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Ce qui unit les mauvais discours de gauche et de droite

 Le discours de gauche et celui de droite ont tous les deux leurs mauvaises pentes, sur lesquelles ils peuvent glisser et devenir mauvais, chacun à sa manière. En glissant sur leurs mauvaises pentes, ils glissent vers des formes pures du mauvais discours de gauche ou de droite, mais jamais peut-être aucun discours réel n'atteint ces formes pures. Ces formes pures restent peut-être de purs concepts, dont la réalisation dans un discours réel est toujours mélangée à autre chose.
 
 Parmi d'autres exemples possibles, une mauvaise pente sur laquelle peut glisser le mauvais discours de droite, est d'avoir tendance à trouver mauvaise toute nouveauté, et trouver bon tout ce qui est n'est pas nouveau : il devient alors réactionnaire. Inversement, le discours de gauche peut glisser vers une tendance à trouver bonne toute nouveauté, et à trouver mauvais tout ce qui n'est pas nouveau : il est alors pris dans ce qu'on pourrait appeler, sans originalité, une "religion de la nouveauté". Il s'agit seulement de mauvaises tendances, qui ont une certaine emprise sur les discours réels, sans jamais peut-être avoir sur eux une emprise totale. Personne peut-être, ne trouve mauvaises toutes les nouveautés, ou ne trouve bonne toute nouveauté. Mais beaucoup d'entre nous ont simplement une certaine tendance, plus ou moins forte, à aimer a priori la nouveauté pour la nouveauté, ou à aimer a priori la non nouveauté pour la non nouveauté. C'est quand cette tendance a une emprise assez forte sur nous, sans encore peut-être que cette emprise soit totale, que nous sommes réactionnaires ou adeptes d'une "religion de la nouveauté".

 Les réactionnaires et les adeptes de la "religion de la nouveauté", tendent à s'opposer sur la question suivante : la nouveauté est-elle en soi une bonne chose ou une mauvaise chose ? Ou encore : du simple fait qu'une chose est nouvelle, est-elle bonne ou bien mauvaise ? La croyance qu'il faut avoir, pour croire qu'une telle question a du sens, est que le simple fait qu'une chose soit nouvelle suffit pour savoir a priori si elle est bonne ou mauvaise. Notre idée du bien se résume alors par le concept de nouveauté : tout ce qui est nouveau est bon, et tout ce qui n'est pas nouveau est mauvais ; ou tout ce qui est nouveau est mauvais, et tout ce qui n'est pas nouveau est bon. La nouveauté, ou la non nouveauté, est alors en soi une finalité, et c'est même la seule finalité. Cette croyance est fausse, parce que notre idée du bien ne doit pas être enfermée dans le concept de nouveauté. Ni la nouveauté ni la non nouveauté ne sont des finalités, ou les seules finalités. Le cycle des saisons peut être notre saison préférée, et nous pouvons aimer surtout, passer de l'été à l'hiver puis de l'hiver à l'été, plutôt que rester toujours en hiver ou en été : la nouveauté peut donc être parfois quelque chose qui nous plait ; et inversement nous pouvons apprécier parfois la stabilité. Mais pour juger qu'une chose est bonne ou mauvaise, il ne suffit pas de savoir qu'elle est nouvelle, car la nouveauté ou la stabilité sont au plus des finalités parmi beaucoup d'autres, si elles ne sont pas de simples moyens permettant parfois d'atteindre des finalités qui les dépassent ; il y a beaucoup de choses nouvelles qui sont mauvaises, et beaucoup de choses non nouvelles qui sont mauvaises, certaines choses qu'on aime voir changer et d'autres qu'on préfèrerait garder stables, certaines choses encore qu'on peut aimer, et qui sont à la fois faites de nouveauté et de stabilité, comme le cycle des saisons, qui se répète perpétuellement.

 Les formes pures des mauvais discours de droite et de gauche sont frontalement opposées, et exacerbent ainsi le clivage entre la gauche et la droite. Mais en même temps, les questions sur lesquelles elles s'opposent sont souvent de fausses questions, qui n'ont du sens que quand on présuppose quelque chose de faux. Le point commun entre la forme pure du mauvais discours de droite, et la forme pure du mauvais discours de gauche, est donc que pour elles, les questions sur lesquelles elles s'opposent ont du sens ; elles sont unies dans la croyance que les présupposés qui donnent du sens à ces questions sont vrais. Les formes pures des mauvais discours de gauche et de droite, ne sont donc pas seulement frontalement opposées, mais elles sont aussi unies dans une croyance fausse ; elles ne sont pas seulement des ennemies, mais elles sont plus exactement des sœurs ennemies.

 Enfermer notre idée du bien dans un concept étriqué, comme par exemple le concept de nouveauté, cela conduit à parler du bien sans tendre à connaître de mieux en mieux le bien : non pas simplement ne pas savoir ce qu'est le bien, mais ne pas même vouloir savoir ce qu'il est ; non pas simplement avoir une conception imparfaite du bien, comme peut-être tous les humains, mais avoir une idée du bien qui ne peut même pas s'améliorer, alors que les humains ont pourtant la capacité de s'améliorer, contrairement, en un certain sens, aux animaux. C'est donc se complaire dans l'attitude des prisonniers de la caverne dont parle Platon dans La république, ces « amateurs de spectacles », « qui regardent les nombreuses choses belles mais ne savent pas voir le beau lui-même [...], et les nombreuses choses justes, mais pas le juste lui-même, et de la même façon pour tout le reste » ; qui « opinent sur toutes choses », mais « ne connaissent aucune des choses sur lesquelles ils opinent ».


 On peut trouver d'autres questions comme celle-là, sur lesquelles le clivage entre la gauche et la droite peut s'exacerber de manière stérile, mais il y en a une peut-être qui est la plus importante de toutes, et sur laquelle le clivage entre la gauche et la droite s'exacerbe aujourd'hui, d'une manière qui n'est pas seulement stérile, mais qui est peut-être un des principaux fondements des souffrances actuelles dans notre pays. Les discours de gauche ont parfois une mauvaise tendance à rejeter l'amour de soi, c'est à dire la volonté de préserver sa vie et son bien être. Ou alors, ils ont tendance à rejeter en bloc des choses où il y a de l'amour de soi, parce qu'il y a aussi dans ces choses quelque chose de mauvais ; ce rejet ne cherche pas alors à voir comment l'amour de soi est présent dans ces choses, et comment on pourrait transformer ces choses pour en retirer ce qui est mauvais sans en retirer l'amour de soi. Les discours de gauche peuvent aussi avoir tendance à rejeter l'amour de ce qui se rapporte à soi, comme sa famille ou son pays ; ou rejeter en bloc, des choses où l'amour de ce qui se rapporte à soi est mélangé à de mauvaises choses. Inversement, les discours de droite ont parfois une mauvaise tendance à rejeter l'amour des autres, le fait de vouloir leur bien ou d'apprécier leur compagnie ; ou rejeter l'amour du tout dont on est une partie et dont les autres sont une autre partie ; ou encore, rejeter en bloc des choses qui contiennent de l'amour des autres mélangé à de mauvaises choses.

 Ces deux tendances opposées sont encore fondées sur une même croyance fausse : pour le mauvais discours de gauche il faut rejeter l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi, parce que l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi est un désamour des autres, et parce qu'il faut aimer les autres ; et pour le mauvais discours de droite, il faut rejeter l'amour des autres, parce que l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi est un désamour des autres, et parce qu'il faut s'aimer soi-même ou aimer ce qui se rapporte à soi. La question sur laquelle les deux discours s'opposent est : faut-il n'aimer que soi-même et ce qui se rapporte à soi-même, ou faut-il n'aimer que les autres ? Ou encore : la seule finalité est-elle l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi, ou bien est-ce l'amour des autres ? Ce qu'il faut croire pour trouver qu'une telle question a du sens, est que l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi, et l'amour des autres, ne peuvent être deux finalités poursuivies en même temps, de manière équilibrée ; ces deux finalités s'excluent alors mutuellement ; notre idée du bien peut alors se laisser enfermer dans l'une ou l'autre de ces deux finalités.

 Quelque chose qui donne à la vie humaine un caractère tragique, est qu'il est très difficile de trouver un bon équilibre entre l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi, et l'amour des autres, et très difficile aussi de savoir comment poursuivre correctement ces deux finalités. Comment donc s'aimer soi-même et aimer ce qui se rapporte à soi, sans désamour des autres. Dans les pièces de théâtre, le tragique peut reposer sur un malentendu, ou sur un dilemme. Par exemple, dans le Roméo et Juliette de Shakespeare, c'est par un malentendu que les deux amoureux se suicident ; dans l'Œdipe de Sophocle, c'est par un malentendu que le héros tue son père et couche avec sa mère ; dans Le Cid de Corneille, Rodrigue doit choisir entre tuer le père de Chimène, pour venger son propre père, ou ne pas venger son père, pour garder l'amour de Chimène ; dans la Médée d'Euripide, l'héroïne doit choisir entre tuer ses enfants pour se venger de son mari, ou ne pas se venger de son mari pour laisser la vie sauve à ses enfants. Le tragique du malentendu est celui de la faiblesse humaine, tandis que celui du dilemme est celui de la cruauté qu'a parfois la condition dans laquelle les hommes sont placés.

 Il y a, dans la difficulté de se laisser guider à la fois par l'amour de soi et par l'amour des autres, à la fois le tragique du malentendu et celui du dilemme, à la fois donc, le tragique de la faiblesse humaine et celui de la cruauté qu'a parfois la condition humaine. Il y a le tragique du dilemme quand il est impossible de se préserver sans faire du mal aux autres. Et il y a le tragique du malentendu quand simplement, on ne parvient pas à voir comment s'aimer soi-même et aimer ce qui se rapporte à soi, sans des formes de désamour des autres, qu'il serait pourtant possible d'éviter, en ayant la vue plus claire.

 Ni les discours de gauche, ni les discours de droite, ne parviennent aujourd'hui à dire comment il faut faire pour bien se laisser guider, à la fois par l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi, et par l'amour des autres. Les deux familles de discours creusent un fossé entre les tenants de l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi, exagérément tourné contre les autres, et les tenants de l'amour des autres, exagérément tourné contre soi ou contre ce qui se rapporte à soi. Divisée de part et d'autre de ce fossé, la grande majorité des citoyens est condamnée à se laisser gouverner par des serviteurs des forces de l'argent, et en plus à avoir du mal à faire vivre un bien commun.

 Il n'y a pas aujourd'hui de discours qui donne à voir clairement, comment nos actions peuvent être bien guidées, à la fois par l'amour de soi et par l'amour des autres, comment toutes les choses dans lesquelles nous mettons de l'amour de nous-mêmes ou de ce qui se rapporte à nous-mêmes, peuvent se concevoir sans désamour exagéré des autres, et comment toutes les choses dans lesquelles nous mettons de l'amour des autres, peuvent être conçues sans désamour exagéré de nous-mêmes ou de ce qui se rapporte à nous-mêmes. Puisqu'un tel discours n'est pas présent aujourd'hui, nous ne pouvons connaître la solution au problème qu'il résout. Dès lors donc, que nous nous demandons si nous connaissons cette solution, nous devrions nous dire que nous ne la connaissons pas. Comprendre qu'on ne connait pas cette solution, et chercher cette solution, c'est alors devenir soi-même sujet à de nombreux spasmes, qui sont l'expression de l'affrontement, à l'intérieur de soi, entre l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi, et l'amour des autres, quand on ne sait pas encore comment les faire cohabiter harmonieusement en soi, quand on ne sait pas aimer les autres sans désamour exagéré voire haine de soi, ni s'aimer soi-même sans désamour exagéré voire haine des autres.

 C'est devenir sujet à de nombreux spasmes, ou c'est vivre quelque chose qui ressemble à ce que vit le héros du Château ambulant de Miyazaki. Dans ce château il y a une porte qui donne sur les ténèbres, dans lesquelles le héros se plonge pour affronter des monstres. Le héros est un magicien, et quand il se plonge dans ces ténèbres, il se change lui-même en une sorte de gros oiseau de nuit, et il fait là un effort qui l'épuise et le consume ; il s'affaiblit, et il risque un jour de ne plus réussir à reprendre son corps d'homme en sortant des ténèbres pour se reposer ; car le corps du gros oiseau de nuit est à la fois un corps plus adapté pour affronter les monstres dans les ténèbres, mais c'est aussi un corps qui a lui-même une emprise, de plus en plus grande, sur celui qui prend ce corps ; quand on prend ce corps on risque un jour d'être trop faible pour échapper à son emprise. Mais le héros croit servir une bonne cause en prenant ce corps.

 De même, on peut croire qu'on est au service d'une bonne cause, quand on laisse s'exprimer en soi les contradictions encore irrésolues pour nous, entre l'amour de soi et l'amour des autres. Cette bonne cause serait de parvenir à produire ce discours dans lequel l'amour de soi ou de ce qui se rapporte à soi, soit bien séparé du désamour exagéré des autres ; ce discours qui serait l'antidote contre bien des souffrances, à la fois les siennes dès lors qu'on ouvre en soi la porte de la lucidité, et les souffrances de beaucoup d'autres.


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5 réactions à cet article    


  • LE CHAT LE CHAT 28 février 2013 14:46

    La langue de bois de l’ENA


    • jef88 jef88 28 février 2013 14:48

      leur point commun ?
      le sectarisme  !


      • credohumanisme credohumanisme 28 février 2013 15:04

        Êtes- vous vraiment sûr que le clivage gauche-droite doive aujourd’hui s’apprécier sur les axes que vous évoquez : novateur-réactionnaire, amour de soi-amour d’autrui ?
        Je n’en suis pas certain. La résistance à la nouveauté peut très bien être le fait de la gauche
        (je ne porte pas ici de jugement sur ces positions)

        - changements dans l’éducation nationale
        - gaz de schiste et plus généralement tout une frange écologiste qui prône un changement mais pour un retour en arrière....

        Sur l’appétence au changement, à la nouveauté on ne peut que constater que c’est bien la France dans sa globalité qui est devenu un « vieux pays » plutôt réactionnaire et que cela a, finalement, peu à voir avec les notions politique de droite et de gauche.

        Quant à l’amour des autres c’est (ou ce devrait être : http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/et-voici-le-second-qui-lui-est-114071) bien aussi une valeur chrétienne de droite.

        La valeur humaniste universelle de l’internationale socialiste (également théorique) est bien loin aujourd’hui ou chaque groupe ouvrier dispute aux autres humains son outil de travail. Relocaliser une usine Renault c’est également priver des milliers de travailleurs (encore plus précaires que les français) de leur gagne-pain.

        Ni le libéralisme ni l’anti-libéralisme ne sont altruistes dans les discours de ce début de 21ème siècle.


        • kiouty 28 février 2013 15:29

          Houlalalalaaaaa, j’ai mal au crâne.

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