La Lorraine, histoire d’une intégration à la française
D'une terre d'Empire à un prolongement oriental de la région parisienne...
La Lorraine a vécu pendant des siècles, en totale indépendance avec la France. Les ducs avaient alors pour suzerains des princes germaniques. Il faut donc remonter dans le temps, aller au-delà du duc Stanislas (1677-1766), ancien roi de Pologne, qui donne à Nancy sa place centrale.
L'évocation de ce Lorrain d'adoption amène souvent à un contre-sens. Le mariage de Louis XV avec Marie Leszczyńska - la fille de Stanislas - en 1725 matérialise l'intégration de la Lorraine dans l'espace français. Mais celle-ci avait déjà commencé dès la fin du Moyen-Age par la diffusion de la langue française. Jeanne d'Arc naît à Domrémy aux confins du Barrois champenois, tout près de la Lorraine bourguignonne, avec la destinée que l'on connaît. La mort de Charles le Téméraire au cours de la bataille de Nancy en 1477 s'avère cruciale.
La disparition du plus puissant prince de son temps, duc raffiné et lettré, mais aussi redoutable homme de guerre clôt un épisode géopolitique remarquable. Le duc de Bourgogne a échoué dans son entreprise de reconstituer un Saint Empire germanique. Ce ne sont d'ailleurs ni les Lorrains ni les Français qui ruinent d'abord son projet, mais les Suisses confédérés : ceux-ci, victorieux à Morat dans le pays de Vaud (1476), s'engagent nombreux dans l'armée du duc de Lorraine. Charles le Téméraire périt devant Nancy qu'il avait pourtant érigée en capitale quelques mois plus tôt.
Le choix de cette petite ville située au sud de la confluence entre la Meurthe et la Moselle illustre une connaissance fine des échanges commerciaux entre l'Europe médiane (Rhin), l'Europe du Sud (Rhône-Saône) et les Flandres. La Lorraine constitue l'échelon définitivement manquant pour les Bourguignons.
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A la Renaissance puis à l'époque moderne, les artistes lorrains se sentent-ils français ? Ils s'épanouissent en tout cas au sein d'une Europe médiane, allant de l'Italie du nord aux Flandres.
Le graveur et dessinateur Jacques Callot (1592-1635) décrit Les grandes misères de la guerre de Trente ans qui dévaste les Etats allemands. La guerre laisse des traces durables dans les campagnes dépeuplées par les disettes et les maladies. La Lorraine perd entre 1620 et 1650 plus de la moitié de sa population (source). Né à Nancy, Callot a néanmoins surtout vécu à Florence. Une première fugue l'y conduit adolescent. Il s'y installe ensuite entre 1612 et 1621, avant de revenir en Lorraine et de devenir célèbre dans l'Europe entière (source).
Claude Gellée, dit Le Lorrain (1600-1682) fait lui aussi le chemin entre ses Vosges natale et l'Italie. Alors que Callot a accompagné une ambassade officielle lors de son second voyage, Claude Gellée part dans des circonstances plus prosaiques. Son père l'a placé chez un pâtissier qui l'emmène d'abord à Naples, puis à Rome. Le jeune prodige abandonne vite la pâtisserie au profit des pinceaux. Aujourd'hui classé comme français (!), il a parcouru l'Hexagone (et une partie de l'Europe) en tant que simple voyageur, mais il se sentait probablement surtout Italien... (source)
Quant à Georges de La Tour, (1593-1652) l'un des peintres les plus brillants du Grand Siècle, oublié avant d'être porté en triomphe bien après sa mort, il est lorrain par son origine. Il devient lui aussi par sa formation italien, ses tableaux sont bientôt intégrés au mouvement caravagesque. Mais contrairement aux précédents, il occupe un temps un poste de peintre officiel à la cour de Louis XIII (source). Tombant sous l'influence française, la Lorraine s'ouvre sur d'autres destins.
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Après la Révolution, la prospérité s'accentue. La force hydraulique des cours d'eau vosgiens, les ressources en sel gemme, en fer et en forêt avait fait la richesse de la région. Un siècle plus tard, on découvre la houille en Moselle : tout est en place pour un décollage industriel lorrain. On recense 68 forges au début du XIXème siècle. Un siècle plus tard, la métallurgie emploie 100.000 personnes ; en 1927 (point culminant ?), il sont 120.000 dont un tiers dans les mines.
Entre temps, les gisements de houille découverts autour de Forbach ont été développés par des industriels allemands. La minette, surnom donné au minerai de fer lorrain, a bénéficié d'investissements français. L'exode rural a été d'autant plus fort en Lorraine que le besoin de main d'oeuvre était important. Dans la vallée de la Fentsch (au sud de Thionville), Wendel emploie plus de 12.000 personnes en 1928. A la même période, 40.000 mineurs extraient le fer lorrain, avec une forte proportion d'Italiens (11.000) et de Polonais (9.000) [source].
Après le tournant des années 1960, l'activité sidérurgique a progressivement décliné. L'aciérie ultra-moderne de Gandrange ouvre trop tard, alors que l'Asie produit sur l'eau (moins cher) et que les coûts d'extraction lorrrains décrochent par rapport à la concurrence américaine, sud-africaine et australienne. Les mines de charbon et de fer ferment.
Elles ne sont qu’un souvenir à peine perceptible dans les paysages du bassin houiller. La dernière fermeture date de 2004 à Creutzwald. Depuis 1973, avec une extension des domaines d’intervention en 1986, l’Etablissement Public Foncier de Lorraine est chargé d’accompagner l’arrêt de l’activité. Il est ainsi intervenu à la suite de la fermeture des aciéries de Pompey, au nord de l’aire urbaine nancéienne. Les activités liées au charbon, telles la chimie ont connu la même évolution.
En 1978, le gouvernement Barre impose la création d’une centrale nucléaire sur la Meuse, proche de la frontière luxembourgeoise : Cattenom produit de l’électricité depuis 1991, supplantant la centrale au charbon de Carling. Celle-ci pourrait définitivement interrompre sa production d’électricité en 2013 (source) Au total, un tissu de PME a assuré la survie de la métallurgie en Lorraine : 32.000 salariés en 2003 (un peu plus de 4 % de l'emploi régional).
La multinationale Mittal (ex-Arcelor) semble toutefois vouloir de son côté se désengager de Lorraine, comme en témoigne la fermeture du haut-fourneau de Fleurange par Mittal en 2011 (source). L'activité a profondément évolué, devenue plus pointue : les ouvriers non qualifiés ne représentent plus qu'un quart des effectifs et les salaires se situent au-dessus des moyennes (source).
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Du point de vue de la vocation de marche - frontière de la région, celle-ci appartient au passé. Après le siège de Metz (septembre-octobre 1870) et la reddition du maréchal Bazaine, les vaines tentatives du gouvernement provisoire de Gambetta n’ont pu éviter à la France une défaite sans appel.
Puis la Lorraine se transforme en région stratégique pour les militaires. La Moselle passée avec l’Alsace sous contrôle allemand retrouve une liaison avec le monde rhénan, même si une partie des forces vives de ces départements s'exilent de l'autre côté de la frontière : boom industriel des Vosges et de la Meurthe-et-Moselle (ex. du textile qui totalise encore 30.000 salariés en 1968, pour moins de 15.000 en 1993).
La fixation d’une nouvelle frontière binationale a donné à la Lorraine une place éminente dans le dispositif de défense français après 1870. Le général Seré de Rivières ponctue l’arrière de dizaines de forts et points fortifiés : à Douaumont et Vaux, le système est au coeur de la bataille de Verdun (février - novembre 1916). Dans l’entre-deux-guerres, la ligne Maginot traverse également la Lorraine, et le colonel de Gaulle commande le 507ème régiment de chars de combat en 1937. Après 1945, la menace restant toujours à l’Est, au-delà de l’Allemagne, l'armée maintient de gros effectifs en Lorraine.
Depuis une trentaine d’années, cependant, on observe le mouvement inverse, avec de très nombreuses dissolutions d'unités, ou leur éventuel déménagement : l’exemple le plus récent étant le 13ème RDP de Dieuze installé maintenant en Gironde. La Lorraine a cessé d'être une marche-frontière et s'ouvre de nouveau aux pays rhénans et au Bénélux. La Moselle s'intègre progressivement à la sphère luxembourgeoise (source).
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A la fin du XIXème siècle, la Lorraine a cumulé vitalité industrielle et investissement de l’Etat. Il en a résulté l’enrichissement d’élites bourgeoises et cultivées qui ont permis l’éclosion d’un courant Modern style dans la région.
Ce que l’on a appelé par la suite ‘Ecole de Nancy’ naît de l’imagination d’un artisan verrier mais aussi céramiste et ébéniste, Emile Gallé (1846 – 1904). Révélation de l’Exposition à Paris en 1889, celui-ci inspire et révolutionne les industriels de Daum et de Baccarat. Louis Majorelle (1859 – 1926) a continué l’œuvre du fondateur. L’Ecole de Nancy regroupe également des architectes comme Victor Prouvé ou encore Eugène Vallin qui introduisent à la fois le symbolisme - avec l’harmonie prêtée aux formes végétales - et le béton dans les habitations.
La Lorraine des campagnes a connu comme ailleurs une évolution basée sur la concentration de l’activité, la mécanisation et l’augmentation de la productivité (céréaliculture et élevage d’embouche). Les cultures de coteaux ont été difficilement sauvées de l’abandon : vignoble de Toul, mirabelle…
La Lorraine des villes s’articule autour de deux aires urbaines : Metz-Thionville (300.000) et Nancy-Lunéville (260.000) (source) . Chacune dispose d’atouts propres à leurs fonctions politiques. Metz est devenue capitale régionale, avec un bon accès autoroutier, et récemment l’annexe du centre Beaubourg (source), rappel de la vitalité artistique de la région. Nancy bénéficie cependant des universités.
Les liaisons urbaines sur la vallée de la Moselle témoignent de la pérennité d’un axe nord-sud. Le TGV Paris - Strasbourg passe désormais entre Metz et Nancy. La population de la Lorraine croît légèrement, de 2,31 (1999) à 2,35 (estimations 2011 / Insee). Le taux de natalité régional (11,4 pour 1000) se situe en-dessous de la moyenne nationale (12,8), preuve d'un vieillissement déjà bien entamé...
Pour poursuivre, deux 'posts' sur la Lorraine : l'un sur Nancy et son aire urbaine, l'autre sur Thionville et son aire urbaine
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