Allez les filles !
Des quotas à l’entrée des grandes écoles ? Depuis un petit mois la polémique fait rage, adeptes et détracteurs s’opposant des arguments pour la plupart mille fois ressassés. C’est à l’occasion de la publication d’un textei signé par Pierre Tapie et Jean-Pierre Helfer, de la Conférence des Grandes Ecoles, que le débat a ressurgi. S’inquiétant de la baisse probable du niveau général des élèves, si certains d’entre eux devaient dorénavant être recrutés par une filière spéciale, ils ont rejeté la mise en place d’un quota d’au moins 30% d’élèves boursiers -objectif préconisé par Valérie Pécresse en novembre dernier- s’attirant au passage les foudres d’Alain Minc et de François Pinaultii et la réaction exaspérée de Richard Descoingiii, directeur de Sciences Po Paris. Valérie Pécresse a aussitôt calmé l’incendie : pas question de quotas, il s’agit simplement d’un objectif afin que les élèves boursiers soient plus nombreux dans ces écoles où se recrutent encore aujourd’hui la plupart des décideurs.
ii- MINC A, PINAULT P, « Boursiers : la réticence des grandes écoles est indigne », Le Monde, 7 janvier 2010
iii- DESCOINGS R., « C’est la réaction antisociale dans toute sa franchise ! », Le Monde, 5 janvier 2010-01-19
Un constat : 9 % des élèves des grandes écoles seraient issus de milieux populaires
Cette controverse part d’un constat : depuis trente ans, le nombre d’élèves des grandes écoles issus de catégories socioprofessionnelles défavorisées est en baisse. D’après un rapport publié en 2007 par Yannick Bodini, sénateur PS, 29% des élèves de ces écoles étaient d’origine populaire dans les années 1950, et seulement 9% quarante ans plus tard. Un mécanisme déjà mis à jour par Pierre Bourdieu, dans son ouvrage La noblesse d’Etatii. Analysant les résultats d’une série d’enquêtes montrant l’existence d’une relation statistique entre classe sociale et classement scolaire, le sociologue montre que la hiérarchie des qualités attribuées aux classes sociales dites supérieures et la hiérarchie des « jugements » portés par le monde scolaire sont similaires, favorisant la « transformation du capital hérité en capital scolaire ». Les grandes écoles, réunissant un petit groupe aux mêmes caractéristiques scolaires et sociales, entretiennent la reproduction des élites.
Les quotas, une solution ?
Pour Richard Descoing, son modèle est le bon : en 2001, 6% des élèves de Sciences Po Paris étaient boursiers, 21% en 2008, avec un objectif de 30% à l’horizon 2012. La méthode ? Compléter les bourses du Crous, rendre proportionnels les droits d’inscription aux revenus, travailler avec les enseignants des ZEP pour sélectionner les meilleurs éléments qui passeront ensuite un concours adapté pour entrer à Sciences Po. Mais ce modèle a ses limites. Comme le souligne Alain Cadixiii, directeur de l’Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle, encourager les élèves de ZEP, c’est bien, mais que deviennent les autres, les enfants d’origine défavorisée qui ne sont pas scolarisés dans les 180 lycées situés en ZEP, mais dans les 2500 autres lycées qui ont aussi leur lot d’élèves méritants et modestes.
Et les filles ?
Et puis… les filles, dans tout ça ? Le débat sur les effectifs des grandes écoles se focalise sur l’origine sociale, sans forcément pointer les disparités existant entre les sexes. Certes, l’écart est moins spectaculaire. Pourtant, les filles, qui ont des meilleures notes au bac et en classes préparatoires, ne constituent que 46% des étudiants reçus à HEC, 41% des admis à l’ENA au concours externe, 36 % au concours interne, 13% au concours dit de troisième voie. Comment s’explique cette disparité ? Pour Evren Örs professeur à HEC, Éloïc Peyrache, directeur du programme Grande École de la business school et Frédéric Palominoiv,, ancien élève de l’École et actuel professeur associé à l’EDHEC, « Les notes des femmes sont concentrées autour de la moyenne tandis que celles des hommes sont très dispersées, avec beaucoup de très bonnes notes et de très mauvaises. Mécaniquement, quand on sélectionne les 380 premiers résultats, on a un peu plus d’hommes ». Les filles auraient ensuite de meilleurs notes en première année de Grande école. Selon une étude de Frédéric Palomino, pour l’EDHECv, les filles réussiraient mieux lorsque leur performance est évaluée de manière absolue, plutôt que lorsqu’elle est comparée à d’autres candidats, tendance qui se retrouverait dans le monde du travail, où les filles auraient un esprit de compétition moins affirmé que leurs concurrents masculins.
L’étendue des possibles
Alors, quels enseignements tirer de ce débat ? Que le résultat n’est pas une affaire de quota. Que si l’on veut promouvoir une plus grande diversité au sein des grandes écoles, mais aussi dans les troisièmes cycles universitaires ou le décalage est le même, le succès ne se joue pas au moment du concours, mais tout au long du parcours scolaire des enfants, et dès les petites classes. Nous sommes d’accord, la différence ne provient d’une disparité préexistante de niveau, entre pauvres et riches, entre filles et garçons, mais bien des horizons que la société leur ouvre. Le manque d’information sur les grandes écoles, l’orientation précoce vers des filières plus courtes, l’autocensure sont des éléments bien plus discriminants. Les frais d’inscriptions, aux concours d’abord, aux écoles ensuite, les difficultés à financer les études, constituent certes aussi des barrières, mais qui ne s’érigent que plus tard. C’est dès l’école primaire, qu’il faut agir.
Et puis surtout, la création, au lycée, de cours de culture générale, permettraient de mettre en perspective les connaissances acquises et de comprendre que les différentes matières enseignées ne sont pas des blocs imperméables, mais que les faire dialoguer est ce qui permet de pouvoir poser sur le monde, un regard riche et critique. Les connaissances pour passer ces concours sont en effet aujourd’hui de plus en plus accessibles. Les bibliothèques, les musées ont ouvert leurs portes. Et Internet offre à qui sait chercher une masse infinie de connaissances. Mais seulement voilà, il faut savoir qu’elles existent, ces connaissances, aller les chercher et comprendre comment les valoriser. C’est aujourd’hui il me semble, le premier rôle de l’école. Pour que tous puissent y croire, se dire pourquoi pas moi, et tentent les concours, pour pouvoir les réussir.
i- « Diversité sociale dans les classes préparatoires aux grandes écoles : mettre fin à une forme de « délit d’initié », Rapport d’information de M. Yannick BODIN, Sénateur de la Seine-et-Marne (PS)
ii- BOURDIEU P., La noblesse d’Etat , Editions de minuit, 1989 http://www.amazon.fr/noblesse-dEtat-Pierre-Bourdieu/dp/2707312789/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1263816101&sr=1-1
iii- CADIX A., « L’ascenseur social ne démarre pas au 15e étage !... », Le Monde, 18 janvier 2010
iv- JACQUE P. « Les filles brillent en classe, les garçons aux concours », Le Monde, 8 septembre 2009
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