Election américaine : « Pourquoi les démocraties choisissent les mauvaises politiques ? »
Je viens de lire l’ouvrage de Bryan Caplan, "Le Mythe de l’électeur rationnel" dont le fil conducteur est : pourquoi les démocraties choisissent les mauvaises politiques ? La théorie qu’il démontre est que les électeurs ne votent pas sur la base d’arguments rationnels.
Le livre commence par la citation suivante :
"Un sympathisant interpella : "
- Gouverneur Stevenson, tous ceux qui réfléchissent sont avec vous !
Et Adlai Stevenson répondit :
- Ce n’est pas suffisant. J’ai besoin de la majorité."
Le contexte de ce livre est l’électorat américain et le bipartisme états-unien et il est intéressant d’en faire une lecture appliquée à l’élection présidentielle américaine, mais les arguments sont assez forts pour être également transposés à la France. A l’issue de la lecture, on est vraiment éclairé sur les mécanismes qui régissent l’issue des élections.
Ce livre mêle sociologie, science politique et économie. Il est basé sur de nombreux ouvrages ou études menées aux États-Unis. Quelques-uns des arguments sont résumés ci-après :
Sur l’ignorance des électeurs :
"En théorie, les démocraties protègent contre les politiques socialement dommageables, mais en pratique elle les favorise :
- les représentants du peuple considèrent plus importants les intérêts spéciaux que l’intérêt public général ;
- les électeurs sont ignorants en politique.
Les électeurs sont plus qu’ignorants : ils sont d’un monde irrationnel : les émotions et l’idéologie sont plus importants que les faits. Du coup, quand les électeurs votent sous l’influence de mauvaises croyances qu’ils pensent bonnes, les démocraties choisissent de mauvaises politiques.
L’irrationalité est sélective : habituellement on n’écoute pas les informations que l’on ne veut pas entendre sur les sujets qui ne nous intéressent pas.
Les économistes disent que c’est parce qu’un vote unique ne compte pas sur le résultat des élections.
Mais, si tous les électeurs étaient avisés, le résultat ne serait pas différent : Si 100 % des électeurs sont avisés, celui qui gagne est celui supporté par la majorité des mieux informés. Si 1 % est avisé, les 99 % restants votent aléatoirement 50/50, mais c’est encore celui qui a le soutien de la majorité des bien informés qui gagne. La leçon est qu’étudier les électeurs moyens est erroné.
Empiriquement, on démontre qu’il y a peu de relation entre le vote et les intérêts matériels. Contrairement aux stéréotypes populaires du riche républicain et du pauvre démocrate, les revenus et préférences politiques sont peu corrélés.
Alors si l’intérêt personnel n’explique pas l’opinion publique, qu’est-ce qui l’explique ? Les électeurs choisissent typiquement les politiques qu’ils pensent être du meilleur intérêt pour leur pays. Mais ils ne se posent pas la question suivante : est-ce que ma politique préférée est réellement celle qui promeut l’intérêt général ?
La gouvernance par les démagogues n’est pas une aberration. C’est la condition naturelle des démocraties. La démagogie est la stratégie gagnante tant que l’électorat a des préjugés et est crédule.
Les politiciens ont néanmoins besoin des électeurs pour gagner leur place. Ils se mouillent rarement pour défendre des politiques impopulaires qu’un groupe d’intérêt leur demanderait - ou les payerait - pour le faire.
Les médias sont également orientés vers la recherche de plus d’audience. La concurrence les incite à couvrir les informations que leur public veut voir."
Sur les biais systématiques d’opinion :
"Les humains sont sujet à des biais : par exemple, on surestime la probabilité de subir un crash d’avion. Des études montrent que plus de 50 % de la population se situe dans la moitié des personnes les plus favorisées. Ceci montre que des biais systématiques existent.
Est-ce que les électeurs ont des biais sur les questions politiques ?
Le public surestime toujours la part des dépenses publiques consacrées à l’aide sociale et à l’aide étrangère et sous-estime la part consacrée à la défense nationale et la Sécurité sociale.
Biais anti-marché : depuis plus d’un siècle, l’opinion publique des pays occidentaux a été habituée à ce qu’il ait des choses comme "la question sociale" ou "le problème du chômage". Traduisant le fait que le capitalisme allait à l’encontre des intérêts des masses, en particulier à l’encontre des salariés et des petits agriculteurs. La réalité est que non seulement le capitalisme a permis à la population de se multiplier, mais aussi d’augmenter son niveau de vie à une vitesse sans précédent.
Un exemple : pourquoi laisser payer et polluer ? Faire payer pour polluer est une politique qui permet d’inciter à protéger l’environnement pour un coût public le plus faible possible.
Biais anti-étranger : c’est la tendance à sous-estimer les bénéfices des interactions avec l’étranger. Si un pays étranger peut nous approvisionner avec un produit moins cher que ce que nous pouvons faire, il est préférable d’investir sur l’industrie des produits pour lesquels nous avons des avantages.
Le degré de biais dépend du pays : les volumes d’échanges ou déficit/excédent commercial sont secondaires par rapport aux similitudes physiques, linguistiques et culturelles. Il semble y avoir moins de danger venant du Canada ou du Royaume-Uni que venant du Japon ou du Mexique.
Biais du "faire-travailler" : économiser le travail, augmenter la productivité est souvent perçu comme allant contre le progrès (contre l’intérêt général). Or, employer plus de travailleurs que nécessaire gâche du travail valorisable. Si vous payez un travailleur à se tourner les pouces, vous pourriez l’employer à faire quelque chose de socialement utile.
Biais pessimiste : c’est la tendance à sur-estimer la gravité de problèmes économiques et sous-estimer les performances passées et présentes de l’économie.
Le public pense généralement que la situation économique n’est pas aussi bonne qu’elle ne l’est réellement. Le présent a souvent l’air pâle comparé aux bons vieux jours : les nostalgiques ignorent souvent les améliorations des produits et services, ou simplement le prix qu’ils payaient il y a quelque temps pour certains produits bon-marché d’aujourd’hui."
Sur la rationalité/l’irrationalité des choix politiques :
"Sur le marché de la consommation, si les individus n’en savent pas assez, ils en payent le prix en opportunités manquées, s’ils en savent trop, ils en payent le prix en temps gâché à s’informer. La démarche prudente est d’en apprendre suffisamment pour prendre une bonne décision.
Si l’on considère que le temps c’est de l’argent, acquérir des informations politiques prend du temps et le bénéfice attendu en retour est approximativement nul (un vote n’est pas de nature à faire changer les résultats des élections). Un individu rationnel choisit donc d’être ignorant.
Lorsque les personnes décident si elles vouent leurs efforts mentaux à des informations factuelles susceptibles d’éclairer leurs choix politiques ou bien à des détails insignifiants, ils choisissent ces derniers.
Tous les hommes - par nature - souhaitent apprendre, mais pas des choses désagréables => ils veulent apprendre sans sacrifier leur point de vue.
Les marques aident les acheteurs plus que ne le font les comparatifs d’achat. Peut-être les étiquettes jouent-elles le même rôle en politique. On achète souvent sur les recommandations d’un ami, la même chose pourrait arriver en politique.
Les personnes croient que leurs opinions sont vraies jusqu’à ce qu’on les fasse s’engager : les faire parier de l’argent modère leurs points de vue, c’est-à-dire change leurs pensées et il est possible qu’ils se rétractent.
Les gens dépensent de l’argent hypothétique plus facilement que l’argent réel : on dit plus facilement que l’on va acheter quelque chose qu’on ne le fait réellement. Une étude récente montre que les gens ont moins confiance dans leurs opinions lorsque qu’il faut parier de l’argent sur celles-ci.
Ces mêmes personnes qui pratiquent l’autodiscipline intellectuelle lorsqu’elles travaillent, réparent une voiture, achètent une maison, se laissent aller lorsqu’il s’agit de se faire une opinion sur le protectionnisme, la régulation des armes ou des médicaments.
Exemple de la peine de mort : la discipline intellectuelle veut que l’on s’informe sur des arguments objectifs avant de se faire une opinion. Au lieu de cela, chacun part sur des émotions fortes pour se fonder une opinion.
On dit que chaque vote compte, alors que tout le monde sait bien dans son subconscient qu’un vote ne compte pas.
Puisque l’on sait que notre vote n’est pas de nature à changer le résultat de l’élection, on peut tranquillement voter pour des politiques qui nous donnent bonne conscience même si l’on sait qu’elles seront désastreuses en pratique."
Pour assimiler ces arguments et voir la démonstration de chaque argument repris ci-dessus, je vous conseille de lire l’intégralité du livre (The myth of the rational voter - Bryan Caplan - Editions Princeton University Press - non traduit en français pour l’instant, mais écrit d’un style facile à lire). Un reproche néanmoins : ce livre libéral privilégie l’aspect économique de la politique ainsi que l’opinion des économistes comparée à l’opinion de l’ensemble de la population.
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