Radio Courtoisie : Taisez-vous, On parle !
Radio Coutoisie est-elle, comme elle le trompette, la « radio du pays réel et de la francophonie » ou plus prosaïquement, le haut-parleur de la cacophonie des droites ? Un portrait sans concession d'un admirateur désabusé.
Radio Courtoisie est le fier projet de liberté de l’information lancé par un journaliste appelé Jean Ferré. Cette « radio libre du pays réel et de la francophonie » a été fondée en 1987 et fêtera donc bientôt ses trente années d'existence. Pour garantir sa liberté d’expression, la radio refuse toute publicité, ce qui l’oblige à faire appel aux dons de ses auditeurs pour subsister. La radio est très fière de son indépendance qui ferait d’elle un cas unique en France, voire dans le monde. Sa caractéristique la plus visible, cependant, est la longueur de ses émissions, qui va d’une quarantaine de minutes à trois heures, de quoi creuser un sujet en profondeur, chose impossible sur d’autres médias. Les domaines les plus variés sont abordés, de la gastronomie à la théologie en passant par l’actualité politique. Chaque émission est dirigée par un « patron », éventuellement flanqué d'un assistant, qui est souvent un membre du beau sexe. Les auditeurs, en principe, peuvent laisser des messages par téléphone ou par courriel durant l'émission.
La radio n’est certes pas une inconnue dans le paysage médiatique francophone. En dehors du cercle de ses auditeurs, elle passe pour une radio d’extrême droite, une sorte d’antenne du vilain populisme. La réalité est tout autre. Radio Courtoisie regroupe en effet des sensibilités politiques et philosophiques très différentes. On y trouve par exemple des libéraux enragés qui préconisent l’ouverture des frontières avec autant d’acharnement que monsieur Barroso, et des prêtres catholiques traditionalistes qui préconisent le retour au latin et à la messe tridentine (dans d’autres émissions !). Marine Le Pen et son éloquent géniteur y passent au moins une fois par an, mais plusieurs transfuges du FN animent des émissions, et non des moindres ; qui sont autant d’occasions faciles de tirer à boulets rouges sur leurs anciens patrons. Des membres de la droite parlementaire ont aussi droit de parole régulièrement, et la radio a quasiment fait campagne pour Nicolas Sarkozy lors des dernières élections. On a alors assisté à une chose extraordinaire : à quelques jours du scrutin, monsieur de Lesquen, le chef de la radio, habituellement grand pourfendeur de l’ex-président, a précipitamment invité plusieurs grosses huiles du parti au pouvoir pour chanter les louanges de leur candidat : la haine du socialisme justifie sans doute toutes les volte-face !
La radio, qui, je le souligne, n'est nullement un organe de propagande du FN, représente à merveille la droite française où l’on trouve un peu de tout et où l’unité, toujours souhaitée en paroles, n’est jamais réalisée dans les faits. Par son côté fourre-tout, on peut affirmer que Radio Courtoisie est une petite UMP médiatique. Le FN, à vrai dire, y est plutôt sous-représenté.
La radio offre un parfait exemple de liberté mal comprise. Loin de conduire à un débat contradictoire qui mène à la vérité ou du moins à une approche de celle-ci (ne dit-on pas que de la discussion jaillit la lumière ?), la liberté sur Radio Courtoisie signifie simplement la possibilité pour chacun d’exprimer sa petite opinion dans son coin, quand ce n’est pas dans sa tour d’ivoire. On n'y trouve certes pas l’ennuyeuse et mortifère uniformité de pensée que l’on rencontre sur la plupart des autres médias, mais ce qui la remplace n’est jamais que son contraire, au lieu d’être son dépassement : la cacophonie est tout aussi blâmable que la monotonie, et tout aussi éloignée qu'elle de la symphonie. Quand on se soûlerait de formules telles que « l’unité dans la diversité », la simple juxtaposition des différences ne produira jamais l’unité.
Il y a certes des invités aux émissions, ainsi que des lectures de messages d’auditeurs, mais les présentateurs n’invitent jamais des personnalités du camp opposé. Dans l’immense majorité des cas sont réunis dans le studio des personnes du même avis. Il y a aussi des patrons d’émission qui se claquemurent dans le studio sans la présence d’invités ni la possibilité d’intervenir pour les auditeurs : cela s’appelle pudiquement une « émission exceptionnellement pré-enregistrée ». Mais cela arrive plus souvent qu’on ne le croit.
Je me souviens à ce propos d’une émission vraiment exceptionnelle où se trouvaient face à face Alain Soral et d’autres invités, qui, eux, étaient de sensibilité libérale. La discussion tourna vite au vinaigre et frôla plusieurs fois la poudre à canon, Alain Soral se faisant continuellement rappeler à l’ordre par un patron d’émission visiblement débordé par la liberté d’expression. Cette émission m’amusa beaucoup, mais me laissa aussi un goût amer dans la bouche : cette radio avec sa pléiade de grands esprits n’ayant que les mots de « liberté » et de « démocratie » à la bouche était totalement incapable d’organiser un vrai débat civilisé. On rétorquera qu’il faut d’abord incriminer le manque de savoir-discuter des interlocuteurs. Sans doute ! mais si aujourd’hui intellectuels, politiques et gens ordinaires sont incapables de discuter rationnellement, n’est-ce pas aussi parce qu’aucune institution, de l’école aux médias en passant par les instances parlementaires, ne travaille à instaurer une civilisation du débat, c’est-à-dire une culture de la recherche commune de la vérité ? Trop souvent, chacun parle avec soi et pour soi. La contradiction surgit-elle ? on perd aussitôt la tête et les nerfs.
Sur ce plan, la « radio de toutes les droites » est un échec total. C’est pourquoi on peut prédire avec assurance qu’elle ne fera pas avancer d’un pouce l’union des droites. Ce qu’elle n’a pas réussi en 27 ans d’activité, comment le réussirait-elle demain ? Parler de « droites » au pluriel est déjà le signe d’une profonde confusion idéologique et sans doute d’un refus démagogique de pratiquer le discernement et le débat nécessaires pour qu’advienne une droite singulière dotée d’une doctrine cohérente. Rien n’illustre mieux la confusion des genres à laquelle se livre la radio que la formule d’envoi du « libre journal de la nuit » animé par Paul-Marie Coûteaux, par ailleurs président d'un groupuscule souverainiste allié au FN, le SIEL : « Vive le roi, vive l’empereur, vive la république, vive la France ! » Il ne manque que le Maréchal et la Commune.
Il a été fait mention dans l’introduction de la longueur des émissions, mais qu’en est-il de la qualité ? La réponse est que la quantité ne garantit pas la qualité, même si les émissions de grande tenue ne sont pas rares. Sans parler du rabâchage des sujets passéistes, sur des questions importantes, le débat de Radio Courtoisie reste convenu et d’une médiocrité affligeante. Ainsi, sur la question du mariage homosexuel, on a pu entendre des arguments aussi faux que « le mariage n’a rien à voir avec l’amour » ou « l’homme et la femme ont des natures différentes ». Pendant longtemps, le credo de la radio sur cette question fut l’essai de l’ex-grand rabbin de France, qui en plus d’être un plagiat honteux, n’était du point de vue de la doctrine qu’un pansexualisme hétérosexuel où le sexe remplace la spiritualité—et rend donc inintelligible le célibat consacré. Concernant la théorie du genre, le débat fut plus riche, notamment grâce à la contribution d’Alain de Benoist, mais à cause des oeillères libérales très épaisses de la radio, il a échappé à tous les intervenants que la théorie du genre, loin d’être d’abord un produit de la culture de la mort et de l’égalité, est plutôt l’un des fruits vénéneux de la culture de la liberté, la liberté étant dans la pensée dominante fondatrice et de l’égalité et de la vérité.
Ne pas comprendre cela, c’est se condamner à l’échec dans la guerre idéologique face à la gauche, mais que faire quand on traîne avec soi le boulet de la droite libérale, qui est aussi, quoique sur une longueur d’onde légèrement différente, le promoteur de la culture désagrégeante de la liberté individuelle ? C’est Philippe Egalité attelé au même char que Louis XVI !
Un bel exemple des contradictions dans laquelle s’empêtre la radio faute de discerner entre les droites est la thèse soutenue récemment sur ses ondes par un philosophe libéral au nom prédestiné de Philippe Nemo. Celui-ci nous apprend dans une émission sur l'esthétique de la liberté du 20 janvier que « l’être dépend de l’avoir par l’entremise du faire ». En clair, on devient humain à proportion de sa fortune personnelle, parce que les biens que l’on possède en propre (pas question de propriété commune comme dans un monastère ou un kibboutz !) permettent de faire moult choses. Si cette théorie permet de clouer au pilori la fiscalité confiscatoire du gouvernement Hollande comme étant un crime de lèse-humanité, elle offre le léger inconvénient de reléguer parmi les sous-hommes les génies désargentés comme Socrate ou Jésus, sans parler des enfants à naître ou des invalides, tous inutiles et parasites de la société. Quant au rôle civilisateur des monastères du Moyen Âge, on suppose que c’est une illusion. Vous avez dit radio des « valeurs traditionnelles » ?
S’agissant de la qualité et de la véracité de l’information, la radio se targue d’avoir inventé le « concept » de la réinformation, le reportage qui corrigerait et démasquerait les mensonges des médias de l’oligarchie mondialiste, mais force est de constater que la radio, malgré ses « bulletins de réinformation » quotidiens, pratique elle aussi la désinformation, surtout par omission. Ainsi, on vous parle beaucoup du résultat de la votation suisse sur le contingentement de l’immigration pour s’en réjouir, mais on passe sous silence le résultat de la votation sur le déremboursement de l’avortement, qui, lui, ne s'est pas soldé par un résultat agréable aux positions « pro-vie » de la radio. On tait l’exclusion de Farida Belghoul de la Manif' pour tous. On avait certes parlé de l’éviction de monsieur Vanneste d’un congrès de la MPT, mais c’est que ce cher Christian est un ex-gros bonnet de l’UMP ! Bien que la défense de la « francophonie » soit un des piliers de la radio, on omet de dénoncer le déploiement d’immenses banderoles en anglais par les Hommens lors des manifestations pro-vie et anti-loi Taubira de janvier à Paris. On ne critique pas les amis de la bonne cause. Lors de l’énorme et honteux tripotage des élections pour le choix du président de l’UMP, il se fit sur la radio un silence général sur le sujet. L’UMP faisant partie des droites, chacun jugea sans doute préférable de jeter le manteau de Noé sur l’affaire.
Concernant la démocratie, la radio a encore un très long chemin à faire. Certes, la publicité n’existe pas, ce qui libère les responsables d’émission de la pression d’éventuels annonceurs, mais, en réalité, Radio Courtoisie est beaucoup moins démocratique que RMC, qui, elle, fait une large place à la publicité. Radio Courtoisie demande l’argent de ses auditeurs (qu’elle bombarde du matin au soir d’appels pressants aux dons) mais ne leur donne en échange que le droit d’écouter sa voix (si souvent discordante) : les auditeurs n’ont aucun droit de regard sur l’emploi des fonds ou la gestion de la radio, ni aucun droit réel de réponse vis-à-vis des présentateurs. Lettres, courriels et coups de téléphone finissent le plus souvent dans les oubliettes. Il arrive même que les auditeurs se fassent rabrouer. Bernard Anthony, un des chefs du « journal de la résistance française », est coutumier de remarques très blessantes à l’égard des auditeurs qui ont le malheur de le critiquer ou de mal le comprendre. Même si ces sorties sont exceptionnelles, elles restent anormales sur une radio de la courtoisie entièrement soutenue par ses auditeurs.
Jamais, et c’est là une différence de taille avec RMC, la « radio du pays réel » ne permet à ses auditeurs d’intervenir spontanément sur l’antenne en appelant son standard. Jamais ! Il existe assurément une chronique du courrier des auditeurs dans l’émission du président de la radio, mais celle-ci est une mise en scène digne de la Corée du Nord : monsieur de Lesquen y lit exclusivement les messages des auditeurs qui ont écrit à la radio pour lui annoncer le montant de leurs dons, le tout accompagné de sirupeuses louanges à la radio « sans laquelle ma vie serait impensable ». Quoi que tout ce courrier à l’eau de rose puisse donner à penser, la plupart des auditeurs ne sont pas dupes de cet auto-encensement et du caractère aristocratique très méprisant de la piétaille de la radio, car la proportion des cotisants ne dépasse guère dix pour cent. Là aussi un échec de popularité retentissant, mais qui ne semble conduire à aucune remise en question du côté de la direction.
La radio prétend s’opposer aux valeurs mercantiles, mais il s’y fait en réalité une publicité permanente, et souvent très partiale, pour ses invités et plus précisément pour leurs livres, que les auditeurs sont sommés d’aller acheter en « se précipitant » dans les « bonnes libraires » parisiennes. La règle est que, dès la sortie du livre d’un chef d’émission ou d’une connaissance, il ou elle se fasse inviter pour en parler abondamment et complaisamment dans quatre ou cinq émissions différentes. Certains présentateurs font même l’essai—seuls et en pré-enregistrement—des idées qu’ils entendent coucher sur le papier. Ils profitent ainsi du micro de la radio pour se livrer à une sorte de précampagne de publicité pour leur futur bébé, avant de venir en rebattre les oreilles du « pays réel » dans une ribambelle d’émissions une fois celui-ci publié. Philippe Nemo, le prétendu philosophe qui défend l’idée absurde que l’être dépend de l’avoir, est dans ce cas lamentable.
On pourrait aussi parler des pseudopodes de la radio comme son forum non officiel qui tient le milieu entre le mouroir et la chambre froide et où des modérateurs semi-illettrés, parfaites images du stéréotype du frontiste moyen, font la chasse aux opinions dissidentes ; de son combat pour la langue française, qui n’est qu’une bouffonnerie ; de la condescendance insupportable avec laquelle certains patrons d’émission traitent leur assistant féminin, mais ce ne sont là que des détails du dysfonctionnement de la radio. Radio Courtoisie ne manque certes pas d’esprits brillants et d’émissions intéressantes et instructives, mais sur le fond on ne peut qu’y constater « l’hommerie » dénoncée avec une résignation amusée par Balzac, et plus particulièrement l’hommerie à la française : ce mélange de frivolité et de superficialité saupoudrées de beaucoup d’arrogance, traversées d'éclairs d'ardeur guerrière qui aboutit dans la plupart des cas à une belle inefficacité.
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