Le maillon faible du Karachi-gate

Les élucubrations éditoriales vont bon train, et chacun y va de son petit scénario.
Pourtant une piste facile et fragile n’a manifestement pas été bien exploitée par la justice.
Elle à un nom : Nicolas Bazire.
Si la justice (toujours fragilisée par une décision du chef de l’Etat, qui pourrait clore l’affaire définitivement) se décidait à enquêter du coté de Bazire, il est probable qu’une incontournable vérité commencerait à sortir du puits.
Ce Nicolas pourrait en effet mettre l’autre Nicolas en très mauvaise posture.
Mais qui est Nicolas Bazire ?
Il était directeur de cabinet de Balladur de 1993 à 1995, et il est devenu depuis le numéro 2 du groupe de luxe LVMH de Bernard Arnault. lien
Il est aussi l’ami de l’autre Nicolas, et a même été le témoin de mariage de son ami avec Carla Bruni.
Pour la « petite histoire », grâce au geste présidentiel fait aux nantis, il a récupéré 3,5 millions d’euros en dégrèvement fiscaux. lien
Stéphane Paoli, dans son 12-13 du dimanche 28 novembre 2010 sur l’antenne de France inter ouvrait, grâce aux personnalités qu’il avait invitées, un aspect tout à fait intéressant de l’affaire.
Etaient présents à cette émission Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart, Jean-Bernard Schmid, juge d’instruction à Genève, Ghislaine Ottenheimer, rédactrice en chef de « Challenges » et Denis Bertrand, professeur de littérature et de sémiotique. lien
Ghislaine Ottenheimer a écrit en 1994 « les deux Nicolas » (plon)
Elle y décrit comment les deux Nicolas, l’un de 37 ans, l’autre de 39, contrôlaient les principaux leviers de commande du gouvernement Balladur (Matignon, communication, budget, nominations) et tentent d’imaginer un « gouvernement qui ne gouvernerait pas ». lien
Or pour les intervenants de l’émission de Paoli, la solution idéale est d’interroger Nicolas Bazire.
Il est le maillon faible.
Bazire est, comme on l’a vu, en 1993 directeur du cabinet d’Edouard Balladur, au moment ou Sarközi en est le ministre du budget et le porte parole.
Dans l’émission « l’heure de vérité » de F.H de Virieu, Sarközi admet être « l’homme orchestre du gouvernement et connait toutes les intentions et les projets de Balladur ».
Comme le dit Ghislaine Ottenheimer dans son livre, « ils sont les deux gamins les plus puissants de France ». lien
Grâce à Quentin Girard, l’un des fondateurs du magazine « mégalopolis », et de la revue « l’imparfaite », nous en savons un peu plus.
C’est le journal « Libération » qui avait ouvert le feu : il accusait Sarközi d’avoir fait financer sa campagne présidentielle Balladurienne de 1995 en mettant en place un système de rétro commissions suite à la vente de 3 sous-marins au Pakistan.
La somme est coquette : un peu plus d’un million cinq cent mille euros.
Or l’arrêt du versement des dessous de table auraient provoqué les représailles que l’on sait : l’attentat de Karachi du 8 mai 2002 lors duquel 15 personnes ont trouvé la mort, dont 11 ingénieurs français, comme le précise Quentin Girard. lien
Edouard Balladur a formellement démenti, mais « Libération a déconstruit point par point son argumentaire », comme on peut le découvrir sur ce lien.
En effet « Libération » à produit des documents inédits démontrant que deux intermédiaires imposés par l’équipe de Balladur, ont au moins reçu 54 millions de francs, le 2 juin 1995, dans le cadre d’un accord prévoyant un versement total de 216 millions de francs sur 12 mois.
Et « Libération » d’ajouter : « nous sommes en mesure de révéler que le compte de campagne de Balladur a enregistré un dépôt en espèce de 10 millions de francs ». lien
Comment Nicolas Sarközi et Nicolas Bazire auraient-ils pu ignorer les tractations en cours, vu les postes qu’ils occupaient. lien
En tout cas, Sarközi qui affirme qu’il s’agit d’affabulations (« allégations grotesques ! (…) qui peut croire une fable pareille ? ») devrait pouvoir expliquer pourquoi un rapport de la police luxembourgeoise évoque son rôle dans le montage financier de paiement des commissions dans la vente de sous-marins au Pakistan ? lien
Balladur continue d’affirmer ne pas être au courant de toute cette affaire. lien
Lui qui clamait il y a quelques années : « je vous demande de vous arrêter ! » pourrait envisager de dire aujourd’hui « je vous demande de ne pas m’arrêter ! ».
Plus sérieusement, cette posture met en danger les deux Nicolas, car eux, de par les fonctions qu’ils occupaient n’ont pas pu ignorer les mécanismes de cette affaire, et si Sarkozy, de par sa place présidentielle peut ne pas être inquiété pour l’instant, il n’en va pas de même pour Nicolas Bazire.
Bazire est bien donc le maillon faible.
Tout dépend maintenant du chef de l’Etat, qui peut, via un procureur, mettre un terme à cette affaire.
Tout comme pour l’affaire Clearstream, ou l’affaire Bettencourt-Woerth-Sarközi, on trouve chaque fois un procureur qui semble tout faire pour que l’affaire soit enterrée.
Pour le « karachigate » il s’appelle Jean Claude Marin.
Dans un premier temps il a jugé que l’affaire était prescrite, et que la plainte des familles de victime n’était pas suffisante pour ouvrir le dossier. lien
(C’est ce même Marin qui avait décidé de faire appel contre la relaxe de Dominique de Villepin dans l’affaire Clearstream).
Rappelons que le procureur Courroye, (lequel a freiné manifestement de tout son poids afin que l’affaire Bettencourt s’enlise) tout comme le procureur Marin ont été nommés par le pouvoir en place.
Le juge Van Ruymbeke, désigné pour enquêter sur le volet financier de l’affaire, après avoir entendu Charles Million, (lequel avait exprimé son intime conviction de l’existence de rétro-commissions) a entendu De Villepin, et se retrouve confronté au « secret défense ». lien
Le juge Marc Trévidic affirmait en juillet dernier qu’il rencontrait des difficultés : « il y a certains aspects qui me permette d’être un peu inquiet pour la suite des évènements ». (Comprenez : les obstacles s’accumulent)
Le rapport de 137 pages, remis au juge par Hervé Morin, ministre de la défense, n’a que 6 paragraphes visibles, ce qui fait beaucoup de déchets, et pas grand-chose d’exploitable. lien
Mais voila, un document appelé « Nautilus » renforce les soupçons et permet de relancer l’enquête.
Ce rapport « nautilus » évoque :
« L’aval du directeur de cabinet (Nicolas Bazire) du premier ministre (Édouard Balladur) laisse supposer des relations ambiguës avec les autorités politiques en faisant référence au financement de la campagne électorale de m. Balladur pour la présidentielle de 1995 ».
Pour cette raison, Maître Jean-Marc Fédida, avocat de Claude Thévenet (ex-DST- rapport Nautilus) réclame que le juge d’instruction en charge du projet, Jean-Christophe Hullin entende non seulement Chirac, MAM, et Balladur mais aussi Nicolas Bazire. lien
Il est probable que si Bazire était entendu, toute la lumière pourrait être faite.
Aujourd’hui Devedjian allume des écrans de fumée en proposant d’autres pistes, comme d’autres, qui à l’époque ont voulu faire croire qu’il y avait un rapport avec Al Qaïda et l’attentat de Karachi (le 11 septembre n’était pas si loin). lien
Le 30 novembre 2010, le juge Trévidic a entendu de nouveau Dominique de Villepin, qui répètera vraisemblablement ce qu’il a déjà dit quelques jours auparavant. lien
La solution possible pour faire éclater la vérité semble plus simple, et plus cruelle : interroger Nicolas Bazire.
Çà pourrait être la carte qui fait s’écrouler tout le château… et handicaper définitivement la candidature de Sarközi pour 2012.
A condition que le procureur Marin n’intervienne pas.
Car comme disait mon vieil ami africain :
« Le chef ressemble à la poubelle »
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