La refondation social-démocrate et l’écologie (I)
Cet article est le premier d’une série issue d’un travail commun de réflexion fait dans le cadre de la rédaction du manifeste de socialisme et démocratie (2007).
I.La question écologique
On nous le dit, on nous le répète, pour bien vivre il faut être écolo, bio, développement durable, HQE, anti-OGM et tout un tas de choses qui bien qu’imprécises, tournent autour d’une prise de conscience récente : les sociétés humaines sont arrivées à un niveau où leur impact peut profondément modifier l’état naturel des choses.
Mais quelle place doit occuper l’écologie dans le débat politique ? Est-ce juste un choix de vie, un néoromantisme, un énième retour aux sources et à l’utopie d’une harmonie naturelle bienveillante ou trouve-t-on dans cette question écologique matière à une analyse politique ? Y a-t-il derrière un choix de société, un impact sur notre idéologie qui doit être traduit en propositions politiques cohérentes ?
Cette contribution a pour objet d’essayer d’éclaircir notre approche de l’écologie en tant qu’élément politique.
A.Quelques constats
- La question écologique a pris une place importante et nouvelle dans nos préoccupations quotidiennes.
- Elle pose des problèmes de biodiversité, de réchauffement planétaire, de catastrophes climatiques, de risques épidémiologiques, d’infertilité, de raréfaction d’éléments vitaux (eau, terres cultivables, forêts, ressources halieutiques, ), de migration en masse de populations habitant en zones potentiellement inondables (dans un futur assez proche pour certaines), de gestion des déchets, de pénurie de certaines matières premières, …
- La question occupe une place importante et nouvelle dans la réflexion économique (chiffrage du coût du changement climatique, prise en compte ou pas des objectifs de Kyoto, programme européen Reach d’évaluation des substances chimiques, investissement ou pas dans des technologies non polluantes, …)
- Elle s’est invitée dans les débats des dernières élections présidentielles par la charte écologique de N. Hulot, cette initiative ayant été favorablement accueillie par l’opinion.
- Et pourtant, la dernière élection a vu quasiment disparaître la seule force écologique politique représentative et n’a pas induit de réorientation majeure du discours politique (on y a parlé chômage, sécurité, identité bien avant de parler écologie reçue comme une fausse évidence consensuelle)
Enfin, deux expériences tirées de l’histoire de notre planète sont à méditer : un
changement climatique planétaire a entraîné la grande extinction des espèces du permien (entre autre due à un dégazage massif qui modifia la composition chimique de l’atmosphère), et la modification volontaire de l’écosystème de l’île de Pâques
(déforestation) a provoqué la disparition de la société Rapa Nui au XVIIème siècle.
La modification de la chimie de l’atmosphère terrestre celle de notre écosystème peut avoir des effets potentiellement cataclysmiques sur nos sociétés.
B.Les idées fausses
L’écologie véhicule son lot de peurs, de fantasmes, d’emphase ou d’aveuglement.
- L’écologie, c’est sauver la planète. Non, la planète survivra très bien à nos erreurs, mais si nous changeons trop la chimie de notre atmosphère, si nous réduisons trop fortement la biodiversité, si nous ne trouvons pas un équilibre entre nos besoins et ce que peut offrir la planète, nos sociétés sont sures de disparaître, et potentiellement l’espèce humaine aussi.
- L’écologie est une affaire d’individu. Non, c’est une affaire de société. Un individu a un impact faible, en bien ou en mal, sur son écosystème. Seule la somme concertée des actions individuelles peut changer cet impact collectif. Dans ce sens, la politique est un élément indispensable à la prise en charge du problème. · Il suffit de taxer les pollueurs pour diminuer le problème. Sommes-nous sûr déjà de tous les connaître ? La taxe est une approche bureaucratique simple, qui a des chances de fonctionner à court terme. A long terme, il est probable qu’un impôt comme la taxe carbone créera une économie de la pollution (on trouvera un équilibre entre le pollueur, le consommateur et le dépollueur, et le progrès s’arrêtera). La bourse du carbone est aussi un moyen de coercition à condition de diminuer régulièrement les quotas et de vérifier que des biais polluants ne se créent pas.
- L’écologie est une histoire de catalogue de bonnes pratiques individuelles. Non, c’est insuffisant et par ailleurs les bonnes pratiques d’un individu peuvent se révéler collectivement néfaste (par exemple, rouler au carburant bio est très bien, sauf si cela induit une non-maîtrise des rejets et de la consommation d’eau et d’énergétique pour le produire : ce doit être une opération maîtrisée et optimisée collectivement).
- L’homme n’a pas de réels impacts forts et durables sur la planète. Cette position en forme de déni irresponsable est une position souvent prise par des personnes qui défendent l’individualisme à tout pris, qui ont du mal à lier leur destinée à un tout à destiné solidaire. Ils considèrent que l’individu a une liberté totale et qu’il évolue dans un espace infini aux ressources inépuisables.
- « Le pire est certain » vs « il ne se passera rien ». Deux fois non : il se produit une modification planétaire dont nous sommes une cause mesurable, mais nous avons une latitude d’action et le pire n’est pas sûr.
L’écologie en tant que réflexion politique souffre d’un certain nombre de handicaps.
- L’écologie a longtemps eu une image de « gens pas sérieux », ou s’est identifiée à une utopie de retour à la nature mère nourricière et bienveillante en opposition au progrès scientifique et technique.
- L’écologie implique une vision cohérente à long terme alors que la mode est au surf, à l’immédiat, à l’apparence.
- L’impact écologique planétaire est un fait nouveau et peu perceptible (avant, nous vivions dans un monde « infini » qui absorbait tout ce que nous rejetions, notre impact ne posait pas vraiment problème à nos yeux) ; l’existence du problème n’est donc pas encore un fait acquis.
- A première vue, l’écologie s’oppose à la croissance économique et l’on privilégie invariablement la croissance dans l’offre politique : c’est vrai dans le modèle actuel qui est basé sur des énergies polluantes et qui est expansionniste en terme de territoire, mais ce n’est absolument pas une fatalité. Déjà certains modèles comptables intègrent le surcoût de la pollution.
- L’écologie s’oppose à des choix de société assez récents : c’est vrai en matière d’urbanisme, de transport, de développements énergivores, … mais là aussi, ce n’est pas une fatalité : de nouvelles solutions écologiques peuvent apporter un progrès social (désenclaver un territoire par le développement de transports en communs ou la production d’énergie renouvelable par exemple).
- Dans l’esprit des gens, l’écologie est un problème finalement mal défini, qui inclut informellement le changement climatique (voire la rupture climatique), la pression de nos sociétés sur les écosystèmes qui induit une diminution de la biodiversité, des changements des équilibres chimiques de l’air, de l’eau et du sol. Mais elle inclut tout aussi bien la protection des espaces et des paysages naturels ou cultivés, ou la remise en cause de pratiques socioculturelles comme la chasse.
- Cela tient plus de l’inventaire à la Prévert que d’une définition rigoureuse d’un problème.
D.La gauche et l’écologie aujourd’hui
Comparativement, les mouvements altermondialistes sont plus en pointe sur la question mais ils apparaissent sur la question écologique plutôt comme des mouvements conservateurs voire réactionnaires en quête d’une sorte de replis sur un monde « idéal » s’appuyant sur une « harmonie agricole » (le bon sauvage est devenu l’agriculteur récoltant respectueusement les fruits de la terre nourricière et commerçant dans un monde policé). Nous nous ancrons dans un monde qui se développe, qui progresse, pas un monde qui se replie sur lui-même, voire récessionniste pour certains points de vue extrémistes (sans doute les héritiers contemporains de Malthus). Le développement durable est tout à fait compatible avec une économie florissante qui se projette à long terme.
Plus près de nous, les verts ont probablement eu le tord de défendre l’écologie sans
développer un modèle de société acceptable par la majorité, sans aborder la question économique de façon réaliste, sans traiter l’antagonisme qu’il y a entre sortir de la pauvreté et générer moins de richesses pour mieux maîtriser l’impact écologique. Enfin, ils se sont perdus dans des contradictions comme le souhait de faire disparaître le nucléaire et d’émettre moins de gaz à effet de serre (après avoir été incohérents 30 ans plus tôt avec la promotion du charbon contre le nucléaire) et ont voulu mélanger des problèmes culturels comme la chasse avec la question écologique, ce qui est totalement contre-productif.
Les altermondialistes et les verts sont également en pointe sur des questions comme les OGM. Leur position apparaît cependant comme extrémiste, voire « fondamentaliste ». La questions des OGM recoupe deux problèmes.
1) Un problème éthique : jusqu’où avons-nous le droit de modifier le programme de la vie (l’ADN) et quelle doit être la limite de la brevetabilité ?
2) Un problème d’impact écologique : quelles seraient les conséquences sur l’écosystème de la dispersion de gènes modifiés ? Leur position est conflictuelle et au final, n’atteint pas ses objectifs.
Enfin, les OGM représentent des espoirs thérapeutiques et des solutions potentielles aux problèmes de subsistances des populations. Ces espoirs ne peuvent être balayés par principe mais nous sommes ici dans un cas typique de conflit entre les besoins d’une société et son écosystème.
Une approche rationnalisée d’expérimentation débarrassée d’enjeux commerciaux serait plus saine ; pour cela, il faut que l’état s’implique totalement sur le sujet et ne laisse pas le champ libre au seul marché et combatte fermement le dépôt de brevets sur le code génétique.
Et nous, où en est notre réflexion, quelle est notre offre, qu’est-ce que l’écologie dans notre corpus idéologique ? Force est de constater que nous n’en sommes qu’à une prise de conscience et que ce serait une erreur d’en rester là, voire une faute à court terme.
E.Les sociaux-démocrates sont-ils « écolo-compatibles » ?
La socdem est par essence réformiste, radicalement réformiste. L’idée de s’adapter aux nouvelles donnes est naturelle. Il n’y a donc pas d’obstacle à la prise en compte de l’émergence du fait écologique (contrairement aux partis conservateurs de droite qui eux ont un vrai problème avec l’écologie, au point de nier ses changements climatiques par exemple, les mettant sur le compte d’un cycle naturel).
Nous défendons une approche de société solidaire (contrairement à l’individualisme
ambiant et à l’approche « que tous se débrouillent seuls et que les plus forts gagnent » de la droite). Or la lutte contre le réchauffement climatique est par essence une lutte collective tant au niveau de la production que de la recherche de nouvelles technologies et organisations respectueuses de l’environnement.
Enfin, nous défendons l’idée d’un état qui intervient où il le faut, quand il le faut et ici
aussi, la seule intervention des individus ne suffira jamais à contrer la dégradation
écologique. Dans ce cadre, la socdem est incompatible avec l’idée d’un mouvement
malthusien vers la récession (produisons moins, on polluera moins – ce qui n’est pas aussi simple et causal) et est incompatible avec une politique du laisser-faire. Une action réfléchie, volontaire, s’appuyant sur une utilisation raisonnée de la technologie pour corriger les dérives est par contre dans la droite ligne de la pensée socialdémocrate.
Si l’on examine les réalisations social-démocrates, on peut constater qu’elles sont en phase avec les idées générales du PS (sur ce point, nous ne nous distinguons pas fortement) :
- incitations fiscales (au niveau régional) pour les travaux liés aux améliorations écologiques (chauffe-eau solaire, isolation des logements et des bâtiments…)
- promotion des transports en commun
- urbanisme visant à réduire la circulation automobile
- - …
En première conclusion, on constate donc que notre approche générale des problèmes est tout à fait en phase avec le fait écologique, mais que nous n’en tirons pas un avantage politique parce que trop timide, insuffisamment réfléchie et clairement énoncée.
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