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Le Grand Paris express, la ceinture, et la Sainte-Soulle

L’actualité de cette fin de mois de janvier réserve une surprise qui prend la forme d’un télescopage cocasse. Tout est parti de deux faits divers et d’une annonce qui fait bicher France BTP : le lancement du ’Grand Paris express’.

Pourtant, il n'y a eu ni accident, ni embouteillage, mais deux cas d'éthylisme aggravé. Les deux contrevenants conduisaient, ou tentaient de le faire, au volant de leurs deux véhicules. L'un zigzaguait avec son tracteur sur une petite route de Charente-Maritime, et l'autre s'est endormi dans sa voiture sur le périphérique parisien. Tout séparait a priori le paysan solitaire et le citadin déprimé. Les voilà brusquement réunis. L'un comme l'autre n'ont pas commis l'écart d'un soir, le coude levé pour fêter les semis de tournesol ou le mariage d'un copain. Tous deux ont déclaré un penchant pour la bouteille. Chacun constatera la promptitude des forces de l'ordre. Les gendarmes d'un côté et les policiers de l'autre sont intervenus dans les plus brefs délais. Personne ne doute que l'écho médiatique ne rendra le juge inflexible au jour de la punition.

Certes, je souris alors qu'il n'y a rien de comique. Sainte-Soulle - je n'invente rien - se situe sur la départementale 107, au nord de La Rochelle. Le quadragénaire sur son tracteur suivi par l'estafette de gendarmes a dû s'arrêter sur le bas-côté. Sommé de descendre de sa cabine, il a été incapable d'obtempérer à l'injonction, s'embrouillant dans les explications. Le test d'alcoolémie a vite jaugé son haut niveau de consommation : 5,12 grammes d'alcool par litre de sang. Placé en garde à vue, il a ensuite reconnu « avoir seulement bu une demi-bouteille de Ricard, précisant au passage - à toutes fins utiles - ne 'jamais consommer de vin'. » Un retrait de permis de conduire devrait clore l'aventure, même si on s'interroge sur la possibilité de confisquer le tracteur, faute de précédent connu. (source)

Sur le périphérique, c'est dans la nuit de mardi à mercredi que les policiers ont repéré une voiture immobilisée sur une voie. Le conducteur dormait la tête sur le volant. Le quinquagénaire a été emmené à l'Unité de Traitement Judiciaire des Délits Routiers (UTJDR), mais n'a pu souffler dans l'éthylomètre. Une prise de sang a été nécessaire pour mesurer son degré d'ivresse, relativement moins élevé que son 'confrère' : 3,12 grammes par litre de sang. La formule d'usage s'applique à ce dormeur indélicat, 'connu des services de police pour des faits similaires'. Il a déjà reçu cinq contraventions pour 'conduite en état d'ivresse' ; « l'homme a notamment été impliqué en 2007 dans un accident corporel sur le périphérique. Il avait alors fait l'objet d'une procédure pour blessures involontaires aggravées par un délit de fuite, a indiqué la Préfecture de Police. » (source)

Mais demain le Grand Paris Express épargnera toute difficulté aux Franciliens. Ils ne prendront plus leurs voitures et viendront même dans les rames s'assoupir. Il s'en faut quand même de quelques centaines de kilomètres pour que Sainte-Soulle ne rentre dans les boucles desservant l'Île de France. On peut cependant escompter que dans le cadre de l'Enorme Grand Paris, dans une vingtaine d'années (?) et une fois le bassin parisien patiemment recouvert de rails et de voies goudronnées, des projets d'extension ne soient imaginés du côté de la région Poitou-Charentes. Au crépuscule de l'évolution, le tracteur ne sera plus qu'un engin démodé, objet de collection pour musées d'histoire locale. On pourra alors siffler des apéritifs et prendre le tramway à la sortie du champ sans enfreindre la loi...

Les principaux responsables politiques ont conclu un accord ('historique') pour le Grand Paris : deux ministres et le président de la région. Cette harmonie soudaine tranche avec le climat à couteaux tirés prévalant ces temps dernier. A l'automne, l'UMP a tout simplement refusé d'admettre l'élection de Jean-Paul Huchon et a fait déposer un recours devant le Conseil d'Etat. Officiellement, c'est un militant de base du parti présidentiel qui est à l'origine du contentieux. Il accuse l'élu socialiste d'avoir arrangé ses comptes en omettant une campagne de publicité à la gloire de la région - et de ses 'investissements' dans les transports franciliens, tiens ! - tout cela quelques jours avant les élections. Le président de la Région risque à la fois de devoir rembourser les aides publiques versées en contrepartie de ses frais de campagne, en même temps qu'une peine d'inéligibilité. On a donc su ranger les couteaux in extremis. Les plus optimistes, convaincus de l'indépendance du Conseil d'Etat, conclueront que les intérêts supérieurs ont primé et que Jean-Paul Huchon a gardé jusqu'au bout sa liberté de parole (source) ? Le Figaro se félicite dans son édition du 27 janvier.

« Le bon sens a fini par l'emporter dans le monde du transport en Ile-de-France. Mercredi, le ministre de la Ville, Maurice Leroy, Jean-Paul Huchon, le président socialiste de la région Ile-de-France, et Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre du Développement durable, de l'Écologie et du Transport, ont annoncé un 'accord historique' sur le projet de Grand Paris, ce futur réseau de transport en Ile-de-France destiné à améliorer la desserte de la banlieue, des aéroports et à désengorger les lignes de métro et de RER existantes. Un investissement global de 32,4 milliards d'euros sera consacré d'ici à 2025 à la modernisation du réseau et à un maillage plus fin de l'Ile-de-France. Pour ce faire, un métro automatique d'environ 150 kilomètres, desservant une cinquantaine de gares, fera le tour de Paris. Mais dans un premier temps, des mesures d'urgence seront mises en œuvre : la ligne Eole sera prolongée à l'ouest de la Défense, reliant Saint-Lazare à Mantes-la-Jolie. Et la qualité de service sera améliorée sur les lignes de RER. »

Ne signalant même pas le désaccord des Verts, le journal évite la question centrale, celui de l'objectif poursuivi. Cherche t-on à améliorer la vie des voyageurs ou à ouvrir des chantiers au profit d'industriels, bénéficiaires des prochains appels d'offre ? Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, les entreprises françaises ne manquent pas, qui savent au besoin faire étalage de leurs multiples savoirs-faire. La commission Sauvé a justement rendu mercredi 26 janvier ses conclusions sur la résolution des conflits d'intérêts entre sphères politique et économique (source). A la question du 'qui paiera ?' le flou ne se dissipe pas. Si 18 milliards d'euros seront à la charge des collectivités (9 milliards) et de l'Etat (9 milliards), il faudra financer les 14 milliards restants. Le journal évoque les taxes sur l'immobilier et une TIPP 'revisitée'. J'y reviens un peu après.

Et si les enveloppes budgétaires bientôt engagées permettaient aux sociétés gestionnaires d'acheter de nouvelles rames automatiques aujourd'hui ? Les réunions publiques censées recueillir les vœux du public ont visiblement servi d'exutoires pour des dizaines d'usagers exaspérés par les dysfonctionnements actuels des transports collectifs franciliens. Les intervenants présentaient des projets, les visiteurs parlaient de grèves, de retards, de problèmes techniques, d'incidents sur voies, etc ['Pas de hasards à Saint-Lazare']. Le ministre des Transports, Maurice Leroy, s'est toutefois sobrement réjoui de 'la mobilisation des Franciliens sur ce dossier complexe' (source). Il feint modestement de ne pas s'attribuer les mérites de cet accord sur les transports. Pour obtenir satisfaction, décrit le Point, il a donné satisfaction au plus grand nombre, en prenant le contrepied de Christian Blanc (l'ancien secrétaire d'Etat au Développement de la région capitale entre 2008 et 2010)

Sa facilité à aborder le dossier du Grand Paris et son aisance avec les élus de gauche, Maurice Leroy la doit à sa longue carrière politique. « De 1984 à 1990, il occupe le poste de secrétaire général du groupe communiste au Sénat. Pendant deux ans encore, il travaille dans les cabinets d'élus PCF, avant de rejoindre... Charles Pasqua au RPR et d'en devenir l'un des cadres... jusqu'à son ralliement à l'UDF en 2003. [...] Certains voient dans ce parcours étonnant le comble de l'opportunisme ; d'autres, un excellent moyen d'engranger de l'expérience. Bien que président (NC) du conseil général du Loir-et-Cher - département rural par excellence - Maurice Leroy s'est ainsi frotté aux problèmes de la banlieue parisienne. D'abord en suivant Charles Pasqua dans les Hauts-de-Seine ; puis en travaillant au cabinet d'Eric Raoult, ministre de la Ville de 1995 à 1997. » Je ne relèverai que le saut entre le Loir-et-Cher et la région parisienne, et retombe sur mon fil rouge, la lente extinction de la campagne cancérisée par la ville. (source).

Le dossier 'Décryptage' du 'Monde' du 28 janvier traite justement du sujet. Le parti pris ne tarde pas à apparaître. « Pour Jean-Luc Laurent, maire du Kremlin-Bicêtre, délégué chargé du Grand Paris à la région Ile-de-France, 'tout le monde est gagnant'. A commencer 'par les Franciliens d'aujourd'hui'. 'Dans ce plan, il y a du plus et du mieux', s'est félicité, lors de la présentation du 'protocole', Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie et des transports. Le plus est un projet de métro automatique d'une longueur estimée entre 120 et 170 km, qui ondulera autour de Paris d'ici à 2025. » Ici, des élus accréditent deux contre-vérités. Primo, tout est simple ; seuls les sots et les gratte-papiers jugent complexes les dossiers. Secundo, décider c'est contenter tout le monde ; et les deux catégories isolées précédemment pensent l'inverse. Or décider c'est choisir, c'est-à-dire désigner des déçus. Parce qu'ils redoutent le vote des automobilistes et des voyageurs qui empruntent le réseau francilien, les élus préfèrent ne pas présenter la note. Ils ne reste plus qu'à poser clairement les termes de l'alternative pour payer le Grand Paris express : l'impôt.

Je ne peux que recommander le dossier du 'Monde ' bien qu'il réduise l'action des Verts à celle de la mouche du coche. Je m'interroge pour finir. Les communes principalement concernées par une densification - on ne parle que de transport et non d'habitat ! - sont celles situées à proximité de la capitale. Or, le projet de transport ne semble pas les concerner au premier chef. Ainsi, le périphérique sur lequel mon automobiliste s'est endormi mesure trente-cinq kilomètres (source). Une ligne de métro automatique encerclant Paris devrait logiquement présenter des caractéristiques proches.

Si j'ai bien noté, le 'ruban' ne mesurera pas trente-cinq, mais cent-vingt kilomètres ! Les communes de la première couronne évitent par conséquent les ennuis du gigantesque chantier et repoussent encore toute perspective d'absorption par la ville-centre. Dans la seconde couronne, les maires rêvent de flambée des prix de l'immobilier, gage de nouvelles rentrées fiscales et d'enrichissement 'automatique' pour leurs administrés. Je parle bien sûr des propriétaires actuels. Les autres s'installeront en quatrième ou cinquième couronnes. On cerne mieux le 'tout le monde est gagnant' du maire du Kremlin-Bicêtre, ville qui au passage (...) gagnera une station de la ligne 14.

Il y a fort à parier que d'ici la réalisation des futures lignes désignées les Franciliens demandent des améliorations sur le réseau existant. Fort de l'histoire des transports, je gage pourtant qu'une fois les travaux achevés, les usagers emprunteront le réseau 'nouvelle formule', sans renoncer à la voiture : autant dire que l'espace agricole continuera probablement à se résorber, victime expiatoire d'une urbanisation incontrôlée. Qui sait ? En 2025 l'alcoolisme sera peut-être maladie archaïque ?!

Il faudrait prendre le taureau par les cornes, rappeler aux propriétaires parisiens qu'ils ne pourront espérer indéfiniment imposer à l'Île-de-France une rente de situation inouïe (les meilleurs logements, et peu de déplacements). A ceux de la première couronne qu'ils devront se fondre dans un Paris élargi à 30 arrondissements (chiffre rond lancé au hasard). Aux Franciliens qu'ils devront payer un jour pour leurs déplacements... Pour l'heure, dans l'ivresse de l'accord conclu, fêtons la nouvelle Ceinture et la Sainte Soulle.

PS./ Geographedumonde sur Paris ['Prendre un Paris, celui de 1910'] et sur les questions de transports en métropole : 'Nantes, capitale du bouchon vert'...

Incrustation :Carte du projet


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4 réactions à cet article    


  • Alain-Goethe 29 janvier 2011 19:49

    J’ai trouvé assez long cette histoire des 2 amoureux de la dive bouteille.

    Par contre, une phrase intéressante au moment où vous indiquez que « le nouveau ruban de transport » aura 1 longueur d’env 140 km et non 30 comme le périph :

    «  »Dans la seconde couronne, les maires rêvent de flambée des prix de l’immobilier, gage de nouvelles rentrées fiscales et d’enrichissement ’automatique’ pour leurs administrés. Je parle bien sûr des propriétaires actuels. Les autres s’installeront en quatrième ou cinquième couronnes. On cerne mieux le ’tout le monde est gagnant’ du maire du Kremlin-Bicêtre, ville qui au passage (...) gagnera une station de la ligne 14. «  »

    En effet, concentrons toujours sur l’Idf cette région de « stress »
    En 2ème couronne, les prix de l’immo augmenteront ( sauf si la France est en grande récession..)
    et ceux qui voudront acheter un logement devront se rabattre sur 3ème ou 4 ème couronne ..

    sauf d’habiter Ste Soulle et de travailler à Soisy ( celui du 95 ou celui du 77), à Survilliers,(ou une autre ville commençant par S..) avec les Soucis en semaine pour se trouver sur leur lieu de Service


    • Miss Fischer-Brown 29 janvier 2011 23:54
      Qui s’étonne encore de la complicité de la droite et de la gauche. Quant aux bobos verts, il faut les avoir fréquenté un peu pour savoir qu’ils ne sont que des opposants d’operette dans cette affaire. Et dans bien d’autres, aussi. Paris est gouverné par les socialistes et les verts depuis plusieurs années, et les logements sociaux à qui sont-ils octroyés ? Je vous le demande ! Quand vous posez la question à un maire ou un député parisien sur les raisons d’une attente de plus de 10 ans pour un hlm, ils vous répondent que ce ne sont pas eux qui décident !!! alors pourquoi sont-ils élus, pour le décor ? 

      « Bon allez J’Popol, ch’t’efface ton ardoise, mais tu votes pour hein !... pour le grand Paris.  »

      Le grand Paris, c’est du business, rien que du business. Nos politiques umps valets des riches vont s’en mettre plein les fouilles en vendant deci-delà terrains, permis de construire, d’installation d’entreprises, etc... etc...Les pauvres qui résident encore dans quelques arrondissements de la capitale seront bientôt bannis à 100 voir 200 kms. 
      Ensuite je vois bien une police privée (genre milice) spécial grand Paris. On y vient doucement mais sûrement. Sûreté oblige pour nos bons maîtres.


      Le grand Paris, certains s’en frottent les mains ! business business


      • francine 30 janvier 2011 22:20

        Dans ce dossier, plusieurs choses me troublent :
        1. Alors que l’on connaît l’état calamiteux des finances publiques, on a décidé de dépenser sans compter pour améliorer les transports de banlieue. Sans compter au point d’imaginer de desservir en métro ce que nulle part ailleurs on a pensé desservir. Troublant, non ? A moins que ce soit la version 2011 du « demain on rasera gratis » !
        2. Alors qu’aujourd’hui gauche et droite se déclarent d’accord, Région et Etat pareillement, on a décidé de conserver la Société du Grand Paris qui fait double emploi avec le STIF. Partout ailleurs, lorsqu’on se retrouve avec 2 pilotes différents pour les transports, au moins ne s’occupent-ils pas de la même chose comme à Londres par exemple où les chemins de fer de banlieue dépendent de l’Etat et TfL du reste. Troublant non ? A moins qu’on préfère sacrifier l’efficacité à la querelle politicienne !
        3. Pour finir, ce qui me trouble le plus, c’est le nombre d’anciens du PCF qui se trouvent mêlés à cette affaire du côté de la droite. Pas seulement le ministre Leroy, bien sûr. La SGP ressemble au club des anciens des cabinets ministériels de Gayssot et de Marie-George Buffet. Le représentant de la Datar chargé d’une mission sur les tracés à l’Est par Leroy vient lui aussi du Cabinet de Gayssot. Troublant, non ? Pour qui roulent-ils, tous ces anciens de l’école centrale du parti ? Pour la majorité régionale ? Vraiment ? A moins qu’ils aient souhaité accompagner notre Président dans son entreprise de démolition de la gauche régionale. En tous cas, bravo à nos mercenaires, c’est parfaitement réussi !

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