Un monde sans journaliste ?
Les sites d’information écrits par les internautes eux-mêmes comme Agoravox ou Le Post illustrent une tendance de fond : le rôle du journaliste a de plus en plus tendance à être minoré, voire décrié. Cette défiance vis-à-vis des « transmetteurs » de nouvelles puise ses racines dans une histoire récente où ils ont pu être pris en flagrant délit de collusion avec les pouvoirs économiques et politiques (l’affaire Mazarine Pingeot en est l’exemple le plus célèbre) et où certains ne cessent de revoir à la baisse leur niveau d’exigence dans le choix des informations en témoigne le phénomène de pipolisation de la vie politique alimenté grandement par ce comportement. Cependant, un monde sans journaliste, s’il présente à première vue un grand nombre d’avantages, ne tarderait pas à montrer ses défaillances.
Tout d’abord, si les journalistes disparaissaient, leur éthique s’en irait avec eux. Les « journalistes-citoyens » qui les remplaceraient sur les sites web 2.0 ne seraient soumis à aucun code de bonne conduite les obligeant, comme c’est la cas actuellement pour les détenteurs d’une carte de presse, à vérifier leurs sources et leurs textes avant de les publier. Des écrits infamants sur certaines personnes ou institutions pourraient par conséquent être diffusés sur de simples présomptions ou pire sur la base de rumeurs lancées par quelques personnes indélicates !
De même, l’éthique journalistique impose le respect de la stricte vérité et la rigoureuse objectivité dans le traitement de l’information ce qui empêche les plus brillantes plumes d’influencer leurs lecteurs par la manipulation des informations apparemment objectives ; même si l’on peut croire à la bonne foi de la plupart des internautes, que feront les autres dès l’instant qu’ils découvriront que de tels espaces d’expression peuvent être plus efficaces pour faire passer leurs idées que des dizaines de tribune publiées dans des journaux classiques ? D’une manière insidieuse, sous couvert d’information, les militants des partis politiques pourraient essayer d’augmenter l’audience de leurs idées et, pire, certains groupes extrémistes aux idées rétrogrades ou racistes trouveraient dans ces nouveaux réseaux un moyen de relancer leur propagande idéologique alors qu’ils sont bannis de la plupart des médias sérieux.
Enfin, la question que l’on peut se poser est si l’information continuera vraiment à exister : peut-on toujours parler d’information si les rédacteurs de ces sites écrivent leurs articles le soir, après une journée de travail, sans avoir vraiment le temps ni les compétences pour mener une réflexion approfondie ? Et surtout comment des gens exerçant par ailleurs une profession pourront-ils se rendre aux dizaines de conférences de presse données chaque jour et comment pourront-ils réaliser des enquêtes de longue haleine, demandant des semaines de préparation, nécessaires à la compréhension en profondeur de notre société ? Assurément, cela ne se pourra et le dense flux d’informations qui nous abreuve actuellement (et nous submerge parfois) se tarira peu à peu pour se limiter à la description de quelques faits-divers sur lesquels le chaland sera tombé par hasard en se rendant au travail ou en allant faire les courses.
On pourra toujours me dire que nous n’avons peut-être pas un besoin si impérieux de savoir ce qui se passe à l’autre bout du monde du moment que l’on connaît la vie de notre quartier ce à quoi je ne pourrais que rétorquer qu’il est essentiel que l’esprit s’élève et que c’est grâce à la mondialisation des informations, qui donne l’impression de vivre dans un cité commune, que les incompréhensions entre les peuples pourront un jour disparaître ! Non seulement, la mort des journalistes mettra fin au mouvement de « réconciliation » entre les peuples, mais elle remettra en cause la santé de nos démocraties ; les hommes politiques pourront prendre des décisions iniques et non soucieuses de l’intérêt général sans qu’il soit possible à personne, sauf dans un cercle d’intellectuels initiés (par définition restreint), de le savoir et par conséquent de réagir ! Plongés dans une passivité forcée faute d’information, les citoyens ne pourraient plus prendre part à la vie de la cité en dehors des élections où leur participation ne serait que partielle car ils seraient pas ou mal informés des enjeux de ces élections.
Néanmoins, tous ces arguments ne suffiront pas à convaincre la population de la nécessité des journalistes car elle a eu l’impression pendant de très longues années d’être privée de son droit à une information objective et de qualité. Les journalistes doivent réaliser leur révolution en engageant un travail de fond pour arrêter de céder à la facilité du people et revenir un à des fondamentaux de leur métier, la mise en perspective objective de l’actualité. De cette décision, qui devra se faire rapidement au sein des rédactions, découlera votre avenir et aussi celui de la santé de nos démocraties ! Je vous livre donc, à vous, journalistes de presse, de radio, de télé et d’internet, mon espérance, mais aussi ma peur si vous ne choisissez pas le bon chemin !
Edouard Couetoux
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