Le Parlement se rebiffe
Une fois n’est pas coutume, le Parlement n’a pas écouté la voix de son maître. Retour sur un vote polémique...
Une fois de plus, tout était écrit d’avance. Le projet de loi relatif au droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information avait été ficelé dans les cabinets ministériels. Certes, on avait consulté les principaux acteurs, que ce soient les maisons de disques ou les associations de consommateurs et d’internautes, avec le résultat que l’on connaît : la légalisation des mesures techniques de protection destinées à empêcher toute reproduction des oeuvres d’auteurs, et par conséquent la fin de la copie privée et des échanges peer to peer. Ne restait plus que le vote des députés pour clore le débat. Une simple formalité. Depuis plusieurs jours, le ministre de la Culture se promenait déjà dans les médias pour "vendre" son projet de loi. Mercredi soir, juste avant le début de la discussion à l’Assemblée, la FNAC et Virgin investissent le Palais Bourbon pour "vendre" aux députés les futures cartes prépayées qu’ils entendent lancer sur le marché après l’adoption du projet de loi. C’est Noël avant l’heure.
Et puis soudain : patatras ! En pleine nuit, 58 tontons flingueurs dynamitent le bel édifice en adoptant deux amendements identiques qui légalisent le système de licence globale optionnelle. La mutinerie est venue des propres rangs de l’UMP auxquels se sont joints des députés PS, UDF, verts et communistes. Un attelage hétéroclite de circonstances qui a envoyé le gouvernement là où il ne voulait pas aller. Or, qu’ont fait les députés, sinon débattre du contenu d’un projet de loi ? Tout cela pourrait paraître bien anodin dans n’importe quel régime démocratique mais, sous la Ve République, l’évènement se crée paradoxalement lorsque le Parlement joue son rôle. Car, sur le fond, à qui revient-il de trancher dans cette affaire : aux technocrates, au demeurant forts respectables, qui oeuvrent dans les cabinets ministériels, ou bien à la représentation nationale ?
Partie remise
Dès jeudi, le ministre de la Culture éconduit s’est dit "résolu" à revenir sur le vote des députés. « J’ai mes convictions, je les défends avec force au nom du gouvernement. Le gouvernement n’a pas d’état d’âme, il a pris une décision et il s’y maintient », a déclaré M. Donnedieu de Vabres. De son côté, le président du groupe UMP de l’Assemblée, Bernard Accoyer, a souligné que l’Assemblée n’était pas « une chambre d’enregistrement ». Dans les faits, fêtes de fin d’année obligent, les deux parties ont décidé de botter en touche en reportant l’examen du projet de loi au mois de janvier. Ainsi le gouvernement pourra confier au Sénat le soin de réexaminer les deux amendements hérétiques, sans crainte de voir les membres de la haute Assemblée se transformer à leur tour en tontons flingueurs, et accroître ainsi la pression sur les députés. Sans compter le remontage de bretelles auquel auront droit les députés UMP dissidents. Quant à nous, simples citoyens internautes, rappelons-nous dans l’intervalle au bon souvenir de nos représentants politiques.
Reste que cet épisode - cet "accident" démocratique de la vie politique française qui a vu la représentation nationale faire usage de ses prérogatives législatives - fait apparaître sans détour le rapport de subordination dans lequel se trouve le Parlement face au gouvernement. Au fond, la Ve République n’aime pas les débats d’idées. Ou alors à distance, et tant qu’ils ne prêtent pas à conséquence. C’est la raison pour laquelle le vote de mercredi soir apparaît comme une véritable bouffée d’air démocratique. Un vent de liberté et de souveraineté retrouvées, qui aurait traversé les bancs de l’hémicycle.
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