L’ère numérique de la démocratie se lève
Internet va-t-il infléchir à la marge notre système politique ou le bouleverser ? Depuis 20 ans, les réseaux sociaux ont modifié beaucoup d'aspects de la vie en société, mais pour l'instant aucune modification sensible n'a fait surface sur le plan politique. Malgré les effets sur le commerce, sur les banques et un grand nombre d'éléments sociaux, les effets sociétaux d'internet semblent s'être arrêtés à la porte des institutions publiques. Ce long calme plat est trompeur, une génération politique radicalement nouvelle et audacieuse émerge.
Dans la politique mainstream, on hésite. « Facebook, Twitter, ça donne la parole à tout le monde alors que la parole doit se mériter » voilà pour le déni, signé ces derniers jours par Nicolas Sarkosy. Parallèlement, le Gouvernement a ouvert le 26 septembre 2015, pour la première fois, l'élaboration d'un projet de loi aux citoyens, celui de la République Numérique.
Sur les marges, la contestation privée de couverture médiatique s'est développée sur Internet. En France, Etienne Chouard est depuis 10 ans le symbole de cette percée. Après la contestation du Traité Constitutionnel Européen, le militant embraye sur une mise en cause radicale de la démocratie représentative, invite à réécrire la constitution et à utiliser la diffusion virale de cette contestation avec les gentils virus. Son idée phare : la constitution sert à limiter le pouvoir des gouvernants, elle doit être écrite par les citoyens et surtout pas par ceux ont le pouvoir et qui écrive la constitution pour eux et pour conserver leur pouvoir.
Pendant ce temps là, les pétitions en ligne font leurs preuves, avec Avaaz et Change.org, la presse internet fait son chemin avec la conversion web des grands titres de la presse quotidienne et hebdomadaire, et le pur player Médiapart dépasse les 100 000 abonnés. Le M6R est le premier mouvement hybride issue autant de la militance traditionnelle que de l'usage des réseaux sociaux. Elise Lucet franchit le rubicond du journalisme classique et utilise change.org pour lutter contre la directive européenne « secret des affaires », elle réunit plus de 300 000 signatures en moins de deux semaines.
Les nouveaux activistes de la démocratie ne sont pas canalisés par les partis
Depuis quelques mois fleurit une nouvelle génération, jeune et radicale, qui entend intervenir dans le champ politique avec les outils internet. Ces militants nouvelles techno natifs sont doublement radicaux, aussi critiques vis à vis de la démocratie représentative que sur le plan des méthodes d'expression politique. Les technophiles de Démocratie ouverte, democratech, democracyOS, #MaVoix, démocratie réelle, open source politics, ouishare arrivent en meute. Ils sont peu investis au niveau du positionnement sur l'axe traditionnel droite gauche, parfois liés aux écologistes ils portent une vision globale de la politique. Très symbolique de cette mouvance, la remarquable conférence Tedx de Pia Mancini, disponible en 28 langues sous-titrées, donne parfaitement le ton. Cette jeune trentenaire argentine formule en quart d'heure une tribune percutante et ciselée. Avec plus de 1 000 000 de vues en un an, la conférence s'est transformée en lancement mondial d'une nouvelle forme d'activisme politique pour la démocratie.
Il est en train de se passer quelque chose. Cette nouvelle génération est libérée de la culture militante canalisée par les partis politiques, elle a la foi, elle est unie pour contester les institutions publiques représentatives au nom d'une relecture fondamentale de la démocratie.
Cette génération apparemment spontanée a été mise en culture en réalité depuis une bonne quinzaine d'années. L'un des pères de cette nouvelle génération est actuellement candidat à la primaire du parti démocrate aux États-Unis, il s'appelle Lawrence Lessig. Il est professeur à Harvard, et surtout il est connu des geeks du monde entier comme fondateur de creative commons. Dans la présidentielle américaine, il casse les codes habituels de ce type de campagne et oriente exclusivement son propos sur la corruption et le financement politique. Lessig cite à l'envie la phrase d'un homme politique américain corrompu du XIXème siècle, William Tweed : « je me moque de qui vote, tant que je peux choisir qui se présente ».
La campagne de Lessig est pleinement en phase avec une nouvelle position intellectuelle qui a pris corps en Europe ces dernières années, et singulièrement dans la science politique francophone, sur la thématique de la dissociation de la procédure électorale avec la légitimité démocratique. Non seulement l'élection n'est pas propre à la démocratie, mais elle serait au contraire significative d'un mode de sélection aristocratique ou oligarchique des dirigeants politiques, voilà ce que l'on a pu lire ces dernières années sous la plume notamment de trois universitaires : Olivier Chistin, Loïc Blondiaux et Francis Dupuis-Péri.
Le glas des élus prescripteurs et un rôle réel pour les citoyens
Cette nouvelle histoire d'un malentendu au sujet de la démocratie est en rupture avec le roman de la démocratie arrivée par la Révolution française qui prévaut depuis deux siècles. Cette rupture fait partie intégrante du background de culture politique de la génération émergente d'activistes de la démocratie. « Nous sommes de ceux qui n'arrivent plus à aller voter la tête haute », voilà les premières paroles de la vidéo de #Ma-Voix. Démocratech, sur les pas de Pia Mancini, invente une procédure pour combiner tirage au sort et mandat impératif. Franchement, tous ceux qui pensent que la répartition des voix entre partis politiques est la seule façon de penser les rapports de force politiques risquent d'avoir quelques surprises dans les années qui viennent.
Dans ce mouvement, on trouve par exemple Quitterie de Villepin, ancienne collaboratrice de F. Bayrou, qui a renoncé il y a quelques années à un poste de députée européenne au nom du principe suivant cher à Gandhi : vous devez être le changement que vous voulez voir dans ce monde. Ces activistes sont quasiment tous encore des inconnus, plusieurs groupes se sont constitués par dizaines et centaines très rapidement ces derniers mois, ils ont la foi, ils arrivent avec l'intention de renverser la politique du vieux monde.
Cette génération n'est pas spontanée, elle travaille depuis longtemps dans ses laboratoires que les médias n'ont pas encore identifiés. Dans un article remarquable sur les difficultés des élus locaux à mener une action par rapport à l'économie collaborative, quelques membres d'un groupe brestois expliquent que « les acteurs publics doivent avant tout changer de posture : plutôt que d’être « prescripteurs », ils doivent devenir « animateurs » ; passer d’une culture du secret et des logiques de pouvoir à une plus grande transparence, une confiance et un soutien envers la créativité entrepreneuriale et citoyenne ». Ainsi les élus gestionnaires et patrons d'administration pourraient voir le sol politique se dérober sous leurs pieds.
Je me souviens du congrès d'un parti politique au début des années 80, l'une des questions importantes en débat est alors le rôle des militants, à quoi servent-ils ? Ce parti autogestionnaire (le PSU) va prendre en 1985 une décision rarissime dans le monde politique : s'auto-dissoudre ! Une nouvelle perspective est en train d'apparaître aujourd'hui. Je ne sais combien de temps il lui faudra vraiment pour éclore, mais perspective met fin à une longue et désespérante nuit où l'engagement politique était réduit à la vacuité protestataire. Un rôle réel aux citoyens est dévolu aux citoyens.
Rien aujourd'hui n'est encore gagné, nous allons entrer dans de nouvelles incertitudes, dans de nouveaux combats, des fureurs, des peurs et des ouvertures inédites. N'est-ce pas les contradictions que nous vivons déjà depuis plusieurs mois en France avec les lois renseignement et république numérique présentées par... le même gouvernement ! L'espérance et la crainte, la folie régressive et le désir, c'est la vie. Vous pensiez il y a encore quelques instants que la vie politique était inaccessible, morte pour le citoyen : c'est faux, l'ère numérique de la démocratie se lève.
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