Poivre chavire enfin
Jeudi soir, l’implant capillaire le plus célèbre de l’information télévisée rendait les armes, lyrique et vexé, vaincu par l’implacable logique médiatique politique de la chaîne qui l’avait fait roi. Citant Shakespeare et la Bretagne, saluant Roselmack et oubliant soigneusement Ferrari, l’homme tronc s’en est allé, la mèche triste et l’œil bas, abandonnant Pernaut à ses villages.

Il se croyait invincible, inaltérable, inattaquable. Il n’y a pas si longtemps que cela, il avait lui-même annoncé la date de sa retraite (2012), comme si lui et lui seul pouvait décider de s’en aller. Patrick Poivre d’Arvor, PPDA pour les intimes, PPD pour les amateurs de marionnettes drôles, a pourtant fini par s’incliner devant une évidence lourde, limpide et banale : rien n’est éternel à la télévision. Michel Drucker lui-même pourrait, du jour au lendemain se retrouver sans émission, si Dieu le voulait. Dieu étant à la télévision un concept large, terme englobant le patron de chaîne, ses amis du CAC40 ou quelques ministres, sinon quelque président élu. Dieu est protéiforme à la télévision, et PPDA le sait, depuis longtemps. Oui, mais, le sachant, il avait fini, d’année de triomphe en année de succès, par se sentir inusable, indémodable, regardant passer de plus en plus de cadavres d’ennemis ou d’amis au pied de sa fenêtre, sous son balcon, dans le cours tumultueux du fleuve audimat. D’Arvor est donc tombé de haut, il y a quelques semaines, quand les sbires de Nonce Paolini, le nouvel homme fort de la première chaîne, lui firent savoir qu’il pourrait désormais s’abstenir, tous les soirs à 20 heures, de bien coiffer ses cheveux, pas trop sur le devant, pas trop sur le côté. Il est un peu tombé comme on chuterait d’une de ces armoires bretonnes, lourdes et revêches, dans laquelle s’entassent les souvenirs et les regrets.
L’impression laissée, c’est d’avoir assisté à la petite mort d’un homme, en direct, et ça, ça marche toujours. Et cette fois ci encore ça a bien fonctionné : plus de 9 millions de badauds ont assisté au crash. Mirifique audience, de quoi ouvrir le champagne. La petite mort d’un homme, qui s’efforce dans ses propos de croire qu’on ne l’oubliera jamais, que toujours on se remémorera, avec regret, sa diction inimitable, ses expressions ou ses œillades quand il interviewait les jolies actrices. La petite mort d’un prince percuté par une voiture de luxe, en pleine présidence bling-bling : que du banal en somme, rien de bien neuf. Que Sarkozy remplace une vieille bretonne par une grosse cylindrée, ce n’est pas étonnant. Mais ce prince là, imbu et paternaliste, a longtemps cru que tout ça ne lui arriverait jamais. Pourquoi en effet, envisager de se passer d’un si fort vecteur d’audience ? N’est ce pas là l’inverse même du principe d’une télévision commerciale ? Il y a de quoi s’arracher les deux trois mèches qui vous restent ! Et PPDA, manifestement, au vu de la tête qu’il tirait jeudi soir, n’a pas encore compris ce qui lui est arrivé. Ne pas entendre arriver une Ferrari, franchement, faut être un peu dur de la feuille ! Penser une seconde qu’un tout frais patron de chaîne, intronisé par le pouvoir en place, allait laisser passer le moindre écart, faut être ingénument naïf. Sur ce coup là, ce pauvre d’Arvor nous a fait une Pujadas ! Paolini est là pour nettoyer la maison, de fond en comble, et il avait très tôt annoncé PPDA comme priorité principale de sa salle de trophées. Obtenir le scalp du présentateur le plus vedette avec Pernaut, c’était son leitmotiv, au Nonce ! PPDA ne pouvait pas l’ignorer, à moins d’être coupé de sa rédaction, de ne pas lire la presse ou de faire la sourde oreille.
Allez Patrick, souris donc, il te reste tes « romans » et tes bateaux, ta Bretagne et ta mer, ton sex appeal (mais sans maquillage), ta voix (mais sans micro), ton regard (mais sans caméra). Comme ton héros, Saint Ex, tu t’es abîmé en mer, mais en une mer de sarcasmes. Ils et elles seront suffisamment nombreux et nombreuses à t’envoyer des mots de réconforts pour que je ne me joigne pas à la liste. Repose en paix, PDA.
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