Élysée 2022 (14) : L’envol d’Éric Ciotti ?
« Les Français n’ont jamais autant adhéré aux valeurs de droite que je porte : autorité, défense de notre identité et promotion de la liberté économique. Plus que jamais, je pense que je peux gagner. Ma victoire peut être la base, autour des Républicains, d’un rassemblement de tous les électeurs de droite (…). Quand la droite est de droite, il n’y a pas de place à l’extrême droite. » (Éric Ciotti, "Le Figaro" du 25 novembre 2021).
La révélation de cette précampagne pour la candidature LR à l’élection présidentielle, c’est Éric Ciotti. Les trois autres candidats Valérie Pécresse, Michel Barnier et Xavier Bertrand sont d’une autre stature, plusieurs fois ministres, longue expérience politique, parfois chef de parti, ils n’ont pas été Premier Ministre ni Président de la République comme l’avaient été les candidats à la candidature LR en 2016, mais ils avaient déjà acquis une certaine légitimité à gouverner et les trois étaient premiers ministrables. Quant à Philippe Juvin, c’est le "petit candidat qui veut se caser", au demeurant brillant. Éric Ciotti, c’était le petit candidat qui est devenu grand. Le vilain petit canard.
À la veille du congrès LR, tout reste possible. Le vote des adhérents aura lieu le 1er et 2 décembre 2021 pour le premier tour. Éric Ciotti a réussi à amorcer une dynamique qu’on ne ressent pas chez ses concurrents. Pourquoi ? Probablement parce qu’il n’a rien à perdre, il s’était présenté parce qu’avec l’absence de Laurent Wauquiez, il trouvait qu’il manquait une voix, la voix la plus droitière de LR.
L’un de ses thèmes est d’être contre la prudence car il n’y aurait plus le temps d’être prudent, la prudence serait un luxe. C’est une réaction aux thèmes de Michel Barnier, dont on disait qu’il était le chouchou de l’appareil militant, et qui, tout en soutenant les mêmes délires droitiers (à cet égard, il n’y a pas beaucoup de différences entre les candidats), prône systématiquement la prudence, qu’on ne peut pas tout bouleverser, que la société française est fragile et on l’a vu à chaque grande réforme (la dernière en date est la réforme des retraites avortée). Mais Éric Ciotti fait au contraire connaître sa différence et avec lui, ce sera du tout ou rien, ça passe ou ça casse : « Mon projet est un projet de rupture radicale. Pour redresser la France, nous devons fermer le robinet d’eau tiède. ».
Comme François Fillon dont il se réfère, il suit son fil de campagne et montre aussi son originalité. Et pourtant, il y a une certaine imposture à se référer à François Fillon. Certes, il est le seul candidat LR à avoir participé au grand meeting du Trocadéro le 5 mars 2017. Toutefois, une personnalité comme François Baroin, qui était également au Trocadéro, s’est affirmée par la suite piégée par ce meeting, car il était prévu que François Fillon annonçât son abandon.
Mais l’imposture est ailleurs, elle est que François Fillon, dès sa défaite au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, a clairement annoncé qu’il appelait à voter pour Emmanuel Macron afin de faire barrage à Marine Le Pen. Or, Éric Ciotti, au contraire, se vante d’être le seul candidat LR à ne pas avoir voter pour Emmanuel Macron au second tour (il a voté pour François Baroin), ce qui montre qu’il n’a pas suivi du tout la ligne politique de François Fillon. Et au début de sa candidature, il avait maladroitement annoncé que dans le cas d’un second tour entre Éric Zemmour et Emmanuel Macron, il voterait naturellement pour le premier (maladroitement car lorsqu’on est candidat, on devrait toujours se placer dans l’hypothèse où l’on gagne).
Malgré cette contradiction (les gens ont la mémoire courte), Éric Ciotti a prouvé sa grande faculté à mobiliser les militants. Il se revendique de beaucoup de monde, ce qui est presque "mignon" (naïf) car à force de vouloir ratisser trop large, il risque d’éveiller les soupçons d’hypocrisie (même si je ne doute pas de sa sincérité, les identités politiques sont toujours complexes). Ses revendications sont ainsi nombreuses : François Fillon, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, De Gaulle, Georges Pompidou, mais aussi Philipe Séguin, Charles Pasqua, Valéry Giscard d’Estaing, et même Simone Veil ! Des personnalités pas forcément compatibles les unes avec les autres.
Dans son discours au conseil national de LR le 20 novembre 2021 (une sorte de grand oral devant les militants), il a rappelé les trois axes de sa campagne : l’autorité, l’identité et la liberté. Les deux premiers thèmes sont donc des thèmes essentiellement zemmouriens, qui a aussi pour volonté de conforter l’idée qu’il est le meilleur candidat anti-Macron. Dans cette surenchère droitière, les candidats LR se revendiquent les plus anti-Macron mais jamais ils ne se montrent comme les candidats les meilleurs pour faire barrage à la (double) extrême droite ; il est là, le malaise du congrès LR.
Le programme d’Éric Ciotti est un livret de 30 pages intitulé "Pour que la France reste la France" (qui est une sorte de déclinaison de la phrase zemmourienne : "La France n’a pas dit son dernier mot") avec des parties assez élaborées. Et avec l’exploit de n’insérer aucune photo du candidat !
Il met Emmanuel Macron dans le même sac que François Hollande et évoque les dix ans de désastre, ce qui est peu sérieux dans l’analyse politique : « Depuis 2012, notre pays est engagé comme jamais sur la pente du déclin. Emmanuel Macron est depuis dix ans l’un des principaux responsables de cette décennie du déclassement. ».
Le député de Nice commence d’ailleurs très fort son programme avec ces phrases que ne renierait pas l’extrême droite qui déteste la France d’aujourd’hui : « Oui, notre pays est menacé de dissolution. Je refuse que la France disparaisse. Le peuple de France ne veut pas disparaître. Le peuple français refuse que ses valeurs, ses modes de vie, son identité, son histoire soient effacés. ». Management par la peur. Ce n’est pas ce qui va renforcer la grandeur de la France.
Parmi les propositions phares (je n’évoque pas la sécurité et l’immigration qui ont été longuement débattues), il y a notamment : la suppression des droits de succession (pour les patrimoines de moins de 5 millions d’euros), l’élargissement des exonérations des donations entre grands-parents et petits-enfants à 150 000 euros tous les cinq ans, la sortie de la résidence principale de l’impôt sur la fortune immobilière, l’instauration d’un taux unique à 15% pour l’impôt sur le revenu, la baisse de l’impôt sur les sociétés de 25% à 20%, le retour aux 39 heures pour les fonctionnaires, payées 38 heures, la suppression de 250 000 postes de fonctionnaires, le rétablissement du septennat renouvelable une fois, l’abrogation de l’interdiction de cumul d’un mandat parlementaire avec un mandat d’exécutif local (François Fillon avait refusé de rétablir la possibilité de ce cumul en 2017), la suppression du Conseil Économique, Social et Environnemental, la suppression du mille-feuilles territorial au profit de deux collectivités : les communes et les "provinces" (une cinquantaine), une nouvelle réforme des retraites (âge légal de départ à 65 ans, alignement public/privé, suppression des régimes spéciaux, indexation des pensions sur le coût de la vie), l’abrogation de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain), l’exonération des plus-values immobilières imposables pour un bien détenu depuis plus de dix ans, la "destruction des grandes cités, des zones de non-droit", l’inscription des racines judéo-chrétiennes dans la Constitution, l’interdiction du burkini dans les piscines publiques et sur les plages, la reconnaissance de Jérusalem comme capital de l’État d’Israël, l’instauration de l’uniforme obligatoire au collège et au lycée, la levée des couleurs, le chant de la Marseillaise, la fin du collègue unique et l’apprentissage dès 14 ans, l’interdiction de l’écriture inclusive à l’école et dans l’administration, la programmation de six nouveaux EPR (centrales nucléaires), le développement d’un plan hydrogène et électricité dans les transports (mais Emmanuel Macron vient déjà de renforcer le plan hydrogène à 9 milliards d’euros le 16 novembre 2021 à Béziers) , etc.
Ce catalogue à la Prévert est sans aucun doute trop précis dans tous les domaines mais a le mérite de montrer que le candidat a réfléchi à une vision globale de la France et des Français (tandis que Michel Barnier, par exemple, considère que le Président de la République donne simplement les grandes impulsions).
Cela dit, on y lit quelques contradictions et je prends cet exemple de la politique familiale qui propose, avec raison, de « rétablir l’universalité des allocations familiales pour rendre son efficacité à notre politique familiale ». Cependant, elle entre en contradiction à ce penchant sécuritaire énoncé quelques pages précédentes : « supprimer les allocations familiales pour les parents dont les enfants ne respectent pas les valeurs de la République » (cette dernière mesure est d’ailleurs triplement douteuse mais ce n’est pas le sujet).
Dans une interview accordée à Marion Mourgues pour "Le Figaro" publiée le 25 novembre 2021, Éric Ciotti a annoncé qu’élu Président de la République, il nommerait Laurent Wauquiez Premier Ministre et Bruno Retailleau Ministre de l’Intérieur. Il a clairement affirmé que « l’urgence absolue est de faire battre Emmanuel Macron », pas de faire barrage à l’extrême droite. Il a d’ailleurs dit à cet égard : « Quand la droite est de droite, il n’y a pas de place pour l’extrême droite. ». Sauf que dans son programme, il devrait plutôt dire : quand la droite est d’extrême droite.
Il a proclamé encore : « Si je gagne ce congrès, je conduirai une politique de droite sans ouverture ni hésitation. (…) Je suis profondément convaincu de pouvoir être le pivot républicain d’un vrai projet de renaissance française autour des valeurs de la droite. ». Le rêve d’Éric Ciotti est de rassembler les électeurs LR avec ceux de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Et pourtant, la formule de Jean-Marie Le Pen revient sans cesse : il vaut mieux l’original que la copie.
Mais cette formule peut se retourner en sa faveur : pour l’instant, en effet, c’est un combat interne. Par une erreur de discernement des trois candidats "modérés" (Xavier Bertrand, Michel Barnier et Valérie Pécresse), ils ont cassé cette image de "modérés" pour aller errer sur des zones de l’extrême droite pour lesquelles ils ne sont pas vraiment crédibles. Avec ce critère, Éric Ciotti est le plus crédible, le plus cohérent, et surtout, le plus constant : lui a toujours été ainsi.
Dans tous les cas, alors qu’il voudrait récupérer notamment « les électeurs qui nous ont quittés pour Emmanuel Macron », comme ce serait une urgence absolue de faire battre le Président sortant, je ne vois pas comment ceux-ci pourraient revenir. À moins d’une opération du saint Esprit. Cette semaine sera décisive dans la précampagne présidentielle et Éric Ciotti croit sérieusement à ses chances. Le terreau lui est effectivement favorable.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 novembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Élysée 2022 (15) : quatrième débat LR.
Élysée 2022 (14) : L’envol d’Éric Ciotti ?
Renaud Muselier.
Philippe Juvin.
Élysée 2022 (13) : troisième débat LR, bis repetita.
Élysée 2022 (12) : Surenchères désolantes pendant le deuxième débat LR.
Élysée 2022 (11) : Michel Barnier succédera-t-il à Emmanuel Macron ?
Élysée 2022 (10) : Éric Ciotti, gagnant inattendu du premier débat LR.
Élysée 2022 (7) : l’impossible candidature LR.
Les Républicains et la tentation populiste.
Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.
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