités, les propos ambigus, les rumeurs. Il s’articule autour de deux piliers : la vérification factuelle, c’est-à-dire la recherche de sources officielles et/ou faisant autorité (universitaire, centre de recherche reconnu…) sur une problématique particulière ; la présentation de ces faits tangibles et au regard des propos analysés, de manière compréhensible.

Ainsi, le fact-checking n’est pas une mince affaire mais, après tout, ce mot définit bien ce qu’on attend d’un journaliste. La vérification par les faits se veut une analyse froide mais elle est également l’énonciation d’une vérité.

Avec Internet, masse d’informations disponibles en tout lieu, tout temps et par tous, le fact-checking devait être facilité et s’imposer. Et par là même, on pensait que cela allait vacciner les politiques de dire n’importe quoi. Or, c’est loin d’être le cas. En effet, déjà, en 2010/2011, on se demandait si le fact-checking était « franco-compatible ». 

Et les raisons invoquées étaient larges : pas une tradition française mais plutôt anglo-saxonne ; peu de moyens dédiés de la part des journaux, ceux-ci luttant déjà pour leur survie ; informations disponibles 24h/24, 7J/7 (Internet), induisant une inutilité du journaliste…

Plusieurs remarques doivent être apportées. D’abord, sur les journalistes : on parle souvent d’une mode anglo-saxonne du fact-checking, en opposition à la « complaisance » des journalistes français vis-à-vis des politiques. Cet argument revient souvent, à tort ET à raison sans doute. Mais de là à en faire une généralité…

Par ailleurs, le marasme de la profession est-il une raison pour ne pas renforcer les actions de fact-checking ? Je ne pense pas. Au contraire, le fait que les lecteurs désertent les kiosques devraient pousser la profession à s’interroger sur sa manière de fonctionner et donc trouver des méthodes journalistiques innovantes, sur le fond et la forme. Bref, il faut se réinventer. Vaste programme.

Enfin, la question de la surinformation est un peu l’argument tarte à la crème : il y a trop d’information donc le journaliste ne peut pas faire correctement son travail. Qui plus est qu’il est en concurrence, dorénavant, avec Internet, « où on trouve tout ». Le journaliste serait donc victime – pauvre de lui – de son époque.

Une époque formidable ?

On vit dans un monde d’infotainment (information + entertainment), d’information spectacle, où il n’est plus nécessaire – croit-on – de vérifier. Cette affirmation ne résiste pas à la réalité. Il n’y a jamais eu autant besoin de vérificateurs, ou plutôt, de professionnels de l’information – les journalistes – qui fassent « correctement » leur travail (entendre formation et conscience professionnelle).

Ainsi, le terme même de fact-checking est usé et abusé par différents médias. Mais ce n’est pas parce qu’on vérifie les propos d’un homme politique, dans une rubrique fact-checking, que cela empêche l’utilisation – volontaire ou non – de sources erronées, de propos faux, etc. par le journaliste.

En outre, ce nouveau monde, où l’information est pléthorique, n’impose pas seulement de s’interroger sur la véracité de l’information mais également sur sa portée, sa propagation. Ainsi, qui règne sur le fact-checking ? Celui qui met en avant l’image. Or, à ce petit jeu, il faut avouer que les plus habiles sont les médias capables de faire des montages d’une ou deux minutes sur un sujet et de le propager via les réseaux sociaux.

Aussi, le fact-checking met en exergue : notre manière de fonctionner (prédilection d’une forme de storytelling au détriment – relativement – des faits), les travers des hommes politiques (disent des énormités, se font contredire, mais ça passe…), l’évolution du journalisme avec la révolution Internet (moins de papier, moins de texte, plus d’images, d’infographie et du digital), le règne du court-terme au détriment des analyses froides et distanciées… Certains voyaient avec Internet l’avènement d’un foisonnement de contre-expertises en temps réel, lors d’un débat par exemple, mais s’est vite posée la question : qui va cadrer tout ça ? Et elle reste toujours d’actualité.

De fait, avec le fact-checking, on y a vu un terme bien commode, un effet com’. Or, cela n’évacue aucunement le travail nécessaire à tout bon travail journalistique : labourer le terrain, lire des rapports, des expertises et contre-expertises, interroger des sources… Le tout, en un temps très réduit.

L’Amérique avec un temps d’avance (dans la médiocrité) ?

Il existe un vrai paradoxe : à l’heure où tout peut se vérifier car Internet est une mémoire gigantesque, il n’y a jamais eu autant de contre-vérités et de mensonges. Ainsi, Internet n’empêche aucunement les hommes politiques (ou les entreprises…) de raconter leurs histoires. Leur machine médiatique est en fait bien rôdée et agit en vrai rouleau compresseur.

Se pose dès lors la question de l’autorité : une personne affirmant une chose aura plus de portée qu’une analyse froide la situation. Il faut ainsi s’interroger sur la force de conviction de cette personne (un tribun), sur la crédulité de l’audience, son formatage…

L’exemple actuel est celui de Donald Trump, candidat aux primaires du parti républicain aux Etats-Unis. Sa campagne, outrageante à bien des égards, met en évidence une évolution importante dans la perception du journalisme et des journalistes, comme le note Chris Cillizza, reporter au Washington Post. Selon lui, Donald Trump n’est ni plus ni moins en train de faire une campagne « post-fait », c’est-à-dire qu’il est au mieux un exagérateur en série bien dans ses baskets ou, au pire, un cynique qui truque allégrement les faits.

Or, pour son auditoire, Donald Trump ne fait que dire la vérité, dire ce qui est réellement. Il décrit les faits tels qu’ils sont. Selon un récent sondage, 70% des Républicains interrogés le pensent. Pourquoi ? Car ce que dit Trump est remis en cause par les médias, par définition biaisés, de gauche et obsédés par le politiquement correct. Alors que les journalistes travestissent la vérité, Donald Trump ne fait que dire ce qui est, sans filtre. Qui plus est, il s’oppose à « l’establishment » (comprendre, les Démocrates, les médias aux ordres, la bureaucratie washingtonienne…).

Et pourquoi fait-il autant fureur au sein des sympathisants républicains ? Car il parle à leur état d’esprit. Et le fait de dire qu’il ment ne fait que renforcer cet état d’esprit, la conviction profonde que tout est contre Trump… et qu’il faut donc voter pour lui. 

Chris Cillizza le dit très bien : Trump joue à merveille sur ses capacités à disqualifier l’autorité référente (les médias) et à réécrire les règles du jeu : ses propos sont des vérités, qu’il assène, et que même les faits ne peuvent remettre en cause puisqu’ils sont propagés par les médias aux ordres, de gauche, etc. donc décrédibilisés aux yeux d’une grande partie des Républicains.

 

De fait, nous sommes dorénavant dans un monde où le buzz prime, où il faut installer sa petite vérité. Inversement, ce n’est pas le mensonge qui est la hantise de l’homme politique mais l’image incontrôlée. Ceux-ci ont plus peur de leur mauvaise image que du mensonge, voire de dire une grosse bêtise. Et c’est parti pour durer. Le storytelling a définitivement pris le pas sur le fact-checking. Une réalité à prendre en compte, afin de refonder les bases du journalisme.


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3 réactions à cet article    


  • César Castique César Castique 30 mai 2016 16:22

    « ... dont une presse libre et indépendante est un des fondements. »


    Je ne vois pas comment un produit qui se vend moins cher qu’il ne coûte peut être libre et indépendant !

    • Phalanx Phalanx 30 mai 2016 16:55

      Le Fact Checking ne peut pas mourir, il n’a jamais existé. 


      Le discours fort contre le discours vrai c’est le paradoxe de la démocratie, c’est pour ça que Socrates a bu la cigue. 

      Les médias raconte une histoire, Trump en raconte une autre, le ton est différent, les méthodes sont differentes. Sur la forme, l’un n’est pas meilleur que l’autre, Trump est plus efficace, ses adversaires politiques sont complétement largués face à lui.

      Sur le fond, Trump porte quelque chose de beaucoup plus fort et de beaucoup plus positif que les médias. 

      Ceci étant dit, ce garcon a contre lui tout l’establishment (républicains compris), les banques, les médias ..... ses chances d’être élues sont minces, mais néanmois existantes.

      Bonne chance à lui.

      • zygzornifle zygzornifle 31 mai 2016 08:18

        Le Socialisme est mort : Merci Hollande .....

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