Le tollé devient la principale force d’opposition
L’affaire Filippis en est une illustration, tant par son caractère pédagogique que son illustration édifiante ; le tollé est devenu une force d’opposition aux modalités, aux contours, aux règles on ne peut plus flous. L’ère du flou en politique est arrivée et la démocratie se dit que les citoyens sont floués alors que les rouages démocratiques deviennent floutés. Ainsi va la société. Est-ce un drame ? Non ! Est-ce grave ? C’est à voir !

La France est un pays riche par son histoire, par ses passions politiques, ses mouvements sociaux. Le dernier grand mouvement de la rue a fait plier Villepin qui retira son projet de CPE. Juppé connut l’ampleur de la rue lors des manifestations de décembre 1995. Et pour des corporations, des associations ou des salariés, la rue est l’espace de prédilection permettant d’affirmer le mécontentement, les problèmes et parfois, l’opposition à des projets gouvernementaux. La rue est une tradition républicaine et populaire en France. De tous temps, elle a constitué un contre-pouvoir. La plupart des gouvernements, de gauche et surtout de droite, ont plié face à la rue, mais comme le jeu démocratique est équilibré, les gouvernements ont souvent gagné. En la matière, l’honnêteté intellectuelle doit reconnaître une présomption de légitimité aux gouvernants dont les décisions, parfois impopulaires, sont nécessaires. Quant à la rue, elle exprime la voix des gens, des citoyens, eux aussi légitimes dans leurs revendications.
A l’opposition de la rue s’est ajouté un autre espace dont l’impact n’a fait que se renforcer, surtout depuis l’avènement de l’expression citoyenne sur Internet. Les médias ont relayé, voire supplanté la rue. Et l’un des journaux très tendance s’est baptisé Rue89, sans pour autant faire de l’ombre à l’Agoravox qui, bien que boudée par les médias officiels qui la snobent (car ses rédacteurs n’ont pas de carte de presse) participe à l’expression citoyenne. En fait, c’est tout cet ensemble qui parfois, résonne de concert sans concertation préalable, donnant à quelques événements une ampleur certaine.
Ainsi, le tollé médiatique est devenu une force d’opposition capable de réguler et d’infléchir la politique gouvernementale. Cette situation, sans être inédite, est tout de même en rupture avec l’ancienne politique qui se faisait au sein des partis, avec des échanges à l’Assemblée, des amendements, des députés recevant des doléances en tenant permanence dans leur circonscription, des ministres encadrés pourvus de conseillers. En ce 21ème siècle où rien ne se passe de neuf, la place acquise par les médias se confirme si bien que quatre instances nationales disposent des pouvoirs. Le président, les ministres, les parlementaires et le tollé médiatique. Et la situation est fort complexe comme on le constate tous les jours.
Le tollé possède une légitimité, traduisant l’implication citoyenne. Mais le tollé, dirait Sloterdijk, n’est qu’un dispositif intégré dans la banque de la colère, avec la rue. Le tollé régule le pouvoir, donnant aux citoyens l’illusion d’avoir droit au chapitre alors que les reculades gouvernementales ne portent que sur des points de détail. Si bien que le tollé se retourne sans doute contre la démocratie, laissant accroire au peuple qu’il est puissant. Suite au tollé, le dépistage des délinquants à la maternelle a été mis en suspens. Les plus déterminés des députés semblent revenir à la charge. Edvige a été abandonné au profit d’un fichier plus soft mais pour la vie politique et citoyenne, l’impact est bien minime. Suite à l’affaire Filippis, MM. Fillon et Sarkozy ont pris le camp du tollé, jouant l’indignation. Une commission va étudier la question. Si une suite législative est donné, cela pourrait pour une fois changer l’existence de tous ces citoyens dont on vient de découvrir qu’ils peuvent être foutus à poil devant des flics, fouillés, sans aucune raison légitime, mais en toute légalité parce que la loi l’autorise pour les policiers et les juges.
Tout comme la loi autorise des policiers à entrer dans un collège et semer la trouille à des jeunes présents dans l’établissement pour y recevoir une instruction républicaine et non pas la menace de chiens policiers venus traquer quelques grammes de shit. Là encore, scandale, humiliation et tollé, si bien que le ministre Darcos s’associe au tollé et s’étonne de cette procédure. Que bien évidemment, la ministre MAM couvre mais en apportant quelques nuances, car ce sont des enfants de la république et du peuple, alors que Filippis n’est après tout qu’un journaliste qui a refusé de se déculotter et d’ailleurs, Mme Dati n’apprécie guère.
Le tollé prend ainsi la forme du pataquès. Un président, un ministre, associé au tollé, pour condamner, s’indigner, s’étonner, s’inquiéter et en face, des faits dont la responsabilité en incombe aux ministres concernés. Qui dans la plupart des cas se trouvent être celui de l’Intérieur, puis celui de la Justice. Parfois, le tollé concerne des arbitrages financiers, comme celui suscité par Bercy lorsqu’il fallut financer le RSA et que les mesures visaient à ponctionner les bénéficiaires de la prime pour l’emploi dans un contexte à l’époque d’inflation appuyée. Le tollé a fonctionné, le RSA a été déplacé vers le capital, mais comme les médias ont découvert le pot aux roses en dévoilant la ponction sur l’épargne des classes moyennes, un autre tollé s’est fait entendre, moins fort.
Le tollé est flou mais il représente une expression globale des tensions sociales entrant en résonance. La plupart du temps, le tollé est appuyé, relayé par des membres de l’opposition et en certains cas, par des députés de la majorité. Mais bon, à moins d’avoir une âme de dictateur, on ne peut qu’être indigné par les procédures policières dont font l’objet des justiciables présumés innocents. Le tollé est aussi la spécialité de François Bayrou et c’est naturel puisque le chef du Modem se place dans l’opposition.
Le tollé est devenu un ingrédient de notre démocratie, comme peut l’être la séance des questions à l’Assemblée nationale. Le fait d’associer ces deux dispositifs se justifie par le fait que ni le tollé, ni ces fameuses questions aux gouvernements, ne constituent des intentions politiques traduites en projets. Ce ne sont que des éléments régulateurs modifiant les décisions politiques, dont l’influence peut sembler vaine sur le court terme, mais qui touchent concrètement les citoyens, sur quelques points de détail souvent et parfois sur des choses que l’on rencontre dans la vie. Si les procédures policières sont changées, ce sera un bienfait pour nombre de gens amenés dans le commissariat pour des délits mineurs ou des investigations judiciaires. La garde à vue ne doit pas devenir prétexte à un harcèlement moral. Cela dit, la violence routière fait bien plus de dégâts que les gardes-à-vue sans pour autant faire de tollé. Car nous sommes tous des conducteurs.
Le tollé permet à la société de s’améliorer par petites touches. Mais le tollé pêche aussi par l’arbitraire des faits. Prenons l’exemple de quelques faits divers ayant concerné l’université. Aucun tollé dans la presse et pourtant, cette institution est coupable de quelques méfaits. Enfin, le tollé est un trompe-l’œil démocratique susceptible d’endormir les citoyens, de les berner. Mais bon, avec ou sans tollé, les gens ont pris l’habitude de dormir. Ils sombrent dans les années bonheur à la télé, écoutant cette mélodie de Gold…
tollé tollé, capitaine abandonné…
tollé tollé, met des ailes à ton voilier
tollé tollé, les sirènes au vent salé
tollé tollé, sonnée la dernière traversée
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