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Jurés populaires et justice pénale : une occasion manquée

Le Parlement a adopté définitivement le 6 juillet dernier le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. Destinée sur le papier à rapprocher la justice des citoyens, cette réforme révèle la défiance des politiques à l'égard des juges professionnels. Dans cette note, Agnès Martinel et Franck Natali montrent que cette réforme, peu expertisée, précédée d'aucun bilan des expériences précédentes, aboutit à un paradoxe : celui de la diminution de la participation des citoyens dans les juridictions créées. Coûteuse, difficile à mettre en œuvre, son succès repose sur la formation des jurés, hypothétique en période de restriction budgétaire. Pourtant, fonder la place légitime des citoyens dans la justice est possible, notamment en revisitant et modernisant le modèle de justice mixte existant dans notre pays.

Ayant pour objectif affiché de rapprocher la justice des citoyens, la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs a été votée par le Parlement le 6 juillet dernier. Le texte instaure des jurés populaires, dénommés « citoyens assesseurs » dans les tribunaux correctionnels, pour juger les affaires les plus graves, et dans les tribunaux d'application des peines. Il modifie les règles de composition des cours d'assises et créé un tribunal correctionnel pour mineurs. Les dispositions concernant les citoyens assesseurs sont conçues à titre expérimental à compter du 1er janvier 2012 dans au moins deux cours d'appel et seront ensuite généralisées. L’opposition a saisi de ce texte le Conseil constitutionnel qui doit l’examiner dans les prochains jours.
 
Très critiquée par les professionnels de la justice et de la protection de l'enfance, la loi votée le 6 juillet 2011 peine à dissimuler sa raison d'être pourtant à demi avouée : une défiance des politiques à l'égard des juges professionnels.
 
Si le rapprochement des citoyens et de la justice est un objectif consensuel, les choix du texte sont très peu convaincants. Peu expertisée, la réforme n'a été précédée d'aucun bilan des expériences précédentes. Or, il existe aujourd'hui en France plusieurs juridictions composées de manière mixte par des magistrats professionnels et des citoyens : conseil de prud'hommes, tribunaux paritaires des baux ruraux, tribunaux pour enfants, juges de proximité.
 
En outre, ainsi que l'ont souligné certains commentateurs, la réforme aboutit à un réel paradoxe : elle a pour conséquence la diminution de la participation des citoyens dans les juridictions créées. Ainsi, s'agissant des tribunaux correctionnels, l'hypothèse initiale d'une majorité de citoyens n'a finalement pas été retenue car elle s'est heurtée aux contraintes constitutionnelles, qui imposent que dans les formations correctionnelles de droit commun, la proportion des juges non professionnels reste minoritaire. Par ailleurs, le texte crée une cour d'assises à effectif limité pour les affaires jugées en premier ressort - avec seulement six citoyens assesseurs -, une « cour d'assises light », ce qui marque à l'évidence un net recul dans la participation des citoyens à la justice.
 
Par ailleurs, la réforme apparaît coûteuse et sera difficile à mettre en œuvre. Elle pose d'abord des difficultés juridiques quant à son champ d'application, l'exclusion des affaires économiques et financières étant surprenante à bien des égards, mais également quant au mode de désignation des citoyens assesseurs. On peut en effet s'interroger sur les garanties apportées par le mode de sélection, notamment quant à un réel équilibre entre toutes les composantes de la société française. Le texte exclut en outre la possibilité de récusation des jurés, ce qui constitue un risque juridique majeur du point de vue des garanties nécessaires en termes d'impartialité.
 
Enfin, cette réforme implique des conséquences lourdes pour l'ensemble de la justice. La formation des jurés sera un des enjeux majeurs et en période de restriction budgétaire, rien ne peut être considéré comme acquis. Compte tenu du nombre important de dossiers en matière correctionnelle, on peut aussi douter de l'efficacité d'un tel système dans lequel les jurés assesseurs auront du mal à trouver leur place. Plus grave encore, l'étude d'impact budgétaire de ces mesures révèle un coût déraisonnable : 32,7 millions d'euros en investissement initial, puis 8,4 millions d'euros par an en frais de fonctionnement. En l'état actuel de la justice et de ses moyens, cette réforme n'est-elle pas un luxe ?
 
Pourtant, fonder la place légitime des citoyens dans la justice constitue un réel enjeu. Bien avant la mise en œuvre de cette réforme, la Fondation Terra Nova avait, dans un rapport publié au début de l'année 2011[1], fait des propositions pour rétablir la confiance entre les citoyens et la justice, propositions reposant sur une philosophie totalement différente. Loin de se fonder sur la défiance à l'égard des juges, elles visaient à faire travailler ensemble juges professionnels et juges non professionnels, à favoriser un dialogue professionnel et cumuler les avantages des apports respectifs. La ligne de force de ces propositions réside dans l'extension de l'échevinage tel qu'il est pratiqué en France. Un modèle de justice mixte existe aujourd'hui dans notre pays et il a fait ses preuves : il convient de le revisiter et le moderniser en vue d'associer les citoyens à l'exercice de la fonction de juger afin de leur faire connaître le fonctionnement de la justice et de les rendre acteur de cette mission de service public. Ce renfort humain supplémentaire pourrait permettre de revenir à la collégialité pour le contentieux correctionnel jugé aujourd'hui à juge unique (infractions liées à la sécurité routière, petits délits de droit commun).
 
Par ailleurs, au-delà de la participation des citoyens à l'œuvre de juger, doit être soulevée la question de la participation des citoyens au service public de la justice. Il est ainsi proposé d'organiser des Etats Généraux de la justice, de mettre en place, à l'issue de ces Etats Généraux, une Conférence nationale de la Justice, lieu de concertation entre les différents acteurs de la justice et les usagers, et de créer au niveau local des établissements publics de justice dotés de conseils d'administration au sein desquels la participation des usagers serait organisée.
 
S’il franchit l’examen du Conseil constitutionnel, le texte voté est fort éloigné, par ses résultats paradoxaux et ses difficultés de mise en œuvre, de ces préoccupations.
 
Pour consulter la note intégrale, cliquez ici

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2 réactions à cet article    


  • anty 19 juillet 2011 14:08

    Le système judiciaire n’est que le bras vengeur mis en place pour punir une partie de la société.
    Les hommes et les femmes qui sont touchés par ce système sont en grande majorité issu de la classe défavorisée.
    La grande justice serait de s’occuper socialement de ces gens,de les aider et ne pas les enfoncer encore d’avantage.


    • Taverne Taverne 19 juillet 2011 16:38

      On ne saura jamais pourquoi une majorité de votants a manifesté son désaccord pour cet article. Mystère d’Ago rats vox...Je crois que le motif doit être « j’ai pas lu donc je moinsse... » Moi, j’ai plussé donc je n’ai pas à m’expliquer.

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