Gilets Jaunes : pourquoi la mobilisation est en hausse alors que le soutien des Français baisse
L'acte IX des Gilets Jaunes a mobilisé au moins 84 000 personnes dans toute
En comparaison, la mobilisation avait été de 50 000 personnes samedi dernier et à peine 32 000 le 29 décembre. La principale question posée par cette tendance haussière est son incohérence avec le sentiment général des Français à l'égard du mouvement social. Seuls 55% des Français disent aujourd'hui soutenir les Gilets Jaunes, loin des 84% de novembre. Ils ne sont que 62% à trouver ce mouvement "légitime" (contre 74% à la mi-décembre) et seulement 48% veulent qu'il continue (quand ils étaient 65% trois semaines plus tôt).
Il est aussi intéressant de mettre en perspective ces chiffres avec la classe sociale des personnes interrogées. Deux tiers des personnes diplômées et des urbains demandent l'arrêt du mouvement, quand que les jeunes, les ruraux, les catégories peu ou pas diplômées constituent le vivier de la vague protestataire ; cependant, même ici, la vague semble se tarir – seuls 67% des plus modestes continuent à soutenir le mouvement (contre 88% en novembre). De manière générale, le soutien faiblit dans toutes les catégories socioprofessionnelles : ainsi, il n'y a que 19% des cadres, 48% des fonctionnaires et seul un quart des artisans et commerçants – cette dernière catégorie, au début largement derrière les Gilets Jaunes, s'en est désolidarisée suite aux nombreuses violences survenues en marge des manifestations et à la baisse significative du chiffre d'affaire. Les policiers et militaires, d'abord tentés par un ralliement la vague jaune, ont finalement gardé leurs distance suite au discours anti-flic répandu dans le mouvement. Les professeurs semblent aussi remiser leurs gilets au placard pour créer leur propre vague protestataire des "Stylos Rouges" car ils disent avoir été largement rejetés par le mouvement des Gilets Jaunes (hués aux manifs ou traités d'intellos, de gauchistes, de fonctionnaires fainéants etc). Enfin, la banlieue est parmi les grands absents du mouvement lequel est même perçu avec anxiété par nombre de familles immigrées qui y voient un vague d'extrême-droite. Ces différents sondages réalisés par trois instituts distincts, montrent que si une partie des Français soutient toujours les Gilets Jaunes, cet engouement n'est plus plébiscitaire et commence même à tutoyer dangereusement la barre des 50%, zone de flottaison minimale pour tout mouvement "populaire".
On peut dès lors trouver étrange que la participation à un mouvement double en quelques semaines quand le soutien de la population s'effrite. Cette dichotomie n'a étrangement pas été soulignée par les médias (que l'on présente volontiers comme "anti-Jaunes"). Il est pourtant intéressant, tant sur un plan politique que sociologique, de souligner ce paradoxe entre la tendance quantitativement haussière et sympathiquement baissière d'un mouvement, une première dans l'histoire des mouvements sociaux, le nombre de participants ayant toujours été en lien étroit avec le capital sympathie auprès de l'opinion publique.
L'analyse des schémas sociopolitiques nous permet d'avancer que cette tendance haussière est justement provoquée par la désaffection d'un large pan de l'opinion. Étonnante de prime abord, cette assertion s'impose avec l'étude comparée des deux courbes à partir de la mi-décembre, lorsque le mouvement avait commencé à s'essouffler. Soit, une courbe A représentant la tendance quantitative du mouvement et une courbe B figurant l'évolution du soutien des Français à la cause jaune.
On observe tout d'abord que le soutien des Français n'a cessé de baisser (84% à la mi-novembre, 80% fin novembre, 77% début décembre, 72% mi-décembre, 62% fin décembre et 55% au début de l'année 2019. La baisse la plus importante est enregistrée entre le 15 et le 30 décembre, lorsque le soutien perd dix points (de 72 à 62%) explicable tant par l'essoufflement du mouvement que par les propositions présidentielles, l'approche des fêtes et la désaffection des Français suite aux perturbations ayant émaillé les diverses manifestations. Figurons-nous à présent une courbe B sur laquelle seraient représentés le nombre de manifestants aux neuf journées de mobilisation : 200 000 le 24 novembre, 80 000 le 8 décembre, à peine 32 000 le 22 décembre, puis, miracle, 38 000 le 29 décembre, 50 000 le 5 janvier et 84 000 ce 12 janvier.
Contrairement à l'affirmation de nombreux journalistes et sociologues, cette hausse ne peut être imputée à la fin des vacances scolaires dans la mesure où elle a commencé dès le 29 décembre, soit en pleine période festive : on avait alors compté 6000 manifestants de plus que lors du samedi précédent. Les Gilets Jaunes affirment quant à eux que cette hausse serait due à des mesures insuffisantes du président Macron qui, au lieu d'atténuer la colère du peuple l'aurait agrandie davantage en ne réalisant pas la portée de la crise, poussant ainsi des Français qui n'étaient jusqu'alors pas très jaunes à rejoindre la vague sociale. Cet argument n'a pas plus de sens. Certes, les vœux présidentiels du 31 décembre (ponctuées de nombreuses promesses sociales) n'ont pu empêcher la tendance haussière des manifestations – puisque, l'acte VIII du 5 janvier a compté 18 000 manifestants de plus que l'acte VII qui s'était déroulé avant les vœux présidentiels. Mais est-ce vraiment du au fait que les mesures annoncées seraient perçues comme insuffisantes par le peuple ? On aurait pu valider cet argument des Gilets Jaunes si les mesures du président Macron avaient été rejetées par l'ensemble de la population ; or, 54% des Français se sont dits convaincus par le Président et satisfaits par son projet de grand débat national. Preuve en est la baisse continuelle du soutien aux Gilets Jaunes qui est passé de 62 à seulement 55% entre le 30 décembre et le 7 janvier. Nous pouvons dès lors affirmer sans crainte que ceux qui viennent gonfler les rangs des manifs jaunistes ne sont donc pas de simples Français non-satisfaits par la réponse d'Emmanuel Macron aux revendications des Gilets Jaunes. Qui sont-ils alors ?
Ce sont effectivement des Français jusque là non engagés dans le mouvement (qu'ils soutenaient de loin) et qui enfilent soudain la tenue jaune pour défiler à leur tour dans les rues. Mais, contrairement à ce qu'on affirme au sein des Gilets Jaunes, ces Français ne sont pas des citoyens au départ non-jaunistes qui se seraient mus en gavroches suite aux mesures sociales de Macron jugées insuffisantes. Ils le soutenaient dès le départ, et leur soutien n'a pas faibli, contrairement à la majorité des Français. Au contraire, sentant que le mouvement s'essoufflait et que le soutien diminuait, ils ont décidé de redonner un second souffle artificiel au mouvement en en gonflant les rangs. Pour faire simple : aujourd'hui seuls 2% des Français vont à la messe chaque dimanche, alors que 49% se disent catholiques – donc 47% sont des "croyants pas pratiquants". Imaginons que ces 47% aillent soudain se jeter en masse dans les églises pleines à craquer. On croirait avoir affaire à de nouveaux convertis et à une christianisation massive de la société mais ce serait un simple effet d'illusion puisqu'il s'agirait de personnes déjà catholiques qui se seraient jointes aux 2% de pratiquants réguliers. Le nombre de non-catholiques resterait absolument inchangé.
Cette manœuvre est très répandue en politique, surtout à l'ère des images et du quantitatif où l'on se doit de montrer "que l'on existe". De fait, notre société croît à la valeur performative et la dynamique psychologique y est primordiale. Si l'on voit qu'un mouvement perd en intensité, on aura tendance à ne plus le considérer comme sérieux et à ne plus y prêter attention. Cela oblige les partis, les syndicats et en général tous les groupes de pression à être en état d'urgence permanent et à se donner, fût-ce artificiellement, un air de jouvence éternelle. On a assisté à des schémas similaires lors de
Ainsi, la marche du 26 mai 2013 contre le mariage gay avait réuni plus de 1,6 millions de personnes dans toute
Car, cette décision de se mobiliser n'est pas prise simultanément par des millions de Français de manière quasi-télépathique. L'essentiel de l'effort est fourni par un travail acharné de communication au sein de ces mouvements mêmes qui ont compris la nécessité de parler à ces "soutiens passifs". Il faut reconnaître aux Gilets Jaunes auxquels un excellent travail d'agitprop auprès des masses. Ils semblent avoir réalisé que si leur mouvement veut perdurer malgré le désamour progressif des Français, ils doivent cibler non plus les militants réguliers (qui seront là quoi qu'il arrive) ni les Français en désaccord avec eux (qui ne se jauniseront jamais) mais bel et bien cette frange de la population que j'appelle les "soutiens passifs" et qui n'a pas encore enfilé son gilet pour se joindre à la vague jaune.
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