Le lent poison des réformes
Il faut réformer ! La France n’aime pas les réformes ! Chaque jour, les français sont soumis à cette injonction et à cette culpabilisation. Mais à y regarder de plus près, pourquoi cette frénésie de réformes, et surtout pour qui ?
Les arguments à deux balles
La France doit être compétitive ! Elle croule sous la dépense publique ! Notre économie est fragile ! Le coût du travail est trop important ! Les Français n’aiment pas les réformes ! Ils n’aiment pas les riches ! Réformer, c’est plus de liberté.
Ces remarques frappées au coin du « bon sens » de nos économistes orthodoxes tendraient à nous faire croire que la réforme est vertueuse et qu’elle devraient produire des effets pour tous à plus ou moins long terme, ce qui est faux et l’on s’aperçoit que, lorsque le curseur du libéralisme est poussé un peu trop loin, les français (pas ceux, peu nombreux, qui profitent du système) que l’on avait tendance à prendre pour des veaux, descendent dans la rue et obligent le gouvernement à plier (un peu).
Ils ont appris à se méfier du mot réforme, les français. Pourtant, ce mot qui signifie « Changement qu'on apporte (dans les mœurs, les lois, les institutions) afin d'en obtenir de meilleurs résultats (amélioration) », n’a pas le même sens pour tout le monde à l’heure de la mondialisation heureuse.
Si le mot réforme est le cri de ralliement des institutions bancaires, des entreprises, du capitalisme pur et dur, des sociétés d’assurances privées, c’est qu’il existe des gisements d’argent pour quelques privilégiés qui additionnent les milliards à venir comme un gilet jaune les frais bancaires et les lettres de rappel.
Réformer, c’est plus de liberté !
Il fallait oser et il l’a fait. Jean Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites, n’a pas hésité. Il déclare en effet que le nombre de points de retraite augmentera si les personnes désirent travailler après 62 ans qui n’est plus qu’un âge théorique de départ. Et bien sûr, ces personnes qui accepteront (ou plutôt qui y seront obligées) de travailler plus tard bénéficieront d’une meilleure retraite. CQFD !
Sauf que le poison de la retraite à points réside dans le fait que la valeur du point peut ne pas évoluer, voire même diminuer, dans le temps, ce qui n’est pas le cas dans le régime actuel (pas encore). Pas besoin de toucher à l’âge de départ officiel ! Une petite baisse de la valeur du point et hop, on équilibre le régime !
C’est simple la réforme, aussi simple que la réforme à la hussarde du Code du travail qui facilite les licenciements sans que la contrepartie affichée, la création de nouveaux emplois, se mette en place. Tout juste avons-nous droit à la multiplication des contrats courts, source d’instabilité sociale pour de nombreux travailleurs.
Réformer, c’est aussi limiter par des procédures complexes le droit des salariés à recourir aux Prud’hommes ainsi que plafonner les indemnités de licenciement. C’est faciliter le recours aux faux autoentrepreneurs taillables et corvéables à merci.
Réformer, c’est obliger des bacheliers exclus de Parcoursup à s’inscrire dans des établissements privés moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes.
Réformer, c’est aussi supprimer la taxe d’habitation sans dire que les bénéficiaires devront s’habituer à avoir moins de services publics et davantage de services privés qu’ils devront payer.
Il va sans dire que toutes ces « réformes » ne visent pas à améliorer la vie des citoyens dans leur majorité, mais à leur donner moins, les faire dépenser plus, le tout pour le bien exclusif d’un système dirigé par quelques-uns qui se goinfrent, n’en ont jamais assez et en redemandent.
L’exemple du CICE
Rendons justice à Macron, il n’est pas l’inventeur du système, mais comme Ministre de l’Economie, il n’était pas loin lorsque le coup est parti.
Décomposons l’acronyme pour voir ce qui se cache derrière et surtout ses lacunes mortifères pour le budget : Le C et le I signifient Crédit d’Impôt. C’est un terme que nous connaissons et qui permet par exemple de déduire de ses impôts de l’année suivant des dépenses faites pour changer une chaudière. C’est pareil avec le CICE pour les entreprises qui peuvent déduire 6 % des salaires versés inférieurs à 2.5 SMIC de leur impôt sur les bénéfices. Jusque-là, tout va bien, ou presque : on peut tout de même contester le bien-fondé de la mesure.
Là où ça se gâte, c’est lorsqu’on analyse le C et le E qui signifient Compétitivité et Emploi. Parler de compétitivité, c’est envisager que deux entreprises qui produisent les mêmes biens destinés uniquement au marché français ne soient pas placées sur un pied d’égalité et doivent de ce fait bénéficier d’un crédit d’impôt, ce qui est un non-sens total et un investissement de fonds publics inutile que l’on retrouvera dans les bénéfices et dividendes versés aux actionnaires, propriétaires et cadres dirigeants.
Inutile d’espérer une baisse du prix de vente des biens et des services produits ou encore une augmentation de salaires pour les salariés, sauf s’il s’agit d’une prime défiscalisée et désocialisée. Le CICE comme les primes et heures supplémentaires, objet du plan gouvernemental sont ce qu’on appelle des effets d’aubaine.
Par contre, la compétitivité peut avoir du sens pour les entreprises en concurrence sur les marchés internationaux, encore faudrait–il vérifier leur caractère vertueux vis-à-vis de l’évasion fiscale et du paiement des impôts en France des dirigeants avant de parler d’aides à la compétitivité.
Enfin, le E qui signifie emploi et qui suppose que des emplois soient créés avec le CICE et là, c’est la catastrophe, puisque France Stratégie recense seulement 100 000 emplois créés ou sauvegardés ( !) en 2014 et 2015, soit 270 000 € d’aides par emploi !
Is sont forts nos technocrates de Bercy lorsqu’il s’agit de donner de l’argent sans contreparties aux entreprises, aux banques, aux sociétés d’assurances,… Par contre, ils ne renoncent jamais à leurs petites manœuvres crapoteuses qui consistent à sucrer 5 € sur les APL, à faire croire que la hausse de la prime pour l’emploi sera de 100 euros et qu’elle constitue une augmentation du SMIC alors que tous les salariés au SMIC n’en bénéficieront pas et qu’au final cela ne comptera pas pour la retraite.
L’autre poison des réformes
C’est la communication politique, les usines à gaz construite par Bercy qui n’ont d’autres buts que de faire plaisir aux futurs employeurs privés potentiels des Inspecteurs des Finances, c’est le dogme de la mondialisation heureuse qui se traduit par la soumission chaque jour plus importante des populations, c’est la morgue et le mépris des dirigeants politiques et de la caste des technocrates qui dirigent le pays sans partage, c’est l’entre soi de ces dirigeants avec le monde de la finance et de l’économie d’où ils tirent leur statut social.
Que l’on ne vienne pas nous dire qu’ils viennent de s’apercevoir que tout n’allait pas bien dans le pays, qu’ils font leur mea culpa et promettent que les choses vont changer. Non, ils mentent, comme d’habitude, parce que les mesures qu’ils proposent (défiscalisation, désocialisation, fin de la Taxe d’habitation,…) seront payées par ceux qui sont censés en bénéficier et parce qu’on ne touche pas aux « réformes » à venir, comme celle des retraites, qu’on ne rétablit pas l’impôt de Solidarité sur la Fortune et qu’on continue à verser sans contreparties la CICE à tout le monde sans contrepartie et surtout en le faisant passer du statut de crédit d’impôt en principe soumis à des engagements à celui de baisse définitive de l’impôt sur les sociétés.
Champagne pour les riches !
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