Identité nationale : un nombrilisme malsain !
La France, tu la définis ou tu la quittes ! Mais si tu es un intellectuel anti sarkozyste, n’oublies surtout pas ton « devoir de réserve »...
Les actes accomplis et les engagements pris par le Président de la République depuis le début de son mandat ont nettement accéléré le repli structurel de la France sur la scène internationale, contrairement à l’imaginaire véhiculé (hyper-présidence européenne, projet d’Union Méditerranéenne, réforme du capitalisme, etc.). L’émergence de ce questionnement identitaire ne peut être qu’un symptôme de cette perte de rayonnement international, au profit notamment de l’intégration définitive de la France à un bloc de « l’Ouest » Amérique du Nord-Europe, consacrant le modèle occidental de l’homo economicus. Ce débat, qui aurait pu un temps interroger la pérennité du modèle français, n’a plus lieu d’être aujourd’hui sous la bannière de l’Europe et des Etats-Unis.
La subordination internationale
Au regard de son autonomie (retour dans le commandement de l’OTAN, intégration du Traité de Lisbonne - et ce malgré respectivement l’absence de plébiscite national et le déni des résultats de la consultation référendaire) et d’un volte-face diplomatique quant à son positionnement géostratégique (établissement d’une base militaire à Abu Dhabi, envoi de contingents militaires supplémentaires en Afghanistan, etc.), l’« identité française » sur le plan international a volé en éclats ces dernières années, marquant une rupture avec son passé diplomatique. Il est donc légitime de s’interroger sur l’intérêt de ce débat franco-français dans un contexte mondialisé, qui ne peut qu’esseuler un pays en perte de vitesse dans les jeux d’influence internationaux. Outre que la définition de l’« identité nationale » devrait plutôt être recherchée au-delà de nos frontières, dans le cadre du positionnement de la France par rapport aux autres pays (pays frontaliers, puissances mondiales ou pays émergents), il est navrant de constater que ce repli identitaire témoigne de l’incapacité française à proposer des modèles alternatifs. S’il est avéré que la souveraineté nationale dépérit depuis de longues années tant par la volonté de nos dirigeants politiques (à travers principalement l’achèvement du processus européen) que par le manque de dynamisme d’une nation essoufflée par l’Histoire, il est également déplorable de remarquer le manque d’orgueil d’une nation au creux de la vague.
Et si nos politiques ont une grande part de responsabilité, il serait illégitime de leur en attribuer une part plus grande : nous avons « ceux » que nous méritons, et notre servitude est complice de cet état de fait. Les torts sont partagés.
Une cacophonie franco-française
Nous pouvons certes regretter l’émergence d’un tel débat, mais nous pouvons d’autant plus regretter la participation des citoyens à ce débat. Les premières participations sur le site du Ministère (www.debatidentitenationale.fr) laissent entendre déjà une véritable cacophonie. Entre revendications régionalistes (« Ma nation, c’est la Bretagne »), communautaires (« c’est être fan de Michel Sardou »), ou nationalistes (« boire du vin, manger de tout, y compris du porc »), et à l’exception de quelques commentaires poétiques ou loufoques du type « "Impossible n’est pas français", alors j’en déduis donc qu’est français tout ce qui est possible », qui ne manquent pas de pertinence, la dégénérescence participative est au rendez-vous. Rappelons à ce sujet les mots de John Stuart Mill qui écrivait : « Que chacun doive pouvoir se faire entendre ne signifie pas du tout que tous les voix se valent. » (Considérations sur le Gouvernement Représentatif de John Stuart Mill)
Au-delà des légitimes polémiques liées à la modération des messages postés, dont nombre de médias se font actuellement l’écho, quel est l’intérêt de ce débat si aucune autorité n’est laissée aux intellectuels, anthropologues, philosophes, et autres sages de la Nation ? Car c’est à eux de répondre à cette question, et non au quidam ; dans le cas présent, « participation démocratique » rime bien avec « culture démagogique ». Or, c’est bien la disparition de nos intellectuels et la volonté politique de les ostraciser qui sont en jeu. En témoigne l’exemple récent de la polémique entre la lauréate du Goncourt, Marie N’Diaye, et le député UMP Eric Raoult qui réclame un improbable devoir de réserve de la part des intellectuels. L’écrivaine avait en effet qualifié la France de Sarkozy de « monstrueuse », justifiant son départ pour Berlin en grande partie pour fuir cette France de Sarkozy. Et c’est là que le bât blesse.
Une désertion progressive des forces vives de la Nation
Car la véritable question n’est pas « qu’est ce que l’identité française » mais plutôt « que veulent-ils faire de l’identité française » ? Sans vouloir attribuer à notre gouvernement de sombres desseins, il est raisonnable de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle investigation. Et à défaut de pouvoir répondre à cette question, il est seulement possible de constater la désaffection progressive d’une grande partie de la population à son égard - quelle que soit la couleur politique du gouvernement.
Depuis plusieurs années, de nombreux français quittent le territoire. Les motivations divergent : l’argent, pour « gagner plus » ou payer moins d’impôts ; la reconnaissance intellectuelle ou artistique, afin de trouver des mécènes, des subventions ou des structures de diffusion ; les libertés individuelles ; les relations sociales ; voire les conditions climatiques. Qu’ils relèvent de milieux sociaux aisés (ingénieurs, intellectuels) ou populaires (artisans), les français quittent leur patrie pour se rendre majoritairement en Amérique (Nord et Sud), en Asie ou en Europe du Nord en emportant avec eux leur « cerveau », leur vitalité, et parfois leur argent. Lassés de leurs concitoyens, dupes d’un système asservissant, et de leurs dirigeants, ils partent sans regrets. La France se tire une balle dans le pied, qui lui la retirera ?
Peut-être ces nouveaux français, venus d’ailleurs, et qui apportent avec eux leurs forces, leur détermination, et leur envie d’intégrer un pays développé et, à leurs yeux, rayonnant. En fait, c’est peut-être çà l’ « identité française », un carrefour où les gens prennent une nouvelle direction de vie... Finalement ce Ministère porte bien son nom : la France est une terre d’immigration, et cette immigration est constitutive de son identité. Laissons la France vivre, et enlevons lui cette rigidité pathologique dont elle veut se doter et qu’elle recherche dans une définition identitaire figée. Sinon, comme sa langue, elle « mourra » !
Pierre-Emmanuel Levacher
Un article du site www.animalpolitique.com
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