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François Bayrou, les financements politiques, la proportionnelle et l’après-5 décembre 2019

« Aujourd’hui l’eau a baissé, les poissons ont disparu, une mousse glaireuse et stagnante dit la victoire du détergent sur la nature. » (Daniel Pennac, "Chagrin d’école", 2007).



Le maire de Pau et président du MoDem François Bayrou n’a pas beaucoup de "chance". Il y a quelques semaines, le 5 novembre 2019, la presse a appris qu’il était convoqué par les juges pour le 6 décembre 2019 ("aux fins de mise en examen" selon "Le Monde"). La proximité du 5 décembre 2019 va-t-elle permettre à l’information de ne pas avoir un retentissant ? Probablement pas. François Bayrou est encore une personnalité politique majeure dans la vie politique, et plus encore dans la Macronie.

Il n’a pas de chance car avec Emmanuel Macron, tout son combat politique depuis 2002, depuis qu’il a voulu l’indépendance du centre et qui voulait rassembler les Français, autant la droite que la gauche, a trouvé une issue politiquement gagnante. François Bayrou est maintenant écouté, non seulement par le pouvoir (évidemment) mais aussi par l’opposition LR, ses anciens partenaires rivaux qui n’hésitaient pas à se moquer de lui.

Lui fait partie maintenant d’un ensemble qui a fait 22,4% des voix aux élections européennes de mai 2019 (LREM, MoDem, Mouvement radical et partenaires), eux, LR, ont fait seulement 8,5%. Il y a dix ans, aux élections européennes de juin 2009, l’UMP faisait 27,9% et le MoDem seulement 8,5% ! À fronts renversés. Les écologistes, d’ailleurs, en juin 2009, ont fait 16,3%, plus qu’en mai 2019 avec 13,5% dont le score n’est donc pas vraiment un "exploit".

François Bayrou, le farouche intègre, sur le point de défendre une loi sur la moralisation, l’imposant Ministre d’État, Ministre de la Justice en mai 2017, a dû démissionner le mois d’après, car Sylvie Goulard avait démissionné pour la même cause, le risque d’une mise en examen pour l’affaire des collaborateurs des députés européens MoDem. Sylvie Goulard a néanmoins tenté (sans succès) de se faire accepter à la Commission Européenne il y a quelques semaines. François Bayrou, lui, a dû se replier dans sa mairie de Pau, conquise après beaucoup de difficultés au fil des élections (son élection n’en fut que plus méritante, en mars 2014, mais cela signifie surtout que sa réélection n’est pas forcément gagnée d’avance, s’il se représente).

François Bayrou aura eu raison avant beaucoup de monde sur beaucoup de choses. C’était lui qui, dès sa campagne présidentielle de 2002, avait alerté sur la dette immense de l’État, sur les déficits qu’il était temps de réduire. C’était lui qui, dans sa campagne présidentielle de 2007, au prix d’un certain populisme qu’on a retrouvé aussi chez Emmanuel Macron durant sa campagne de 2017, avait rejeté les deux partis gouvernementaux, PS et UMP, pour demander la fin des faux clivages (à l’époque, le FN ne valait qu’un électeur sur dix).

Au moment où ses idées commençaient à triompher, au moment où le MoDem était le troisième parti parlementaire, devançant nettement le groupe socialiste, François Bayrou a dû s’éclipser par la mauvaise porte, celle de l’affaire judiciaire. Il a été écouté par les juges le 11 septembre 2019, et convoqué encore le 6 décembre 2019.

Déjà, Michel Mercier a été mis en examen le 22 novembre 2019. Il n’est pas peut-être beaucoup connu du grand public, mais il était un homme clef de l’UDF et du MoDem, trésorier national, et sénateur lyonnais (il a même cherché à conquérir la mairie de Lyon, et il fut président du conseil général du Rhône), et surtout, il présente la curiosité politique d’avoir été le seul ministre du MoDem sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Ministre de la Justice, lui aussi.

De quoi s’agit-il ? Il s’agirait d’emplois illégaux. Des collaborateurs de députés européens n’auraient pas travaillé pour leur parlementaire employeur mais pour leur parti, ici le MoDem, mais une autre affaire concerne aussi le parti de Marine Le Pen.

Il faut savoir que le MoDem et le FN/RN sont des PME de la vie politique, à comparer aux grands groupes qu’étaient LR et le PS, mais ceux-ci sont comme le furent Manufrance, ou encore Creusot-Loire, en voie de disparition. Quant à LREM, c’est une start-up qui a réussi, un peu un facebook de la vie politique française.

Que ce soient des vieilles entreprises traditionnelles, ou des toutes nouvelles sur le marché, les grandes entreprises de la vie politique, celles qui ont de très nombreux parlementaires (plusieurs dizaines voire centaines de parlementaires), n’ont pas beaucoup de problème d’argent : les dotations de l’État peuvent leur assurer, qu’ils soient dans l’opposition ou, mieux, dans la majorité, des moyens de fonctionnement notables.

Lorsque la grande entreprise s’écroule, cela fait par exemple la vente du siège historique du PS, rue de Solferino, pour une ville de banlieue (moins chère). A contrario, le MoDem, qui n’avait au mieux que quelques députés, quelques députés européens et à peine plus de sénateurs, a trouvé de nouvelles ressources financières avec l’élection de plusieurs dizaines de nouveaux députés MoDem en juin 2017, et c’est tant mieux pour lui. La PME pourrait se transformer en grande entreprise, si l’essai de 2017 était transformé en 2022.

L’absence de nombreux parlementaires pendant longtemps a fait que les moyens financiers de subsistance des partis PME étaient faibles, notamment pour recruter leurs permanents. La tentation était donc forte que ces permanents pussent être payés par d’autres employeurs que le parti lui-même.

Ne préjugeant de rien et insistant sur la présomption d’innocence, je ne sais évidemment pas ce qu’il en est du MoDem ni du FN/RN. Avant toutes les lois sur le financement de la vie politique, les partis, même mastodontes, n’hésitaient pas à avoir des permanents payés non pas sur un Parlement Européen (qui n’existait pas encore), mais carrément des grandes entreprises vaguement publiques et en tout cas, fournisseurs de l’État. On appelait cela des "emplois fictifs".

Fictifs dans la mesure où un employé de cette entité pouvait ne pas travailler pour elle mais pour son parti. Les lois de financement ont à la fois interdit tout argent provenant d’une entreprise privée (ou publique), mais en contrepartie, l’État finançait une grande partie du fonctionnement des grands partis parlementaires, au prorata du nombre de voix et du nombre de parlementaires (un savant calcul, qui a évolué). Les grands partis pouvaient donc se permettre de se retrouver dans la loi, mais les partis moyens, les PME, ceux qui aspiraient à devenir gros tout en étant dans les faits des petits partis, n’avaient pas le financement public pour un fonctionnement selon leurs ambitions politiques. Résultat, la tentation de trouver toutes sortes d’astuces était grande. Celle des faux collaborateurs parlementaires qui étaient des vrais permanents de parti en était une.

Il faut rappeler aussi qu’on revient de loin. Un scandale avait éclaté en automne 1995 sur le fait que des collaborateurs de ministres, des chauffeurs notamment, étaient en fait payés non pas sur le budget du ministère desdits ministres, mais sur d’autres ministères, ils étaient des agents affectés autrement. Au sein même de l’État, celui qui fixe les règles, c’était encore la pagaille il y a vingt-cinq ans !

De même, la fameuse affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, qui a coûté l’Élysée à Alain Juppé et rendu pénible la fin de la carrière politique de Jacques Chirac, tous les deux condamnés par la justice, était sur le même principe (après les premières lois sur le financement de la vie politique). Des personnes recrutées par la ville de Paris (il y a plus d’agents de la ville de Paris que de fonctionnaires européens à Bruxelles, qu’on se le dise !), pouvaient travailler en fait pour le RPR ou pour les campagnes électorales de Jacques Chirac lui-même.

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Dans l’histoire qui semble toucher tant le FN/RN que le MoDem, il s’agit de députés européens. François Fillon, lui, député national, a été touché par le fait que sa femme, officiellement sa collaboratrice parlementaire, n’en aurait pas été une (l’affaire n’est pas encore jugée, enfin, elle n’est pas encore jugée par la justice, car pour ce qui est des électeurs, ils l’ont jugée et l’ont jugée sévèrement, au point de renvoyer dès le premier tour le candidat qui était pourtant le favori de 2017 quelques jours avant que l’affaire n’éclatât).

On peut donc trouver des histoires avec des députés nationaux, sauf que… dans la réalité, cela ne se passe pas ainsi. Pourquoi ? Parce que les députés nationaux, élus au scrutin majoritaire, ont absolument besoin de leurs collaborateurs parlementaires, que ce soit à Paris pour faire la loi que dans sa circonscription pour être à l’écoute de la population (dans les permanences locales des parlementaires, au menu, l’emploi, le logement, la santé). Ne pas utiliser toute sa force de frappe de parlementaire, ce serait quasiment suicidaire pour le député (absent à Paris, absent en circonscription), sa réélection serait fortement compromise. D’ailleurs, c’est plutôt l’inverse, les députés se plaignent de ne pas avoir assez de collaborateurs pour assurer correctement leurs deux rôles nationaux (en dehors d’être des assistants sociaux dans leur circonscription) : faire la loi et contrôler l’exécutif.

Seules exceptions, impossible aujourd’hui (depuis 2017 et la loi sur le non-cumul des mandats), lorsque le député était également le chef d’un exécutif (mairie, intercommunalité, conseil général ou régional), il bénéficiait alors d’un staff, d’un cabinet, d’un secrétariat et d’une force de frappe indépendante de ses collaborateurs parlementaires, ce qui lui permettant de s’en passer sans réduire son activité de parlementaire. Comme il avait "droit" à ces collaborateurs, il pouvait alors distribuer ces emplois comme on distribuait des faveurs, à des proches, à des futurs obligés, etc., mais très rarement pour "servir" de permanents à leur parti respectif (qui ont besoin de stabilité dans leur organisation interne, or, si le député perdait son mandat exécutif, son parti perdrait son permanent, etc.).

Et c’est par cela que je souhaite terminer cet article. Si l’on écoute le témoignage de quelques députés européens, j’ai l’exemple de Corinne Lepage qui s’est fait élire députée européenne sur la liste du MoDem, mais c’est valable pour tous les élus, la personne qui a été élue sur une liste est redevable de son siège à son parti. C’est le principe du scrutin proportionnel : à part les deux ou trois premiers de la liste (ou même seulement la tête de liste), les autres candidats qui seraient élus ne le sont pas à leur mérite personnel mais à leur capacité à s’être bien positionnés dans l’ordre de la liste.

Il est donc facile d’imposer à ses candidats d’avoir un retour sur investissement, comme s’engager, une fois élus, à recruter sur leur propre compte un collaborateur qui bosserait en fait pour le parti qui les a fait élire (certains partis auraient même fait signer un tel engagement écrit aux candidats de leur liste).

Le scrutin proportionnel pour les élections européennes est une règle communautaire qu’il serait difficile de modifier même pour la France. La seule marge de manœuvre est sur l’échelon de la proportionnelle (grandes régions ou nation). En revanche, les élections nationales sont du seul registre des nations.

Or, ceux qui envisageraient d’instaurer le scrutin proportionnel pour nos élections législatives, même à petite dose, ils rendraient ces députés, élus sur les listes, complètement dépendants de leur parti sans lequel ils n’auraient jamais été élus. Un député élu au scrutin majoritaire doit son élection en partie à son mérite. Certes, il y a un indéniable effet présidentiel (ce fut très visible en juin 2017), mais pas seulement.

Exemple, Cédric Villani (l’actuel candidat à la mairie de Paris) a été élu député LREM de l’Essonne. Aurait-il été élu sans l’appui d’Emmanuel Macron ou sans l’élection de ce dernier ? Je n’en sais rien, mais ce que je sais, et il le prouve comme candidat dissident, il a sa propre autonomie et son propre mérite personnel, totalement découplé du macronisme. Son mérite personnel est même prestigieux : Médaille Field, jeune professeur des universités, directeur de l’Institut Poincaré, conférencier et chroniqueur de radio très écouté, etc.

C’est l’une des différences entre la proportionnelle et le scrutin majoritaire : la proportionnelle encourage ce genre de petites affaires entre les élus et leur parti, cette allégeance, ce qui, pour un député élu sur son nom dans sa circonscription, serait impossible à obtenir : l’obligation d’un retour d’ascenseur à son parti (d’autant plus qu’au scrutin majoritaire, certains députés ont été élus en rupture avec leur parti ou même sans parti du tout, ce qui serait impossible avec le scrutin proportionnel).

Bref, j’en termine par cette conclusion qui mériterait d’être méditée par tous ceux qui veulent changer de mode de scrutin pour les élections législatives : ces deux affaires judiciaires d’assistants parlementaires au MoDem et au FN/RN, qu’elles aboutissent finalement à des condamnations ou à des relaxes, sont toutes les deux des conséquences directes du scrutin proportionnelle aux élections européennes. Que cela soit dit !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 novembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Bayrou, les financements politiques, la proportionnelle et l’après-5 décembre 2019.
Sylvie Goulard.
Le scrutin proportionnel.
François Bayrou bientôt à Matignon ?
François Bayrou sycophanté.
François Bayrou, ex-futur Premier Ministre…
Loi de moralisation de la vie politique (1er juin 2017).
François Bayrou se macronise.
Déclaration à la presse de François Bayrou le 22 février 2017 à Paris (texte intégral).
Réponse d’Emmanuel Macron à François Bayrou le 22 février 2017 (texte intégral).
Un billet plein d’amertume…
Emmanuel Macron est-il de gauche ?
Comptes à débours.
Résolution française.
Et si… ?
L’élection en début janvier 2017.
Un rude adversaire.
L'élu du 7 mai 2017 ?
Pataquès chez les centristes.
Chevalier du vivre ensemble.
Fais-moi peur !
Le vrai clivage.
Soutien à Alain Juppé.
Bayrou et Delors, l’acte manqué.
La clairvoyance de François Bayrou.
La proportionnelle aux législatives ?
Changement de paradigme.
Mathématiques militantes.
2017, tout est possible…
Bayrou et l'affaire Merah.
Le soldat Bayrou à sauver.
Pourquoi Bayrou ?
Bayrou a refusé des valises pleines de billets.
Moralisation de la vie politique (25 juin 2012).
Bayrou 2007.
L’homme de Gourette.

_yartiBayrou2019A03
 


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6 réactions à cet article    


  • Trelawney 26 novembre 2019 11:57

    Bayrou mis en examen pour les emplois fictifs au parlement. Il va rejoindre Marine Lepen dans la salle d’attente. Puisque visiblement pour les deux, il y a de quoi enquêter

    Je suis quand même surpris que malgré des perquisitions ordonnées par un procureur et tout le tintamarre qui en a suivi, un certain Mélenchon ne soit toujours pas entendu par le justice à ce sujet.

    Est-ce qu’il y aurait des dossiers plus vides que d’autres ? Et est-ce que selon l’orientation politique on est plus ou moins bien traité par la justice ?

    Ce sont des questions que apprenti journaliste pourrait se poser


    • adeline 26 novembre 2019 12:10

      à son âge c’est rapé, au suivant


      • av88 av88 26 novembre 2019 18:24

        Quel long développement pour justifier des détournements d’argent public.

        La longueur de ce blabla étant égal à la difficulté de la justification.

        Incapables de gérer leur parti (LR, PS, Modem, RN) ils se proposent de gérer la France  smiley

        Il existe un parti, qui ne vit que des cotisations de ses adhérents (38000), sans dettes, sans emprunt bancaire, sans subventions publiques, donc c’est possible.


        • waymel bernard waymel bernard 26 novembre 2019 18:52

          « Les députés ont besoin de collaborateurs à Paris pour faire la loi ». Faut quand même pas déconner, ils n’ont qu’à appuyer sur un bouton. Les lois sont fabriquées par des énarques hors-sol.


          • HELIOS HELIOS 27 novembre 2019 04:56

            ... la proportionnelle n’a rien a voir la-dedans si l’on accepte pas le contrôle du parti comme on accepte la « protection » d’une mafia.

            L’idée même du mécanisme proportionnel -qui possède des variantes- est principalement basé sur le respect des électeurs, de la part d’un parti. Ce respect est mis en oeuvre par l’élu comme par les instances du parti.

            Si le parti n’est pas convaincu alors il ne mérite pas qu’on le suive, lui et ses candidats.

            jusqu’a present, le système le moins injuste, serait le « scoring » (notation du candidat par les électeurs) dimensionné pour un petit nombre de representants (entre 3 ou 4 et une dizaine)... ce serait par exemple une proportionnelle valorisée....


            • zygzornifle zygzornifle 27 novembre 2019 09:32

              Il a été le 1er a se faire Macronner , je pensait qu’au vu de son expérience il aurait été plus malin que cela , comme quoi quand on y est on y est ......

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