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Philippe Bouvard, petite taille et grosses têtes

« Je me regarde vieillir attentivement, avec curiosité, comme si c’était un autre… Je suis persuadé qu’il faut déployer le maximum d’activités, continuer à voir des gens. La vie vaut d’être vécue jusqu’au bout, pour peu que l’on ait encore la santé, ce qui est mon cas. Ce n’est pas toujours facile, j’entends et je vois moins bien. Mais je m’en accommode, parce que je suis beaucoup aidé et entouré. À part ça, je ne souffre de rien. Je conserve le moral. » ("Paris Match", le 5 janvier 2019).

Philippe Bouvard

C’est ce vendredi 6 décembre 2019 que l’ancien célèbre animateur Philippe Bouvard fête ses 90 ans. Pour cet homme qui jouit encore d’une belle santé, un homme qui n’avait pas d’autres perspectives que de mourir jeune, la vieillesse représente à la fois un défi et un étonnement sans cesse renouvelé.

La popularité de Philippe Bouvard dépasse largement les murs de sa station de radio RTL. Petit homme au sourire presque timide, yeux malicieux et langue bien pendue, le journaliste est connu pour ses petits mots plein de cœur et de cynisme sur ses contemporains. Il pensait mourir jeune mais en laissant un chef-d’œuvre de la littérature française, il vit vieux (« Aujourd’hui, un homme commence à se sentir vieux quand ses enfants ont pris leur retraite. »), mais il ne laissera que soixante-cinq ouvrages vaguement lus et rapidement oubliés « qui encombrent davantage les bibliothèques que les mémoires ». Une autodérision pas sans un certain orgueil.

On ne peut pas dire qu’il a la retraite reposante. Il travaille tous les jours à éplucher l’actualité. Il a encore une émission hebdomadaire sur RTL et une chronique, hebdomadaire également, dans "Le Figaro Magazine". Sa famille le comble également de vie et de joie : il y a sa femme (depuis le 31 octobre 1953), ses deux enfants, ses quatre petits-enfants et ses deux arrière-petits-enfants.

Avec un père de remplacement, Philippe Bouvard a connu, enfant, la clandestinité à Paris sous l’Occupation à cause de ses origines juives. Croisant Jean Cocteau en limousine en 1938 sur La Croisette, il a eu la vocation d’écrire, pensant qu’un écrivain gagnait très bien sa vie. Il habite encore à Paris et à Cannes. À partir de 1944, il a commencé à écrire des éditoriaux, des nouvelles, et malgré ses échecs scolaires, si on lui disait qu’il n’avait aucun avenir dans le journalisme, on lui en promettait un dans le commercial, car il se faisait rémunérer par ses camarades en leur rédigeant les devoirs à leur place.

Car contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, Philippe Bouvard n’a acquis sa haute culture qu’en faisant son émission phare. Il n’a que le certificat de fin d’études élémentaires et s’il n’a pas le baccalauréat (il a vaguement envisagé de le passer il y a une vingtaine d’années), il est loin de s’en vanter. En ce sens, il fut comme le cancre si bien décrit par Daniel Pennac dans "Chagrin d’école". Celui dont l’évocation passée le retransporte vers la honte originelle.

Son arrivée dans le monde du journalisme, il la doit d’abord au fait qu’on n’avait pas besoin de diplôme si l’on savait faire ses preuves, et ensuite, à la recommandation d’un ami. Il l’a raconté à Mireille Dumas (une ancienne sociétaire des "Grosses Têtes") dans un entretien à "Paris Match" le 5 janvier 2019 : « J’avais 20 ans, je revenais du service militaire (…). J’avais été viré de tous les lycées (…). J’envisageais (…) de m’engager pour l’Indochine. Je l’avais annoncé à l’un de mes meilleurs amis dont le père était administrateur général du "Figaro". Celui-ci m’a reçu et m’a dit : "Je vais vous prendre comme coursier. Mais si vous n’avez pas fait vos preuves dans quinze jours, vous prendrez la porte". J’y suis resté vingt-deux ans et j’en suis parti avec la fonction de directeur général adjoint ! ».

Effectivement, entré au service photographique du "Figaro" en 1952 (comme coursier), il est parvenu à se faire délivrer une carte de presse le 5 janvier 1953 et à écrire une chronique parisienne mondaine. Sa réputation est née : langue de vipère pour décrire les "people", récompensée dès le 22 mai 1957 (par le Prix de la chronique parisienne).

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Philippe Bouvard a été viré du "Figaro" comme le fut Bernard Pivot, lui par Jean d’Ormesson, directeur du "Figaro", et Philippe Bouvard a raconté que les indemnités de licenciement du "Figaro" étaient assez élevées : « Vingt ans d’ancienneté, cela ne se refuse pas. Surtout quand on a de menus travaux à faire dans sa maison de campagne. » ("Je crois me souvenir…", 30 janvier 2013, éd. Flammarion). Cela a aussi permis à Bernard Pivot de se payer sa piscine, appelée pour l’occasion "Bassin Jean d’Ormesson".

Après "Le Figaro", Philippe Bouvard multiplia les collaborations avec la presse écrite : éditorialiste à "France-Soir" de 1973 à 1998 (à la direction du journal de 1987 à 2003), conseiller à "L’Express" en 1977, chroniqueur à "Paris Match" de 1977 à 1992, chroniqueur à l’hebdomadaire "Le Point" en 1983, chroniqueur quotidien à "Nice-Matin" de 2003 à 2017.

Philippe Bouvard est connu surtout comme animateur à la radio et à la télévision. Il a en effet développé et animé des dizaines d’émissions dont je ne retiendrai que les deux principales. Il était déjà très célèbre avant "Les Grosses Têtes" : pour preuve, sa participation pour jouer son propre rôle au grand film humoristique "L’Aile ou la Cuisse" de Claude Zidi (sorti le 27 octobre 1976).

À la télévision, sur Antenne 2, il a animé le fameux "Théâtre de Bouvard" du 13 septembre 1982 au 28 août 1987, enregistré au Studio Gabriel ou à l’hôtel George V. Le but était d’utiliser la forte notoriété de l’animateur pour faire de l’audience tous les jours de la semaine, pendant un quart d’heure, avant le journal de 20 heures. La forte concurrence de Stéphane Collaro sur TF1 emporta l’émission, non sans avoir fait démarrer quelques belles carrières de comiques : « J’ai aidé à ce qu’ils se fassent connaître, mais je pense qu’ils auraient réussi sans moi. Cela aurait pris un peu plus de temps, voilà tout. » ("Paris Match", le 5 janvier 2019).

Une modestie qui est peut-être réaliste. Toujours est-il que de nombreux artistes lui doivent beaucoup : Les Inconnus (Didier Bourdon, Pascal Légitimus et Bernard Campan), Mimie Mathy, Michèle Bernier, Muriel Robin, Philippe Chevallier et Régis Laspalès, Bruno Gaccio, Jean-François Dérec, Gustave Parking, Jean-Marie Bigard, Laurent Gamelon, Dominique de Lacoste (une des Vamps), Tex, etc. L’émission s’est poursuivie sur La Cinq de 1987 à 1989. L’animateur a également dirigé une salle de spectacle parisienne, Bobino, au 20 rue de la Gaîté à Montparnasse, de 1990 à 2006. Si Stéphane Collaro était son concurrent à la télévision, ce dernier était aussi son compère complice aux "Grosses Têtes" au même moment.

J’ai gardé pour la fin (faim ?) l’émission chêne (phare) de RTL animée par Philippe Bouvard : "Les Grosses Têtes", émission diffusée tous les jours de 16 heures 30 à 18 heures. Pendant les années 1980, j’écoutais chaque jour les vingt dernières minutes, en attendant le journal de 18 heures présenté par Jacques Chapus. Pas seulement celle de Bouvard, mais les voix de ses invités résonnent encore dans la mémoire comme autant de pépites de dérision et de détente (culturelles) avant l’écoute des graves et larmoyantes actualités.

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L’émission a été animée par Philippe Bouvard du 1er avril 1977 au 30 juin 2000, remplacé alors par Christophe Dechavanne, puis rappelé du 26 février 2001 au 27 juin 2014, remplacé finalement par son concurrent direct sur Europe 1, Laurent Ruquier qui, s’il est beaucoup moins fin et cultivé que Philippe Bouvard, semble faire plus d’audience par un savant transvasement d’auditeurs. Je n’ai jamais connu que la période 1977-2000.

Dans "Les Fous rires des Grosses Têtes" ("9 novembre 1983, éd. Jean-Claude Lattès), il rappela le secret de l’émission : « Chacun a son emploi et utilise son voisin dès qu’il ne peut plus utiliser ses connaissances. D’où une répartition très précise des rôles, mais aussi une personnalisation souvent excessive des débats. Le maître (apparent) du jeu le sait bien, qui éprouve les plus grandes difficultés à demeurer neutre et à se tenir en dehors du spectacle tout en y participant chaque fois qu’il menace de dégénérer ou de s’étioler. Au départ, nous disposions de deux types de comportements distincts : le comique et le culturel. Ce distinguo n’a pas résisté au phénomène de l’osmose. En quelques semaines, les comiques ont décidé de montrer leur culture, tandis que les culturels exhibaient reconventionnellement leur humour. D’où des intermèdes inattendus, savoureux, que nous n’avions pas envisagés, mais qui sont devenus les véritables chevaux de bataille de l’émission. ». La fonction crée l’organe.

Toute la richesse provenait effectivement de ses invités et de leur excellent et incomparable esprit de répartie. Certains étaient connus par ailleurs, dont certains prestigieux (parfois académiciens, politiques, etc.) : Jean Dutourd, Jean Yanne, Jacques Martin, Roger Pierre, Jean Lefebvre, Michel Galabru, Thierry Le Luron, Edgar Faure, Sim, Carlos, Alice Sapritch, Claude Sarraute, Jean d’Ormesson, Macha Méril, Thierry Roland, Pierre Bellemare, Jean-Pierre Coffe, Jacques Mailhot, Jean Amadou, Jean-Claude Brialy, Robert Sabatier, Amanda Lear, Léon Zitrone, etc.

Et d’autres, je l’avoue volontiers, je les ai connus d’abord grâce à cette émission : Isabelle Mergault, Daniel Ceccaldi, Olivier de Kersauson, Jacques Balutin, Philippe Castelli, Isabelle Alonso, Darie Boutboul, Rika Zaraï, etc.

Au-delà de ces invités très fortiches dans le duel radiophonique, "Les Grosses Têtes" ont aussi marqué par les noms de certains pseudo-auditeurs qui envoyaient leurs questions, notamment madame Bellepaire de Loches, madame Mauri de Sète, l’abbé Pierlot de Méaulte, etc.

Y a-t-il une vie après "Les Grosses Têtes" ? Philippe Bouvard n’y croyait et garde encore une certaine rancœur envers Laurent Ruquier qu’il feint d’ignorer. C’est le problème d’un animateur tutélaire de l’audiovisuel, d’autant plus quand son émission a dépassé les records de longévité et de stabilité : c’est de se croire immortel.

Et la mort, la vraie mort, celle du corps ? Il y pense sans arrêt : « J’ai résolu de dédramatiser la mort. Je ne la vois plus de la même façon. (…) Depuis [mes] 80 ans, je ne réfléchis qu’à ça. C’est devenu une probabilité qui se précise de plus en plus. C’est la seule certitude de la vie. Ca ne me réjouit pas mais je me dis que, depuis la création du monde, il y a tellement de milliards d’hommes qui sont morts que celle-ci ne doit pas être inhumaine ! » ("Paris Match" le 5 janvier 2019).

Mais peut-être que Dieu n’est pas pressé de le présenter à lui et de devoir subir ses petites phrases assassines. Après tout, dès 1979, juste avant de mourir tué par la police, l’ennemi public numéro un, Jacques Mesrine, avait projeté de s’en prendre à Philippe Bouvard…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 décembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Philippe Bouvard.
Menie Grégoire.
Évelyne Pagès.
Jean Garretto.
Jacques Chapus.
Henri Marque.
Arthur.
François de Closets.
Pierre Desgraupes.
Philippe Gildas.
Pierre Bellemare.
Jacques Antoine.
Bernard Pivot.
Michel Polac.
Alain Decaux.

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4 réactions à cet article    


  • Waspasien 4 décembre 2019 15:59

    Ca me fait toujours bien marrer quand ce type de pistolet parle de « travaille »

    «  »On ne peut pas dire qu’il a la retraite reposante. Il travaille tous les jours à éplucher l’actualité.

    «  »

    Il est vrai qu’il y en a beaucoup d’autres dans le bizz qui se « mettent en danger » ou qui «  »prennent des risques«  »" 

    Mon dieu...les pauvres...heureusement qu’ils gagnent beaucoup d’argent pour ça !


    • Trelawney 5 décembre 2019 08:06

      Le 23 juin 1963, Europe 1 organise un concert gratuit place de la Nation avec Johnny Sylvie et tous les autres. Mot d’ordre concert ye ye ! C’est la première fois que cette expression apparaît. 150000, peut être plus de jeunes s’y rendent occasionnant des dégats sur quelques vitrines.

      Le lendemain alors qu’un vieux crouton comme Edgar Morin écrit « Les 150 000 jeunes de la place de la Nation expriment un nouveau pouvoir : celui d’une jeunesse qui désormais possède ses propres valeurs et une volonté d’exaltation, sans forcément avoir de contenu » Le jeune fringant Philippe Bouvard écrit dans le Figaro « Quelle différence entre le twist de Vincennes et le discours d’Hitler au Reichstag ? » 

      Toujours raccord avec l’actualité celui là !


      • Réflexions du Miroir AlLusion 6 décembre 2019 17:32

        A lire le dernier opus de Bouvard (une brique de plus) « Quand j’ai commencé à broder, les haricots avaient encore des fils… 35 ans de chroniques »

        Quelques conseils d’écriture pour le terminer


        • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 6 décembre 2019 21:06

          C’est l’un des seuls , voir le , qui permettait encore à Jean Yann de l’ ouvrir .

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