Pour ma part, ce battage médiatique me laisse relativement indifférent car je constate peu l’effet qu’a vraiment eu le Web en 2006 pour « changer le monde ». Time traite de mes appréhensions : l’Irak, l’agression israélienne sur le Liban, la guerre au Soudan, la bombe nord-coréenne, celle que veut avoir l’Iran, le réchauffement climatique... Il tente aussi de les contrer par une justification de son choix, en mentionnant Wikipedia, YouTube et MySpace.
« Pour s’être approprié les rênes du pouvoir, pour avoir posé les fondements et déterminé l’encadrement d’une nouvelle démocratie numérique, pour travailler sans être rémunéré et surclasser les professionnels à leur propre jeu, la personnalité de l’année selon Time, c’est You. » On ne serait pas un peu loin du compte ? D’habitude on rend hommage à des accomplissements, et dans ce cas-ci, force est de constater que malgré toute cette belle technologie, les réalisations concrètes, tangibles et probantes relèvent encore des promesses.
En outre, selon le Computer Industry Almanach, il y avait en 2005 1,08 milliard d’utilisateurs d’Internet ; les projections pour 2010 s’établissent à 1,8 milliard. Dans une perspective globale, au mieux, on parlerait de 25 % de la population du globe.
À mon avis, si le Web a eu un effet réel pour changer les choses en 2006, du moins aux États-Unis, c’est à cause des blogs qui ont dominé le discours politique et permis de déloger le Parti républicain. C’est vrai que plus généralement, les blogs ont servi de psychothérapie à des millions de personnes, économisant ainsi des milliards en soins de santé, mais de là à dire que le Web mérite l’hommage annuel de Time pour avoir imprimé un nouveau sentiment de collectivité, j’en doute.
Puis, il y a cette ambiguïté de la langue anglaise, à propos du you qui signifie autant, selon le contexte, vous que toi. Cette particularité linguistique n’est pas unique à l’anglais. Par exemple, en créole, nou signifie aussi bien nous que vous. On a intérêt à bien saisir le contexte, croyez-moi.
Donc, Time en utilisant You voulait-il dire vous ou toi ?
La question mérite d’être posée, car elle a une incidence sur la véritable signification de l’hommage que tente de rendre Time au Web. Le magazine vous rend-il hommage collectivement pour vos activités en ligne, ou te rend-il hommage à toi qui y évolues parfois en autarcie ?
Dans la version imprimée, la couverture du magazine est constituée d’une surface métallique réfléchissante donnant un effet miroir. En la regardant, on voit son image reflétée. Sur le site Web, on a droit à un diaporama constitué de onze vignettes, dont une d’un militaire, et une autre d’une jolie brunette dont on ne sait trop si elle parle à une autre personne sur un portable vidéo ou si elle est en train de prendre un autoportrait. Or, toutes ces vignettes illustrent des personnes... seules. Où est donc la collectivité dont on parle ? A-t-on joué, avec ces deux thèmes de présentation adaptés en fonction de deux médias, le vous ou le toi ?