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Fascination du djihad

Fascination du djihad, Fureurs islamistes et défaite de la paix, de Gabriel Martinez-Gros, PUF 98p, 12€

Gabriel Martinez-Gros est spécialiste d’histoire de l’Islam médiéval, d’al-Andalus et d’Ibn Khaldoun. Il est l’auteur d’une Brève histoire des empires.

Ce livre déroule une historicité tout-à-fait étonnante (unique), puisant son mode de pensée à une géopolitique planétaire, commençant à la constitution des grands Empires (l'Antiquité, bien que le mot n'y soit pas). Il renverse aussi la perception de l'effet de la violence : la violence crée l'histoire ; cela ne la rend pas plus aimable, elle a cependant une raison d'être, une fonction, un usage, bref, du sens, à l’opposé de notre façon de voir par laquelle elle nous apparaît comme un archaïsme dont on n'arrive pas se débarrasser et dont toute manifestation doit être moralement condamnée.

Pour sortir du face à face mortifère et répétitif entre l'Islam et l'Occident, à propos de la violence de l'Islam, Gabriel Martinez-Gros choisit deux « juges de paix » : Ibn Khaldoun (1332-1406) et... la Chine ; l'histoire de la Chine, dans sa pensée si hétérogène à celle liée au bassin méditerranéen montre la validité de la théorie d'Ibn Khaldoun. Elle est évoquée de façon un peu marginale et anecdotique. Gabriel Martinez-Gros va ainsi lier économie et politique, histoire et philosophie.

Ibn Khaldoun propose un paradigme incroyablement loin de tout ce qui a cours ici et maintenant : c'est l'impôt qui crée l'augmentation de richesse, parce qu'il oblige à travailler, à rechercher des gains de productivité et qu'il concentre la richesse produite dans des centres, les villes  ; la concentration urbaine crée des métiers, par la division du travail, donc des richesses qui ne peuvent exister dans les campagnes trop dispersées (médecins, architectes, juristes, enseignants). L'impôt s'obtient par la coercition, cela va de soi. L'empire est pacifiant, les démonstrations de force coûtent cher et détournent une part de la richesse créée. L'empire organise donc la séparation de ceux qui produisent (les sédentaires) et de ceux qui exercent la violence (les bédouins, ce mot ne signifie pas « nomades », mais des hommes appartenant à des tribus excentrées très solidaires et violentes entre elles, violentes avec ceux de l'Empire). Il se forme des peuples de pilleurs parce qu'il y a des choses à piller (p 31). Les sédentaires et les bédouins sont incommensurables : ce sont presque deux espèces distinctes (p30). L'empire mène parfois des conquêtes et intègre certaines de ces tribus, les prive de leur violence et de leur solidarité, les fond dans la masse ; l'empire tue ceux qui le font (p16). Dans la Rome Antique, ceux qui tiennent le rôle des bédouins s'appellent les Barbares. Entre le VIème siècle et le IIème siècle avant notre ère, l'humanité s'organise en grands Empires perse, hellénistique, romain, chinois (p19).

L'exception de l'Occident (p20-21) : Après la chute de l'Empire romain, l'Europe connait une forme hybride, exceptionnelle : le système féodal. La puissance y est rurale, la collecte de l'impôt faible par manque de force coercitive des pouvoirs pour cette collecte. Ces pouvoirs locaux étant en violence entre eux en permanence. Les villes s'y constituent tout de même. Ibn Khaldoun n'aurait pu comprendre ce Moyen-Age, il l'aurait interprété comme le fournisseur des bédouins de l'empire d’Islam. Nous savons que ce n'est pas ce qui s'est passé. La concentration des richesses s'y est tout de même faite et les villes ont absorbé de plus en plus de population. Dans ce schéma féodal qui ne sépare pas la guerre et la production intensément, arrive l'industrialisation, étape imprévisible, impensée, de l'augmentation de la richesse, non pas par l'impôt mais par l'innovation technique. La population croît intensément... Le citoyen devient dépositaire de la force armée (la Révolution, le service militaire... et plus tard dans le reste du monde les décolonisations (p24)), il participe aux décisions politiques et reste, bien sûr, producteur.

Selon la théorie d'Ibn Khaldoun, le monde moderne, avec sa haute productivité, son idée abstraite d'un individu toujours égal à l'Autre, la baisse de la fécondité et son attachement à l'échange paisible est en train de recréer des marges solidaires et violentes qui voient dans la non-violence des Etats centraux une marque de lâcheté qui leur est profitable, tant idéologiquement, que militairement (dans les rapports de force).

La thèse selon laquelle il y aurait une islamisation de la violence, laquelle se serait portée, à d'autres moments, sur Che Guevara a un certain fondement. Cependant, elle est émise pour disculper complètement l'Islam. Cette façon de voir dessaisit les djihadistes de ce qu'ils pensent et disent. Cette vision amène à rejeter les critiques de l'Islam radical, avec le terme « islamophobie », alors que les caractéristiques de cet Islam radical feraient placer celles et ceux qui le professent bien plus à l'extrême droite que le FN : cependant, les mêmes qui dénoncent les islamophobes s'inquiètent de la montée du FN ! (p59)

Dans l'idée Tiers-mondiste, nous sommes coupables de tout. Seul, l'Occident agit, le reste du monde réagit. Et cela continuerait donc. La colonisation serait la source du mal. Que Daech soit une création de l'Occident tout-puissant est paradoxalement la poursuite de l'impérialisme occidental : les peuples se rebellant contre lui continuent d’être agis par ledit Occident, comme des peuples inertes par eux-mêmes.

Le djihadisme n'est pas un tiers-mondisme, répandu de la Mauritanie au Xinjiang, il a pleine conscience de son unité. Un revers au Nigéria est compensé par un succès en Syrie, un recul en Irak par une avancée en Afghanistan.... (p44) Cette zone immense comprend des pays qui n'ont jamais connu d'intervention occidentale et dont on ne parle pas (p57). Le communiqué de l'Etat islamique qui rendait compte des attentats parisiens du 13 novembre ne mentionnait aucune cause de type tiers-mondiste (p54). La mémoire de la colonisation n'y apparait pas parce qu’elle est désolante pour l'Islam ; selon un des hadiths du prophète : « l'Islam domine et n'est pas dominé. »

L'Islam fut un allié pour les colonisateurs, détournant le peuple des tentations révolutionnaires. Il y eut, jusqu'à la fin de la guerre froide, une alliance de l'empire et de l'Islam contre l'ennemi commun, le communisme. Cette alliance fut politiquement stable et culturellement très défiante. (p72). Après une période pendant laquelle les nouveaux Etats centraux issus de la décolonisation eurent une forte couleur laïque, sans rompre avec la religion musulmane, les bédouins sommés de se sédentariser dans cette forme, reprirent leurs combats, fédérés par le djihadisme. Pendant que l'empire développe le progressisme sociétal ouvert aux femmes, aux homosexuels... les activistes de l'islamisme déploient au contraire les valeurs d'une droite extrême et religieuse (p74).

Pour Ibn Khaldoun, l'Islam est inséparable du djihad dans son principe (p79). Une religion doit régner pour exister vraiment. Une religion est constituée d'une dawa (une cause) et d'une assabiya, rassemblement de bédouins à la conquête de l'empire qui les constitue en négatif. Contrairement aux religions juives, chrétiennes, au bouddhisme, dans l'islam dawa et assabiya coïncident, ce qui implique des devoirs de guerre, on le voit dans la personne du prophète lui-même. Cette adéquation de l'Islam à la nature politique de l'humain est une preuve de la vérité de l'Islam, pour Ibn Khaldoun (p85).

Après la création de l’islam, l'empire musulman se sédentarise et se pacifie. Dawa et assabiya se séparent. Après le XIème siècle, il n'y a plus que les arabes pour être musulmans, les maîtres turcs ont délaissé la religion qui ne leur est d'aucune utilité pour exercer le pouvoir. Pendant plusieurs siècles, l'obligation du djihad (conquérant) a disparu puisque la conquête est là.

Dans les religions monothéistes, le retour aux sources (texte et vie du prophète) est un mouvement récurrent. Et à l'inverse des deux autres monothéismes, l'Islam a la valorisation de la violence dans ses textes initiaux et dans la vie du prophète. Les guerres de religion en Occident sont brèves. En Islam, le djihad est toujours là, sous-jacent. La question de la place de la révolte djihadiste est centrale en Islam.

Si « faire l'amalgame », c'est confondre islamisme et religion musulmane, force est de constater que nombre de gouvernements de pays musulmans se livrent eux-mêmes à cet amalgame, en abandonnant implicitement la version universelle et normative du sunnisme aux islamistes. (p93).

Pour Gabriel Martinez-Gros, la question en jeu est celle, anthropologique, de l'empire et de ses bédouins.

Nous ne devons pas accepter de nous laisser guider notre conduite par des minorités violentes qui viennent nous dire que nous ne méritons pas d'être libres.


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5 réactions à cet article    


  • Pierre Régnier Pierre Régnier 30 novembre 2016 13:58

    à l’auteur


    Contrairement à ce que vous dites ici, le catholicisme d’aujourd’hui a toujours, lui aussi, la valorisation de la violence dans ses textes mais, heureusement c’est vrai, pas dans la vie de son prophète.


    Elle le trahit sur ce point. Et c’est principalement pour ça qu’on n’arrive toujours pas à se débarrasser de cette terrible valorisation.


    • Pierre Régnier Pierre Régnier 30 novembre 2016 14:31

      Avec la fausse Gauche aux pouvoirs (politique, et journalistique) l’obscurantisme athée est devenu bien pire que l’obscurantisme religieux. Ça conduit ceux qui en sont atteints à ne pas trouver nécessaire de distinguer les religions pacifiques de celles qui sont meurtrières : à quoi bon se renseigner sérieusement sur ce sujet puisque, de toutes façons, les religions « c’est que des conneries ».

       

      Ça conduit cette fausse Gauche - mais aussi des politiciens de droite intellectuellement paresseux comme Alain Juppé - à considérer que l’islamisation de la France et de l’Europe n’est pas bien grave.

       

      Mais avec les théologiens fous aux pouvoirs dans l’Église catholique, celle-ci aussi se fait (continue de se faire), même si c’est indirectement, complice des islamistes, puisque son exégèse affirme toujours que la violence de Dieu était valable à l’époque de l’Ancien Testament (pourvu qu’elle soit « bien interprétée »).

       

      Comment pourrait-elle alors convaincre qu’elle ne l’était plus quand c’était le prophète Mohamed qui la relançait et la re-justifiait plus tard, pour son époque et pour les temps futurs jusqu’à la totale soumission des peuples de la terre à son Dieu Allah ?


      • Francis, agnotologue JL 30 novembre 2016 14:51

        Il n’y a pas de face à face mortifère et répétitif entre l’Islam et l’Occident,

         
         il y a une instrumentalisation par l’oligarchie mondiale des rivalités entre courants islamiques pour façonner le Moyen Orient à son avantage.

        • zygzornifle zygzornifle 30 novembre 2016 15:59

          celui qui aime regarder et faire couler le sang aime le djihad celui qui veux un bond en arrière d’un siècle voire deux aime le djihad celui qui rêve d’esclavagisme punitions publique et d’exécutions aime le djihad etc...... Bref celui qui hait la république la liberté de pensée et d’expression est un djihadiste ....
           


          • Olivier Perriet Olivier Perriet 1er décembre 2016 09:07

            est-ce vraiment un face à face entre l’occident et l’islam ? 

            ou un face à face entre islam et modernité (née en occident c’est vrai mais qui ne s’y résume pas), qui est beaucoup plus vif et sanglant à l’intérieur du monde musulman, ou envers les minorités non musulmanes du monde musulman, que vis-à-vis de l’occident qui est quand même assez épargné pour l’instant ?

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