Extrême droite, peurs... fausses et vraies solutions
Il est malheureusement clair que nous assistons à un développement important des populismes et de l'extrême droite en Europe, et ceci même là
- où il n'y a pas de problème de sécurité ou d'immigration (banlieues sans problèmes)
- où il n'y a pas de véritable problème économique (Autriche, Suisse, Danemark par exemple).
1. Des peurs puissantes, logiques dans un monde en mutation
Diverses peurs semblent bien être des facteurs explicatifs importants de ces développements rapides. Nous en avons identifié trois principales, qui se renforcent mutuellement d'ailleurs :
- la peur de l'autre, de l'étranger, du msulman, de l'inconnu.
Cette peur se constate même là où il n'y a aucun problème d'insécurité, ou de près ou de loin liés à une immigration. les banlieues résidentielles en sont un excellent exemple. Les gens ont peur de ce qu'ils voient à la télévision, qui met l'accent sur les difficultés (il suffit d'un problème quelque part en rance pour que toute la France soit au courant, alors qu'il n'en est pas de même pour les aspects positifs).
Un exemple personnel, volontairement ancien, montre bien cette amplification-déformation : à la fin des années 1970, alors étudiant en région Parisienne, j'avais un ami étudiant, fils d'agriculteurs dans un village 'perdu' dans la campagne du Sud de la France. Ses parents étaient affolés qu'il ait à prendre le métro, puisque ce qu'ils voyaient aux informations leur faisait penser que c'était vraiment dangereux. Alors qu'il n'y avait que très peu d'agressions, et la probabilité d'en subir était bien plus faible que celle de se faire écraser sur la route.
C'est bien la peur de ce qu'on ne connait pas, et on s'imagine toutes sortes de choses, les plus improbables. La peur du musulman, qui n'a pas les mêmes habitudes, les mêmes pratiques, la même culture (au sens large) que nous fait bien sûr partie de ces peurs de l'inconnu.
- la peur du changement, ou plus précisément la peur "d'être changé" : Comme le dit un consultant, "il n'y a que les bébés qui aiment être changés !". Notre monde globalisé (mondialisation) en mutation rapide et accélérée, nous apporte un flux régulier, et même croissant, de produits et services nouveaux, de changements dans les façons de procéder, de penser les choses, etc. Avec une quasi obligation de nous adapter.
Cela tend à nous déstabiliser, avec la perte de perdre nos repères, jusqu'à même notre "identité". Ces peurs expliquent une grande partie du développement des 'mouvements identitaires', du repli sur soi, sur sa 'communauté', et de la volonté de retrouver une 'autorité' mythifiée, perdue depuis des décennies. Avec le sentiment souvent éprouvé, mais somme toute très classique du nostalgique et sempiternel "c'était mieux avant".
La peur de l'installation d'une mosquée dans sa ville fait partie de ces peurs, comme si l'irruption d'un symbôle de ce qui existe depuis des décennies en France était insupportable, et était de nature à bousculer unéquilibre supposé très fragile de notre façon de vivre et de notre culture.
Entendons nous bien : il ne s'agit pas de juger ces peurs, que nous avons tous plus ou moins ! Ni de les nier. Il s'agit simplement de les relativiser, et aussi de les accepter telles qu'ells sont, mais pas de les grossir. Il s'agit de donner des informations permettant à chacun de mieux comprendre ce qu'il se passe, de donner un sens à ces évolutions (et non de rester à la surface des choses). Et plus fondamentalement d'accepter que les personnes, les groupes et les organisations sont sujettes à ces peurs, qui font partie de la vie. Et de mettre en place des processus permettant d'accompagner ces changements, et offrant à chacun d'apprivoiser à son tour ces mutations, souvent rapides.
Rappelons "la courbe du changement", les étapes du deuil (Elisabeth Kübler Ross). Un changement est généralement vécu, par une personne, un groupe ou une organisation, sous forme d'une succession de phases, succession non linéaire, et non automatique : le déni, la colère, le marchandage, la tristesse et l'acceptation. Qui débouche sur d'autres phases, l'enthousiasme, l'exploration de diverses et nouvelles possibilités, la joie et la création de nopuvelles réalités.
Prenons l'exemple de celui qui apprend par son médecin qu'il va devenir aveugle, suite à un accident de la route : 1. NON ! ce n'est pas possible ! Pas moi ! 2. Une très grande colère, qui se concrétisera sur tout et n'importe quoi. 3. Dites, docteur, je vais garder un dizième à un oeil ?!! 4. Une profonde tristesse, qu'il faut accepter (comme toutes les phases précédentes). 5. L'acceptation avec 6. L'enthousiasme d'avoir survécu à l'accident, et d'être bien vivant, même aveugle. 7. L'exploration de ce qu'il est possible de faire étant aveugle. 8. la joie de développer les autres sens que la vue, sous-estimés auparavant 9. l'ouverture à de nouvelles réalités professionnelles, personnelles, familiales, etc.
- la peur de perdre le contrôle. Dans une société qui tend à vouloir zéro risque, zéro mort, et où tout serait sous contrôle, cette peur est souvent associée à un sentiment d'impuissance. La peur d'être "envahi" par des 'hordes d'immigrés, de réfugiés, de musulmans' en est un excellent exemple.
Ces peurs sont probablement le prolongement au niveau collectif des peurs précédentes plus individuelles : c'est la crainte que notre façon de vivre, nos coutumes, notre mode de vie ne soient perturbés par des mouvements d'ampleur au niveau migratoire par exemple, par l'irruption concrète d'une mosquée dans un quartier proche, etc.
Ces différentes peurs ne sont pas complètement disjointes entre elles, et elles se renforcent mutuellement.
2. Des peurs plus spécifiques des pays en crise économique
Et à ces peurs assez générales dans les pays européens, ou nord américains, s'ajoutent d'autres peurs, plus spécifiques à des pays en crise économique comme la France ou les pays du Sud de l'Europe : la peur du déclassement. Dans une société où l'ascenceur social est bloqué, où il n'est plus certain que ses enfants aient de meilleures conditions de vie que soi, où le taux de chômage est fort et même massif, le sentiment d'être soi-même déclassé, et de voir on mode de vie altéré progresse, et renforce les peurs précédentes.
Comment s'étonner alors que la France soit particulièrement concernée par cette peur du déclassement, mais aussi par toutes les autres peurs, véritable terreau pour la développement des populismes et de l'extrème droite ?
3. Des peurs qui trop souvent aveuglent, altèrent le jugement, paralysent
La peur est rarement bonne conseillère. Cela arrive cependant, quand cela permet de prendre enfin en compte une réalité niée auparavant. Par exemple, Renault perdait 1 milliard de francs par mois vers 1985, mais les salariés étaient persuadés que la Régie était immortelle, et donc que rien de grave ne pouvait arriver... jusqu'au jour où il est apparu aux yeux de tous que Renault pouvait fermer, ce qui créerait des dizaines de milliers de licenciements !
Alors un incroyable retournement se constata, et l'entreprise put entreprendre, et surtout réussir, des changements considérables. Avec le redressement spectaculaire de la productivité de Renault en 1985 et 1986, et la mise en oeuvre d'une politique de Management de la Qualité (Qualité totale), avec des résultats exceptionnels, permettant même de surpasser les entreprises allemandes !
Mais souvent la peur fait perdre nombre de ses moyens, comme le stress. Dans les deux cas, nos capacités de réaction, notre réflexion est limitée, notre créativité bloquée. Et quand la peur débouche sur des résultats positifs, c'est généralement parce qu'un certain nombre d'actions ont été entreprises auparavant, qui avaient permis d'identifier des mesures à prendre en cas de difficultés, ou de crise grave.
Le management des risques consiste par exemple à lister les différents risques, en évaluer la probailité et la gravité, et à définir une réponse à chacun des risques les plus probables et/ou graves. Quand le risque survient, les actions adéquates peuvent être réalisées, dans l'ordre approprié, avec les informations utiles, malgré la peur ou le stress créés.
Rappelons aussi que le stress est lié à notre difficulté d'agir (et l'adrénaline nous donne plus d'énergie pour réaliser l'action entreprise), et que la peur est plus faible dans le feu de l'action : ce n'est qu'après que la peur se manifeste le plus fortement.
4. Des peurs qui gênent surtout ceux qui devraient y être moins exposés...
Remarquons également que les peurs sont paradoxalement plus fortes chez ceux qui bénéficient de conditions stables, de revenus corrects ou satisfaisants, d'un statut les protégeant (comme celui de fonctionnaire). Car ces personnes sont souvent moins amenées à solliciter leurs ressources, leurs capacités de résilience que les personnes très exposées à des conditions de vie, de travail plus précaires, ou plus dangereuses.
Et que les peurs sont en fait très liées à une insécurité intérieure (personnelle) : c'est quand nous ne sommes pas très sûrs de nos valeurs, de notre position, de notre capacité à faire face, que nous donnons le plus prise à ces sentiments. De même que ceux qui montrent un certain autoritarisme ont en fait peu sûrs d'eux, ont une confiance en eux assez faibles, et qu'ils éprouvent le besoin d'affirmer haut et fort ce qu'ils disent pour cacher leur vulnérabilité personnelle. Au contraire de ceux qui dégagent une autorité naturelle, et qui n'hésitent pas à se montrer ouverts, accessibles à la discussion, car ils ne craignent pas les échanges, le questionnement.
A contrario, ceux qui ont l'occasion, par obligation ou par choix, d'utiliser leurs capacités professionnelles et personnelles, dans des environnements peu stables, peu sûrs (export, concurrence très vive, travail dans une start up par exemple) peuvent s'appuyer sur leurs succès réguliers, sur leurs relations entre collègues, et avec leur conjoint, pour prendre des risques raisonnés, pour trouver des réponses appropriées, pour imaginer des façons de faire différentes, etc.
Ils développent en fait leur confiance en eux-mêmes, en leurs collègues, en leur entreprise / asscoiation, en leur pays.
5. ... Ce qui indique les vraies pistes de solution...
Les solutions pour chacun sont donc à plusieurs niveaux, par exemple :
- au niveau individuel et professionnel :
- prendre au travail plus de responsabilités, plus de risque, plus d'initiatives ; et en être gratifié (il est nécessaire que l'entreprise récompense cette 'prise de risque' personnelle)
- aller vers l'autre, vers l'inconnu. Constater à son tour que chacun dispose de capacités insoupçonnées, qu'on peut mobiliser pour relever des défis, petits ou grands
- dans sa vie de couple, et en famille :
- oser sortir des habitudes, des routines, du train train quotidien
- accepter de se lancer dans des projets motivants
- oser aborder l'autre (conjoint, enfant) sur des sujets délicats. En préparant ces occasions, bien sûr, mais aussi en en acceptant d'improviser, de trouver en situation la réponse appropriée
- dans la vie associative, municipale, citoyenne :
- se saisir de problèmes qu'on déplore, au niveau de sa commune par exemple, et concrétiser sa volonté de changement, d'influer sur les choses en agissant de façon pragmatique
- s'organiser collectivement pour centrer les actions sur des objectifs réalistes et ambitieux, et pour réussir ensemble des projets fédérateurs.
- au niveau personnel :
- participer à des actions de formation, de développement personnel, pour agumenter sa capacité de répartie, sa confiance en soi, sa capacité à lâcher prise, à accueillir le changement
- se faire aider concrètement, se faire coacher, pour bénéficier d'éclairages personnalisés en fonction des situation vécues.
6. ... et non pas essayer de se 'refugier' auprès de partis politiques qui alimentent la peur, sans y apporter de solution !
Les vraies solutions sont très variées, elles peuvent bien sûr consister à agir au niveau politique ou syndical, dans le sens décrit ci-dessus. Pour contribuer à résoudre les problèmes et difficultés, bien réelles, et le faire avec d'autres, ce qui permet des réussites collectives.
Mais elles ne consistent pas à essayer de se rassurer fictivement, en rejoignant des partis où l'on ne trouvera que des personnes qui partagent les mêmes peurs que soi, sans pouvoir agir vraiment sur les problèmes. Et en cultivant l'illusion qu'un repli sur ses frontères permettrait de diminuer et non pas augmenter encore le chômage massif, qu'un nouvel Etat providence (retraite à 60 ans, décisions irréalistes sur le SMIC) résoudra les problèmes, qu'un Etat policier pourra empêcher l'immigration irrégulière et le terrorrisme international.
Car toute la question est de savoir si les 'solutions' présentées par le FN (par exemple) sont vraiment des solutions : le programme FN, si l'on peut utiliser ce terme de programme, n'est-il pas un recueil de mesures qui ont maintes fois été essayées ailleurs, et qui ont TOUJOURS débouché sur du pire : guerre civile ou externe, destruction de richesses, crise économique agravée, famine, sans même parler du reste (exclusions de minorités, régimes autoritaires et policiers, dictatures bien réelles)
Alors que nombre de citoyens français votent FN simplement "pour faire bouger les partis traditionnels", ce qui est extrêmement compréhensible ! mais complètement contre-productif par rapport à des objectifs, très sains, d'améliorer la situation économique et sociale d'un pays.
Si cela semble bien rassurant pendant la phase de conquête du pouvoir (être avec des personnes qui partagent les mêmes peurs, avoir l'impression d'être moins seul, avoir le sentiment de participer à une oeuvre positive de redressement), bien commode puisque n'ayant pas à gérer les vrais problèmes rencontrés par le pays, c'est bien insuffisant et bien peu productif des vraies solutions(à la peur) citées plus haut, et des vraies solutions politiques, qui n'ont JAMAIS été du côté des partis extrémistes (de droite comme de gauche) !.
Pour avoir une idée de ce que seraient vraiment les décisions du FN, si Marine Le Pen devenait présidente de la République, lire l'excellente Bande Dessinée La Présidente" de François Durpaire et Farid Boudjellal.
Les auteurs ont imaginé les premières décisions de M. LP si elle était élue Présidente. Cela ne se termine pas bien, malheureusement... "Cette victoire d'une candidate, incarnant le repli monoculturel et la peur de la différence, aurait des conséquences économiques, diplomatiques, politiques, etc. Tout électeur doit y réfléchir et pour cela, savoir ce qui se passerait si.... Le récit n'est pas caricatural : il applique à la lettre le programme du Front national dont il cite d'ailleurs des extraits reproduits à l'identique. C'est là l'intérêt que de partir de ce qui est réellement proposé. [1] [2]
Rappelons également que le FN n'a jamais voté les lois anti terroristes ( [3] [4], que le FN se fait financer par la Russie (comme patriotisme et comme souci de la démocratie on fait mieux !), et qu'il ne respecte pas non plus les lois de la république en matière de financement des partis politiques ! (Nouvelles révélations sur la machine à cash du FN.. [5] )
A contrario, passer à l'acte avec des associations réunies dans le collectif Bleu Blanc Zèbre (Alexandre Jardin voir son blog) et rejoindre "les 15 00 faizeux" prêts à se retrousser les manches pour faire changer les choses est bien plus efficace, à la fois pour gérer ses peurs et pour obtenir des résultats gratifiants, et permettant à beaucoup d'autres des progrès significatifs.
Et bien sûr rejoindre les partis non extrémistes, pour faire vraiment évoluer les choses en interne. Il y a du travail ! Et c'est certainement moins confortable que de se réfugier dans les illusions du Front National !
[1] "La Présidente" : pour savoir ce qui se passerait
[2] Et regarder les émissions sur LCP "La cité du livre"
[3] "Marine Le Pen n'aime pas la France"
[4] Le vote FN nous affaiblit face à l'islamisme
[5] Challenges (10 décembre 2015) dévoile de nouveaux éléments sur les rouages financiers du Front national et du micro-parti Jeanne qui font l’objet d’une enquête pénale.
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