• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > Politique > Bilan de campagne - 3 - Obsolescence

Bilan de campagne - 3 - Obsolescence

Le véritable problème politique de la France n’est pas de nature conjoncturelle mais structurelle et même « systémique ». Il n’est pas lié à une personnalité ou à un parti spécifique mais à un système de gouvernement, à un régime politique obsolète qui empêche le pays de prendre en main son destin et de faire vivre sa démocratie.

La campagne électorale qui approche désormais de son dénouement aura permis de constater l’inconséquence des principaux candidats, incapables de tenir un discours de vérité sur les véritables enjeux pour le pays des cinq prochaines années et de proposer des options crédibles et courageuses aux Français… Cette inconséquence reflète l’inconsistance de la classe politique française, dont la parole de campagne n’a désormais plus de lien organique avec la pratique de gouvernement. Cette inconsistance s’est peu à peu généralisée à droite comme à gauche de l’échiquier politique hexagonal au cours des quarante dernières années, aboutissant à vider les rendez-vous électoraux de leur substance et de leur raison d’être. Les choix proposés aux citoyens lors des élections sont tronqués, faussés, les élus ne s’estimant ni tenus par leurs engagements ni comptables de leurs actes une fois le scrutin passé. Cet état de fait empêche depuis longtemps le pays de se choisir un véritable cap et les moyens d’y parvenir, ce qui affaiblit son économie et sa cohésion sociale. Surtout, il nourrit un ressentiment profond au sein de la population, qui petit à petit sape les fondements même de la démocratie.

Certes, une certaine dose de démagogie est probablement inévitable en démocratie, et on peut d’ailleurs en trouver des traces sous toutes les latitudes et à toutes les époques. Cependant, ce qui aujourd’hui mine la démocratie française va au delà de la simple démagogie électoraliste. Il ne s’agit pas seulement d’un décalage entre les engagements de campagne et les actes des élus, aussi grand soit-il, mais d’une déconnexion plus profonde entre les discours et les actes politiques, qui rend la parole inconsistante et les actes illisibles.

Cette déconnexion a atteint un niveau encore jamais atteint au cours du quinquennat qui s’achève, marqué par l’absence de vision et de lisibilité de l’action politique, par des contradictions et revirements incessants et par l’incapacité manifeste pour l’élu de 2007 de mettre son verbe et ses actes en cohérence. Il serait tentant de ne voir là que la conséquence de l’élection à la présidence de la République d’un politicien démagogue dépourvu de vision et de conviction, et de penser que les choses pourraient revenir « à la normale » une fois qu’un nouveau locataire « normal » s’installera à l’Elysée. Mais on se méprendrait alors sur la nature et les causes du problème fondamental qui sape les fondations de la démocratie française. Ce problème n’est pas de nature conjoncturelle mais structurelle, et même « systémique ». Il n’est pas lié à une personnalité particulière mais au système de gouvernement du pays. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a mis en lumière ce problème systémique de manière quasiment caricaturale, mais il ne l’a pas créé et son achèvement ne le résoudra en rien.

Le véritable problème politique de la France, c’est son système de gouvernement, son régime politique. Ce régime est aujourd’hui ce qui empêche le pays, quels que soient les résultats des élections, d’affronter de manière intelligente, efficace et cohérente les défis qui se présentent à lui.

Notre régime politique, la Vème République, est ce que les politologues et constitutionnalistes ont coutume d’appeler un régime « semi-présidentiel », censé combiner certaines caractéristiques du régime parlementaire qui est la norme en Europe – et fut aussi longtemps la norme en France – avec des éléments du régime présidentiel à l’américaine. Du régime parlementaire nous avons conservé une séparation des pouvoirs souple et le principe théorique de la responsabilité du gouvernement devant le parlement. Du régime présidentiel nous avons emprunté le principe d’un président élu par le peuple, doté de larges pouvoirs et appelé à agir comme véritable chef de l’exécutif. Instauré en 1958 dans un climat de crise politique et de quasi guerre civile, ce régime « hybride » était alors censé mettre fin à une instabilité gouvernementale chronique et établir un pouvoir exécutif stable et fort, à même de diriger et de moderniser le pays. Pour justifiés qu’aient pu être ces objectifs à l’époque, le régime ainsi mis en place est au fil du temps devenu le principal obstacle au développement économique et social ainsi qu’à l’épanouissement démocratique de la France. Ceci résulte principalement de deux caractéristiques fondamentales de la Vème République : la concentration du pouvoir politique aux mains d’un seul, le président de la République, et la déresponsabilisation quasi totale, institutionnalisée, de ce pouvoir.

La Vème République est tout d’abord un régime de concentration du pouvoir sans équivalent dans le monde démocratique. Nulle part ailleurs un pouvoir aussi étendu n’est confié à un seul homme. La Constitution de 1958 abolit dans les faits la distinction traditionnelle en régime parlementaire entre chef d’Etat et chef de gouvernement : le président de la République exerce de facto les deux fonctions et détient l’ensemble du pouvoir exécutif, le premier ministre étant réduit au rang de « collaborateur » ou de « fusible » et l’ensemble des ministres au rang de simples exécutants. Lorsqu’en 2004 Jacques Chirac déclara « il n'y a pas de différend entre le ministre des Finances et moi, pour une raison simple c'est que (...) je décide et il exécute », il ne faisait pas qu'essayer de réaffirmer son autorité sur un ministre agité, il exprimait également de manière abrupte la réalité du pouvoir politique en France. Il aurait également pu dire : « je décide, le gouvernement exécute, et le parlement ratifie », tant le rôle du parlement a été réduit à peu de chose. En donnant au gouvernement la maîtrise de l’ordre du jour et du calendrier parlementaire, ainsi que les moyens de s’affranchir du processus parlementaire lorsqu’il s’avère ou risque de s’avérer trop long ou contraignant (procédure du vote bloqué et de l'article 49-3, recours aux ordonnances, procédures d’urgence, etc.), la Constitution de 1958 réduit de fait le parlement à une simple chambre d’enregistrement. La réforme constitutionnelle de 2008 n’y a rien changé, qui a seulement donné l’illusion d’une plus grande maîtrise par le parlement de son ordre du jour en permettant de maquiller un certain nombre de projets gouvernementaux en propositions parlementaires introduites par le groupe majoritaire. En France, lorsque les majorités présidentielles et parlementaires coïncident, la séparation des pouvoirs exécutifs et législatifs est, de facto, abolie. Le président de la République, élu au suffrage universel direct et donc tirant son autorité de son lien direct avec le peuple, peut décider seul d’à peu près tout. Chef de l’exécutif et, dans les faits, véritable chef de la majorité parlementaire, il peut se débarrasser de ses ministres quand bon lui semble et dissoudre l’Assemblée Nationale si elle ne se montre pas assez docile à son gout. Loin d’être une déformation sarkozyste de l’exercice du pouvoir, « l’hyper présidence » est en fait la pente naturelle du régime politique de la France.

La Vème République est ensuite un régime de déresponsabilisation organisée, institutionnalisée du pouvoir politique, là encore sans équivalent dans le monde démocratique. Bien qu’ayant rompu avec la tradition institutionnelle parlementariste française, la Constitution de 1958 en a néanmoins conservé les principes de l’irresponsabilité politique du président de la République devant les assemblées, ainsi que de son irresponsabilité pénale et civile durant son mandat. Elle a ainsi donné naissance à un régime dans lequel un seul peut décider de presque tout sans avoir à répondre de rien durant son mandat. Alors que les chefs de gouvernement de nos voisins européens doivent venir expliquer et défendre leurs choix et leurs actes chaque semaine devant leurs parlements respectifs, le président français peut se contenter de faire tous les six mois une conférence de presse ou une émission de télévision avec des journalistes accommodants. Cette déresponsabilisation du chef de l’exécutif ne correspond certes pas à la vision originelle du Général de Gaulle, pour qui le président devait être politiquement responsable directement devant le peuple au travers de son élection au suffrage universel direct mais aussi du recours fréquent au référendum de type plébiscitaire. Mais en renonçant à utiliser le référendum (il y a eu autant de référendums nationaux entre 1958 et 1969 que depuis lors), ou bien en l’utilisant sans engager leur responsabilité (Jacques Chirac en 2005), les successeurs du Général ont dénaturé le système politique de la Vème République et entériné l’irresponsabilité politique quasi totale du président de la République.

Plus grave, la déresponsabilisation politique instituée par la Constitution de 1958 n’est pas limitée au président mais s’étend, de fait, à l’ensemble de l’exécutif. Certes, le gouvernement est en principe responsable devant le parlement, mais cette responsabilité reste purement théorique. La logique du scrutin uninominal, par circonscription et majoritaire à deux tours assure en effet un alignement de la majorité parlementaire avec le gouvernement qui réduit à néant les risques de mise en minorité de l’exécutif. Le seul cas de censure d’un gouvernement sous la Vème République, en octobre 1962, fut d’ailleurs sans conséquence puisque le Général de Gaulle refusa la démission du gouvernement Pompidou et préféra dissoudre l'Assemblée récalcitrante. De fait, la seule véritable responsabilité politique du gouvernement est vis-à-vis du président lui même, qui peut décider d’en changer les membres – y compris le premier ministre – quand il le souhaite. Il semble que le Général de Gaulle allait jusqu’à exiger de ses premiers ministres qu’ils lui remettent une lettre de démission non datée lors de leur nomination, de façon à pouvoir choisir sans contrainte le moment et la façon de les remercier. Soumis au bon vouloir d’un président qui lui-même est irresponsable, le gouvernement de la République échappe, de facto, aux exigences de responsabilité politique communément admises dans une démocratie.

En conférant des pouvoirs extravagants à un seul homme dont elle institutionnalise l’irresponsabilité politique, la Vème République atrophie la démocratie et condamne le pouvoir politique à l’impuissance.

Elle atrophie la démocratie en faisant de l’élection présidentielle l'alpha et l'oméga de la vie politique de notre pays, la seule élection qui compte en fait puisque c’est du président de la République et de lui seul que procède le pouvoir politique. Depuis le passage au quinquennat, l’élection législative a ainsi été réduite à une sorte de troisième tour présidentiel, dont le seul enjeu est de déterminer l’étendue de ce que l’on appelle même plus « majorité parlementaire » mais « majorité présidentielle », et de décider à qui seront attribués les maroquins ministériels et autres postes et privilèges. L’élection présidentielle devient obsédante pour la sphère politico-médiatique, tandis que les citoyens se désintéressent massivement des autres scrutins, sans enjeu véritable. L’obsession présidentielle atteint parfois un niveau pathologique chez certain membres de la classe politique actuelle, qui contrairement à leurs aînés ont grandi sous la Vème République et rêvent de « faire président » depuis leur enfance. Chaque cinq ans le pays s’abandonne à une espèce de « passion » nationale ou s’affrontent des hommes et des femmes convaincus d’avoir un « destin » présidentiel. Lorsque le président sortant n’est pas candidat, la fable savamment entretenue de « la rencontre d’un homme et d’un peuple » autorise tous les excès démagogiques, comme en 1995 ou plus encore en 2007. Lorsque le président sortant se représente l’élection devient de fait un référendum sur sa reconduction, seul moyen pour le peuple de le tenir comptable de ses actes. Et en général, le président sortant est remercié. Ainsi, en 1981, l’élection de François Mitterrand résulta d’avantage du rejet de Valéry Giscard d’Estaing que d’une véritable adhésion au programme de l’ancien opposant du Général de Gaulle. De même, la victoire annoncée de François Hollande en 2012, si elle se concrétise, sera-t-elle avant tout la conséquence du rejet massif de Nicolas Sarkozy par les Français. Seules exceptions au renvoi du président sortant : 1988, lorsque la première cohabitation permit a François Mitterrand de se présenter en candidat d’opposition, et 2002, lorsque la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour offrit à Jacques Chirac une reconduction qui paraissait pourtant compromise.

Les présidents qui se représentent semblent donc voués, sauf circonstances exceptionnelles, à être désavoués. Au delà des effets de la crise économique internationale, invoqués en 2012 comme ils le furent en 1981, c’est en fait l’impuissance politique que les citoyens sanctionnent, et ce d’autant plus fortement lorsque les promesses de la campagne précédente ont été extravagantes. Car, si elle fut conçue pour établir un pouvoir fort, la Vème République a paradoxalement abouti à rendre impuissant le pouvoir politique en empêchant la mise en place d’un système de gouvernement démocratique moderne et efficace. Le régime qu’elle instaure correspond en effet à une conception et à une pratique « pyramidales » du pouvoir : le pouvoir politique procède du président, au sommet, qui soumet le premier ministre, dirige le gouvernement et le parti majoritaire et subordonne le parlement. La collégialité de l’action gouvernementale est un leurre et les contre-pouvoirs n’existent pas. Les pouvoirs ne sont ni séparés ni équilibrés mais hiérarchisés. Les corps intermédiaires sont ignorés, le peuple et la société civile étant supposés accepter ce qui leur vient d’en haut au motif que le président tire son pouvoir du suffrage universel. Ce système de gouvernement a fonctionné tant bien que mal tant qu’ont duré les « trente glorieuses », cette période de « croissance facile » durant laquelle la société française était encore très hiérarchisée et uniforme. Mais il s’est depuis lors révélé totalement inadapté à la gestion politique d’une société de plus en plus complexe et diversifiée, dans laquelle les interactions politiques, économiques ou culturelles s’organisent davantage en réseau que de manière hiérarchique. Ce régime politique est frappé d’obsolescence et ne permet plus au pays d’inventer et de mettre en œuvre les politiques qui lui permettraient de préparer son avenir tout en préservant sa cohésion.

L’obsolescence du système politique français est d’autant plus dommageable que ses principales caractéristiques – concentration du pouvoir, déresponsabilisation et gestion pyramidale – se sont peu à peu étendus à tous les niveaux de la société française, des administrations et collectivités jusqu’aux entreprises privées. Cette extension a certainement joué un rôle dans la dégradation très nette des rapports sociaux et la généralisation de l’expression protestataire, qui résulte régulièrement dans des accès de violence et de révolte qui ne sont que le pendant d’un système de gouvernement ne laissant que peu de place à la consultation, à la participation, à la recherche de compromis et aux corps intermédiaires.

Frappé d’obsolescence, le régime semi-présidentiel à la française est également, intrinsèquement, porteur de risques de dérive autoritaire ou arbitraire. Si de telles dérives ont jusqu’à présent été relativement contenues en France, on a pu les observer partout où ce régime – totalement anachronique en Europe de l’ouest – a été exporté, des pays d’Afrique francophones jusqu’aux républiques ex-soviétiques. Ces risques du régime semi-présidentiel sont connus depuis longtemps, ils ont été identifiés et documentés dès les débuts de la Vème République par ses opposants, notamment François Mitterrand dans son ouvrage « Le Coup d’Etat permanent » en 1964. Une fois élu à l’Elysée, ce même François Mitterrand se gardera pourtant de tenter de réformer les institutions et se contentera de déclarer qu’elles « ont été dangereuses avant moi et le redeviendront après moi »…

Au final, le régime politique de la France apparaît aujourd’hui comme le principal obstacle à la gestion cohérente et efficace des affaires du pays. Il réduit le pouvoir politique à l’impuissance du fait de son inadéquation aux exigences de la gouvernance démocratique moderne, tout en entretenant le peuple français dans l’illusion que le changement ne peut venir que d’un homme providentiel qu’il faudrait accepter de rendre omnipotent. Plus de deux siècles après avoir fait sa Révolution, la France n’a pas encore réussi à se doter d’un régime politique qui lui permette de gérer ses affaires de manière cohérente et efficace tout en faisant vivre et murir sa démocratie. En 2012, ce régime reste à inventer.

Comme d’habitude, les thèmes institutionnels ont été largement éludés lors de la campagne électorale qui s’achève. Car bien évidemment, ces thèmes ne sont pas au cœur des préoccupations des citoyens en période de crise… Et pourtant, dans un pays comme dans n’importe quelle organisation humaine, la mise en place d’un cadre de gouvernance adéquat est bien souvent un préalable à la résolution des problèmes, et certainement pas une étape dont on peut faire l’économie… Il est permis d’espérer pour l'avenir, car des signes montrent que de plus en plus de citoyens se rendent compte qu’il est parfaitement déraisonnable de faire d’un seul homme « la clef de voûte des institutions » et « le juge supérieur de l’intérêt national », pour reprendre les mots de Michel Debré, père de la Constitution de 1958. Il faut espérer que la France trouvera dans les années qui viennent la force de réformer profondément et démocratiquement son régime politique en bout de course, sans avoir à passer par le type de transitions chaotiques ou violentes qui parsèment son Histoire. Le mieux que l’on puisse souhaiter concernant cette élection présidentielle de 2012, c’est en tout cas… qu’elle soit la dernière élection d’un président de la Vème République.


Moyenne des avis sur cet article :  4.43/5   (7 votes)




Réagissez à l'article

3 réactions à cet article    


  • xray 20 avril 2012 16:37


    Le vote utile 

    « Voter utile », c’est voter pour un candidat qui propose des solutions pour échapper au désastre européen qui vient après les élections. 
    Non pas de voter pour les candidats ultra médiatisés asservis aux intérêts étrangers. 
    (Il y a dix candidats !) 

    Se sortir de l’Europe ! Et, vite ! 
    http://n-importelequelqu-onenfinisse.hautetfort.com/archive/2010/06/30/se-sortir-de-l-europe-et-vite.html 

    Les tueries de Montauban-Toulouse 
    (Une tricherie électorale à l’américaine) 
    http://n-importelequelqu-onenfinisse.hautetfort.com/archive/2012/04/10/mohamed-merah-une-tricherie-electorale-a-l-americaine.html 




    • Ruut Ruut 20 avril 2012 17:02

      Les médiats ont joués un role majeur dans cette parodie de campagne.


      • hans 20 avril 2012 18:30

        D’accord avec l’auteur, la cinquième est totalement obsolète, passons donc ensemble à la SIxième République et à ma connaissance il n’y a qu’un seul candidat qui le propose : Jean Luc Melenchon.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès