Les enjeux cachés de la réforme des retraites et le sens d’un sursaut démocratique
Les atermoiements des uns et des autres sur les conséquences négatives attendues des grèves et des manifestations contre la réforme des retraites sont de plus en plus insupportables. Elles agissent comme un écran de fumée pour masquer les vrais enjeux.
Selon les sondages d’opinion, environ 2/3 des Français sont contre cette réforme. Comme ils l’ont été contre tous les projets de réforme des retraites depuis 30 ans.
Les Français sont profondément attachés à notre modèle social, en particulier notre système de protection sociale héritier de la Libération. Ils ressentent à juste titre toute volonté de le démanteler en réduisant leurs droits (ces fameux acquis sociaux chers à la gauche) comme une injustice, une atteinte à leur dignité et à même à leur identité.
Au cours des années écoulées, les Français n’ont pas hésité à descendre dans la rue pour faire entendre leur voix face à des gouvernements déterminés à imposer ces réformes. Notamment lors des grandes grèves de l’automne 1995 contre le plan Juppé, les plus importantes depuis mai 1968. Ces grèves avaient paralysé tout le pays pendant un mois pour s’opposer au projet de loi sur la Sécurité sociale et les retraites, qui prévoyait déjà un allongement de la durée de cotisation.
A cette époque, les syndicats jouaient encore un rôle de contre-pouvoirs. Les partis d’opposition de gauche, PS en tête, étaient également en mesure de mobiliser l’opinion.
Aujourd’hui le rapport de forces est tout autre. Les syndicats ont perdu leur aura, leur ancrage sur le terrain s’est émietté, dans la fonction publique comme dans le privé. Leur pouvoir de mobilisation est réduit. Leur rôle se limite souvent à celui d’accessoire du pouvoir exécutif pour mener des « négociations » de pure forme. Comme ces Grenelle de ceci ou de cela, que le pouvoir macroniste a mis en place pour désamorcer la fronde et imposer des réformes impopulaires en mettant en scène des pseudos accords.
Quant aux partis politiques d’opposition, NUPES et RN, le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne jouent absolument pas leur rôle d’opposition au Parlement, et se contentent de ferrailler sur des sujets mineurs. Cette opposition officielle voire contrôlée ne sert en définitive qu’à conforter le pouvoir en place, pourtant minoritaire dans les urnes, et frappé d’une impopularité record dans l’opinion. Quant aux Républicains, ils partagent la même approche libérale que la Machine et n’ont jamais été des opposants, depuis que l’UMP et son champion malheureux aux présidentielles de 2017 ont été laminés par la torpille Macron et de sa stratégie de siphonage des partis de gouvernement au profit du mirage En Marche !
Cette énième réforme des retraites voulue par Macron avait été opportunément mise en stand-by pour cause de Covid, suite à une opposition violente de la rue en 2019 dans le sillage des Gilets jaunes. La voici maintenant imposée aux forceps par un régime à bout de souffle, et le Président le plus impopulaire de la 5e République, qui applique son programme avec obstination, cynisme et un mépris assumé du peuple.
Aucun véritable débat sur cette réforme n’est engagé parmi les parlementaires comme dans les médias. Le pouvoir assène inlassablement les mêmes mensonges sur le caractère inéluctable et urgent de cette réforme, sur l’absence d’alternatives budgétaires pour financer les retraites des générations futures. Les médias tous acquis au pouvoir reprennent ces mantras, et ces méthodes d’ingénierie sociale en soufflant le chaud et le froid, en multipliant les messages alarmistes pour semer la peur dans l’opinion à propos des grèves et des manifestations : paralysie des transports, blocage des raffineries, pénurie et hausse des tarifs des carburants, prise en otages des salariés par une poignée de grévistes, horde de casseurs prêtes à se déverser dans les grandes villes provoquant le chaos et la mort du petit commerce : un comble au moment où l’Europe organise la destruction des commerces et des TPE en instrumentalisant l’hyperinflation et le Great Reset énergétique, selon un plan défini par le Forum économique mondial !
Le gouvernement cherche à convaincre que sa réforme est la seule possible. Et en même temps il souffle sur les braises pour attiser la fronde, diviser les Français, les exténuer, les pousser à bout et les monter les uns contre les autres en flirtant avec le scénario de la guerre civile.
Cette stratégie du chaos propre au capitalisme du désastre a déjà porté ses fruits. La réforme des retraites n’a pas seulement pour objectif de poursuivre minutieusement la destruction d’un système social dont la France fut un exemple et qui constitue un scandale pour une caste mondialiste pressée d’en finir avec les États-nations, l’Etat-Providence, la solidarité nationale, le système de retraites par répartition, et d’imposer partout la dérégulation afin de laisser aux mastodontes financiers comme BlackRock l’exclusivité de gérer nos vies. Son objectif corollaire est la division, la dislocation de la nation et sa normalisation selon les critères ultralibéraux et mondialistes.
Or un peuple occupé à se chamailler est beaucoup plus facile à contrôler : la recette est vieille comme le monde. Du pain et des jeux. Et de la baston. Pour mettre fin à la crise des Gilets jaunes, le gouvernement a aligné les chèques. Même méthode pour calmer le mécontentement populaire avec le chèque consommation, le chèque carburant, le chèque énergie, le chèque pour acheter une voiture électrique, installer des panneaux solaires sur son toit, le « chèque bois » ou le chèque en bois, on ne sait plus… Une façon obscène de distribuer les largesses de l’Etat après avoir asséché le porte-monnaie des Français et étranglé le budget des ménages.
Dans ce contexte, les Français prennent conscience qu’ils sont désormais livrés à eux-mêmes. Les politiques les courtisent en leur promettant la lune le temps des élections, mais ne mettent pas en œuvre les actions qu’il faudrait pour s’opposer au Prince en jouant le jeu démocratique. Les syndicats font encore semblant d’aboyer mais ne convainquent plus personne. Les médias ne jouent plus leur rôle traditionnel de contre-pouvoir puisqu’ils sont tous contrôlés par les mêmes milliardaires à qui profitent des crises qu’ils ont eux-mêmes déclenchées.
La démocratie n’est plus depuis longtemps qu’un triste simulacre. Seuls les plus naïfs y croient encore. Même l’armée, tentée il y trois ans de sortir de sa réserve pour remettre l’église au milieu du village en forçant Macron à démissionner pour restaurer la démocratie, semble aujourd’hui plus préoccupée par la 3e guerre mondiale contre la Russie.
Le mouvement de grève actuel et les manifestations contre la réforme des retraites ont peu de chances d’aboutir. Tout au plus serviront-t-ils à justifier une répression policière sanglante comme en 2019. La majorité des Français terrifiée par la mise en scène des émeutes, les policiers blessés ou tués par des voyous, et par les manipulations médiatiques, applaudira à ce retour de l’ordre républicain. Tous accepteront le clystère de la réforme et la mise au pas des agitateurs comme un mal nécessaire. Et rêveront encore en se croyant protégés par la pantomime cynique d’un Etat-Providence faussement préservé par ceux qui l’ont tué depuis longtemps.
Quelle alternative reste-t-il face à ce désastre ? La fuite en avant dans la violence contre un régime devenu illégitime pour avoir trahi le peuple ne peut qu’avoir des conséquences négatives. Qu’elle soit le fait du pouvoir actuel, qu’elle soit imposée par l’Union Européenne et son rouleau compresseur normatif, ou à l’échelle mondiale par une crise majeure qui précipitera l’instauration du Nouvel ordre totalitaire rêvé par les oligarques, les peuples en colère seront toujours les grands perdants de cette stratégie.
L’insurrection populaire a pourtant marqué l’Histoire de notre pays et de notre République. Depuis 1789 jusqu’à mai 1968, en passant par les barricades des Trois Glorieuses, elle a pris des formes diverses et contribué à précipiter des changements, avec des résultats qui ont parfois servi le peuple, et qui parfois l’ont desservi.
Peu de républicains convaincus en ont conscience, mais l’insurrection populaire figure parmi les piliers fondamentaux de notre démocratie. Les pères de la Révolution et de la République l’ont même inscrite en 1793 dans des textes aussi fondateurs que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et l’Article 35 de la première Constitution de la République. En ces temps particulièrement troublés où la Révolution était attaquée de toutes parts et où mille périls menaçaient la France, ceux qui ont posé les bases de notre démocratie ont pris soin d’inscrire dans nos grands principes le devoir pour le peuple de se soulever, y compris contre ses dirigeants, lorsque ses droits sont bafoués :
« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
Pour radicale qu’elle puisse paraître, cette injonction faite au peuple de se lever pour défendre ses droits n’en est pas moins d’une grande sagesse. C’est un rempart contre la tentation qui traverse toutes les révolutions déclenchées au nom d’idéaux et ceux qui les mènent de s’ériger en pouvoir totalitaire. L’exemple le plus manifeste est illustré par ces « démocraties populaires » qui n’ont de démocratique et de populaire que le nom. Et qui malgré des prétentions égalitaires et émancipatrices se transforment rapidement pour les peuples qu’elles sont censées défendre en de redoutables machines d’oppression.
Loin de le contredire, l’insurrection vient au contraire conforter de principe de l’Etat de droit : C’est-à-dire d’un Etat fondé sur le Droit qui s’applique à tous, et non sur le pouvoir arbitraire d’un seul homme ou d’une caste de privilégiés. Quant Robespierre, le père de la Grande Terreur, se transforma en dictateur, il fut rapidement balayé par le tumulte qu’il avait déclenché au nom de la Révolution, même si ça n’est pas le peuple insurgé contre lui qui le renversa.
Ce principe solennel est aussi un avertissement contre le danger qui menace le peuple lorsqu’il s’en remet aveuglément à un Etat-Providence, ou à un monarque élu qu’il considère à tort comme l’homme providentiel, à qui il remet tout pouvoir et la responsabilité de son destin.
Selon la formule d’Abraham Lincoln, « la démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple ». Reprise par de Gaulle, elle fut inscrite dans l’Article 2 de la Constitution de 1958 comme principe de la République. Selon l’esprit de notre République, le peuple est souverain. La Constitution assoit même le principe d’une République décentralisée, ce qui la rend incompatible avec l’exercice d’un pouvoir autoritaire et centralisé.
Loin de respecter ces principes, la première Présidence Macron a au contraire accentué les dérives vers un pouvoir arbitraire, autoritaire, centralisé, duplice, brutal, et qui a atteint des records de corruption. Le principe de séparation des pouvoirs, garantie de la démocratie, n’est plus aujourd’hui respecté. Puisque comme on l’a vu au cours de la crise sanitaire de 2020-2022, les droits du Parlement ont été bafoués, les textes de loi étaient adoptés sans débat en procédure d’urgence, la Justice ne remplit plus son rôle de façon indépendante et dépend largement du pouvoir exécutif. Les autres corps constitués – Conseil d’Etat, Conseil Constitutionnel – ne remplissent plus non plus leur rôle d’arbitres indépendants.
Les conflits d’intérêt et la corruption au cœur de l’Etat sont manifestes. Le Conseil Constitutionnel a ainsi rendu un avis favorable en 2021 sur une mesure aussi inégalitaire et liberticide que le pass sanitaire, défendu par Thomas Fabius, directeur de McKinsey France chargé de piloter la politique vaccinale en France comme dans 65 pays occidentaux, alors que son père Laurent Fabius préside le Conseil Constitutionnel. Beaucoup de ministres, députés et sénateurs, juges, ainsi que le propre parti du Président LREM sont corrompus par le lobby pharmaceutique. Les ministres des gouvernements Macron alignent le plus grand nombre de conflits d’intérêt sous la 5e République.
La pire des dérives aura été l’instauration de l’état d’urgence sanitaire décrétée par Macron en mars 2020. Une notion qui ne figure dans aucun texte de loi français ou international. Et qui constitue une dénaturation de l’état d’urgence prévu par la Constitution pour faire face à une situation exceptionnelle de trouble à l’ordre public menaçant l’intégrité de la nation, comme une émeute, une guerre civile, un péril majeur. La prolongation de cet état d’urgence pour mener une prétendue « guerre » contre une simple grippe fut ensuite arrachée au Parlement dans des circonstances plus que contestables. L’état d’urgence sanitaire, qui confère les pleins pouvoirs au Président, assorti de la création d’un Conseil de défense prenant des décisions à huis clos sur les sujets les plus essentiels sans en référer devant le Parlement, les médias ou la Haute Cour en cas de crimes commis, constitue un véritable coup d’Etat, une façon d’enterrer la démocratie sous une apparence de continuité légale.
La multiplication de mesures autoritaires, coercitives, liberticides, répressives, injustes et inutiles, et le plus souvent illégales, imposées dans ce contexte aux populations, comme les confinements forcés pendant plusieurs semaines, l’obligation de porter un masque inutile, de se faire injecter des substances inconnues et expérimentales non testées dont les effets secondaires s’avèrent désastreux, l’interdiction de se réunir, de se déplacer, de voyager, de se rendre dans un lieu public, un lieu de culte, constitue à elle seule un motif de destitution du Président de la République, au titre de l’Article 68 de la Constitution. Mais le Parlement se refuse aujourd’hui à engager cette procédure de destitution, au motif que celle-ci a peu de chances d’aboutir. Une bien curieuse façon d’assumer son rôle et de concevoir la démocratie.
Depuis la crise sanitaire et la réélection de Macron, d’autres thématiques ont pris le relai pour occuper les esprits. La « guerre en Ukraine », la crise énergétique, la lutte contre le réchauffement climatique et l’hyperinflation ont sagement pris le relai du Covid, alors que les révélations, les scandales, les procès se multiplient pour demander des comptes aux responsables.
Politiques et médias se repaissent des mêmes mensonges grossiers, des mêmes méthodes d’ingénierie sociale pour manipuler l’opinion et la bombarder de messages apocalyptiques. Mais dans ce climat déprimant, qui ose poser les vraies questions ? Qui se risque à décrypter les vraies causes et les vrais enjeux de ces nouveaux cataclysmes ? Quel journaliste des médias officiels a le courage de démontrer la responsabilité des Etats-Unis, de l’OTAN et de l’Union européenne dans le déclenchement de cette « guerre en Ukraine » ? Quel autre révèle la face cachée de cette farce manichéenne d’une guerre menée par le méchant Poutine contre le pauvre peuple ukrainien ? A savoir un affrontement stratégique crucial entre le camp mondialiste occidental (anglo-saxon), Etats-Unis en tête, qui mène une guerre pour la domination de l’Europe et du monde, contre un camp nationaliste favorable à une vision multipolaire du monde, et qui rassemble la Russie, la Chine, l’Inde et quelques nations africaines qui ne consentent pas à se laisser absorber dans le Nouvel ordre mondial.
La majorité des Français est bien trop occupée à tenter de survivre au milieu de ces tribulations qu’on lui impose pour chercher à en décrypter la logique. Pourtant, la réforme des retraites qu’on nous vend comme un simple réajustement comptable n’est qu’un des drames émergents causés par de vastes bouleversements produits dans le dos des peuples. Et qu’on pourrait aisément qualifier de guerre contre les peuples.
Certains ont conscience de ces enjeux, et de la trame sous-jacente qui réunit selon les mêmes collusions d’intérêts tous les soubresauts du monde. Mais leur voix minoritaire peine à se faire entendre, rejetée ou disqualifiée comme « complotiste ». Les équations simples présentées au public sous la forme « un problème, une solution » sont beaucoup plus rassurantes pour les braves gens et leur évite de se poser trop de questions.
Revenons à ce devoir sacré d’insurrection. Ce n’est nullement par hasard que l’auteur de cet Article 35 de la Constitution de 1793 a jugé utile de préciser : « l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple… » En cas d’oppression, ce n’est jamais le peuple dans son ensemble qui se soulève comme un seul homme. Il est même rare qu’en des circonstances exceptionnelles une majorité du peuple décide de se mobiliser pour défendre ses droits. La plupart, comme sous l’Occupation, fait le gros dos. Le droit de grève et de manifestation sont garantis par notre Constitution, mais on y a le plus souvent recours pour défendre des revendications catégorielles. Ce droit est d’ailleurs encadré, et dans l’essentiel des cas, il ne présente par un réel danger de déstabilisation pour le pouvoir en place. En cas de désaccord majeur entre le peuple et ses gouvernants, cette crise de confiance voire de légitimité se règle dans les urnes, selon un calendrier dont le pouvoir garde la maîtrise. Quant à l’Article 68 de la Constitution qui prévoit la destitution du chef de l’Etat par la voie parlementaire, une telle procédure n’a jamais été mise en œuvre.
Pour qu’une opposition de fond entre le peuple et ses gouvernants prenne une tournure dramatique jusqu’à l’affrontement insurrectionnel, il faut des circonstances réellement exceptionnelles. La seule fois dans l’époque récente où de telles circonstances se sont présentées, c’est en mai 1968, lorsque le pouvoir du général de Gaulle a failli vaciller. Et encore, si une partie de l’opinion incarnée par une gauche aventurière ralliée aux mouvements étudiant et ouvrier entendait faire tomber le « dictateur », les élections législatives après la dissolution de l’Assemblée prononcée par de Gaulle pour mettre un terme à la crise ont largement confirmé la confiance renouvelée d’une majorité de l’opinion.
La raison principale de cette inertie du peuple à se soulever contre son chef quand il se sent trahi tient tout d’abord au fait que notre République est une République représentative. En déléguant ses pouvoirs à des représentants élus, le peuple renonce implicitement à se faire justice lui-même en sanctionnant ceux qui l’ont trahi. Aux représentants élus de jouer leur rôle en sanctionnant le cas échéant le pouvoir exécutif. Depuis 1958, l’élection du Président de la République au suffrage universel et non par le Congrès a définitivement remplacé la guillotine pour faire tomber les monarques en cas de trahison du peuple.
En outre, notre République depuis son origine repose sur des mythes. Le peuple est certes déclaré souverain, mais ce n’est pas lui qui gouverne, ce sont les ministres nommés par le Président. En outre, « le peuple » est une fiction intellectuelle. Si le « petit peuple » composé des classes inférieures – paysans, ouvriers, artisans, auxquels s’ajoutent aujourd’hui les « classes moyennes » – correspond à une réalité sociologique, les autres catégories ne partagent nécessairement avec lui les mêmes préoccupations, les mêmes aspirations, la même vision. L’unité du peuple ou de la nation n’est pas un fait acquis, c’est un contrat sans cesse renouvelé entre ceux qui le composent. Or depuis 1793, notre République, si l’on tient compte de la sociologie de ceux qui représentent le peuple ou le gouvernent, est une République bourgeoise. La grande majorité de ceux qui accèdent à des responsabilités politiques ou exercent le pouvoir dans la société sont traditionnellement issus des milieux favorisés, grande ou petite bourgeoisie. Le métier de la politique est même caractérisé par un entre soi où les responsables politiques toutes tendances confondues se connaissent, se côtoient, déjeunent ensemble, tissent des liens d’amitié ou d’intérêt, se rencontrent dans les mêmes cercles. Le Parlement où s’affrontent des opinions contradictoires est souvent un théâtre où les oppositions sont surjouées.
S’ajoute à ce constat la corruption omniprésente dont souffre la vie politique, en France comme ailleurs. Même si l’offre politique paraît diversifiée, cette diversité n’est qu’apparente et relative, compte tenu des méthodes de financement de la vie politique. Comme le souligne Agnès Bugault, historienne du Droit et auteure de plusieurs ouvrages sur la démocratie en Occident, l’essentiel du financement de la vie politique dans les pays « démocratiques » est assuré par des subventions privées. Les partis, les carrières, les campagnes électorales, les projets ne pourraient voir le jour sans ces financements provenant de fondations, de multinationales, de généreux mécènes et d’organismes privés. Les mêmes financent et donc sélectionnent les profils en fonction de leurs intérêts.
Face à cette neutralisation des oppositions politiques et à cette mainmise sur la vie politique, il n’est pas étonnant que le peuple découvre que ses représentants n’agissent plus pour défendre ses droits mais entretiennent une parodie de démocratie pour défendre les intérêts de ceux qui les ont hissés au pouvoir et dont dépend leur succès.
Il est difficile de se défaire de ses illusions. Pourtant il y a bien longtemps que le peuple n’est plus souverain, en France comme ailleurs, si tant est qu’il l’ait jamais été. Cette prise de conscience de la fracture entre les idéaux démocratiques qui fondent note République et la réalité politique de la France d’aujourd’hui est la source de bien des frustrations et de bien des drames, présents et à venir. Car le contrat social fondé sur le principe de l’Etat de droit sur lequel repose le contrat politique entre le peuple et ses gouvernants ne coïncident plus. L’Etat n’est plus le siège du pouvoir légitime fondé sur le Droit, au service du peuple et de l’intérêt général. Il est devenu l’instrument d’une caste qui s’en arroge le contrôle, en dénature l’autorité et les principes de gestion pour asservir le peuple et satisfaire ses propres intérêts. Ce n’est pas un hasard si les politiques mises en place malgré les alternances successives comme dans différents pays se ressemblent et sont établies selon les mêmes critères technocratiques et normatifs.
Au principe fondamental d’un Etat-nation qui tire son identité et sa légitimité du peuple souverain s’est substituée la réalité d’un Etat technocratique, fonctionnel, déconnecté du peuple et décentralisé, soumis aux intérêts économiques et financiers. Lesquels gouvernent indirectement et mettent en œuvre les réformes qu’ils jugent essentielles, y compris dans les domaines régaliens (force publique, politique économique, financière, budgétaire, administrative, territoriale, sociale, judiciaire, sanitaire, sécuritaire…) par l’intermédiaire de cabinets conseil comme McKinsey, infiltrés dans tous les réseaux de pouvoir et mettant en œuvre des politiques standardisées au sein de toutes les « démocraties occidentales ». Cette caste exerce aussi un contrôle sur les institutions et la vie politique par les leviers de la dette publique, du financement de la vie politique, de la corruption, et du transfert de souveraineté à des organisations supranationales comme l’Europe, également sous son contrôle.
Derrière le simulacre démocratique auquel tous les acteurs font mine de se prêter, la réalité et l’ampleur de cette mainmise du pouvoir économico-financier sur le pouvoir politique et les institutions démocratiques se révèle de façon de plus en plus fragrante. Ce qui alimente les résistances au grand « basculement » (Great Reset) annoncé par un chef d’Etat qui apparaît pour ce qu’il est : un simple intendant régional et cynique du Nouvel ordre mondial.
Dans ce contexte, cette nouvelle réforme des retraites apparaît différente des précédentes. L’opposition qu’elle suscite, au-delà des arguties strictement mécaniques sur l’équilibre et la pérennité du système, ne relèvent plus d’une logique de luttes sociales pour la préservation de droits, mais d’une lutte politique pour la préservation d’une identité commune fondée sur des principes et une souveraineté partagée.
Malgré les efforts démesurés des politiques et des médias pour limiter les débats à des calculs techniques, la réforme des retraites apparaît comme un élément qui s’ajoutent à tant d’autres qui marquent une crise de confiance fondamentale entre le peuple, ceux qui sont censés gouverner en son nom, et le modèle de gouvernement qu’il s’est choisi, à savoir la République sociale.
Par-delà la revendication légitime des Français de leur droit à bénéficier d’une retraite juste après une vie de travail, le mécontentement qui grossit chaque jour se nourrit de la conscience grandissante de l’imposture du système qui entend les soumettre.
Ajoutée à d’autres crises et frustrations, cette colère finira tôt ou tard par exploser d’une façon d’autant plus inéluctable qu’aucune alternative ne semble possible. Dès lors, le peuple n’aura pas d’autre choix que de se soumettre en totalité, ou de se plier au plus sacré des droits et au plus indispensable des devoirs.
L’insurrection serait alors l’ultime réflexe de survie avant le grand Reset numérique et transhumaniste des individus annoncé dans le plan de Klaus Schwab. La menace se précise de jour en jour avec la mise en place du portefeuille numérique au niveau mondial sous l’égide d’institutions comme l’Union européenne pressée de mettre en place son projet d’identité numérique européenne, la Banque mondiale et son projet de monnaie unique numérique, l’ONU et son Agenda 2030, et l’OMS pressée d’imposer son passeport vaccinal mondial.
Il faut comprendre que l’insurrection ne se résume pas nécessairement à un appel à la lutte armée contre un régime oppresseur ou à la guerre civile. L’insurrection est avant tout un principe de mobilisation du peuple par le peuple lui-même ou une partie du peuple pour défendre ses droits. Et son application peut prendre de multiples formes, comme la résistance passive, la désobéissance civile, le blocage ou le sabotage des moyens dont dispose l’Etat pour user de la violence légitime, violence policière mais aussi violence sociale, violence économique, violence fiscale, violence sanitaire…, l’arrestation et le jugement de responsables déclarés criminels, la conjuration de plusieurs pouvoirs alliés du peuple français ou de plusieurs peuples pour mettre fin à la mainmise d’une caste ou d’un pouvoir tyrannique sur les institutions…
Aujourd’hui le pouvoir tente de présenter le rapport de forces sous la forme d’une alternative frauduleuse entre l’anarchie et le saccage généralisé, avec des hordes de black blocs trustant les manifestations pour casser les vitrines, s’attaquer aux forces de l’ordre et semer le chaos dans une optique révolutionnaire, afin de déclencher la guerre civile et précipiter le Grand soir, et l’acceptation sans condition d’un projet de loi dont chacun a compris qu’il n’était ni nécessaire, ni urgent, ni juste, encore moins inéluctable.
Les partis de gauche sont trop heureux de rejouer le sketch de la lutte des classes en multipliant les outrances, comme Clémentine Autain de LFI qui « rêve d’une France sans milliardaires ». Et le RN est trop inquiet de se normaliser et de flatter son électorat sécuritaire, y compris parmi les syndicats de Police, pour appeler les Français à descendre dans la rue en défiant un pouvoir fragilisé. Quant aux autres partis populistes ou souverainistes, ils sont bien trop minoritaires et inaudibles pour jouer un rôle déterminant dans ce conflit.
Quand une crise politique ne peut plus trouver d’issue selon les règles institutionnelles, le rapport de forces ne peut qu’être tenté de prendre des formes radicales et exceptionnelles. Or aucune solution conforme aux principes constitutionnels n’a de chance d’aboutir dans le contexte actuel. Et l’insurrection est toujours présentée par le pouvoir et les élites comme synonyme de chaos, et surtout comme un crime contraire à la loi, tant l’oubli de ce principe démocratique a obscurcit les esprits sur la dynamique de l’équilibre des pouvoirs.
Or il y a des moments dans l’Histoire où le peuple trahi par tous doit se résoudre à prendre son destin en mains. Il n’est pas écrit que ce mouvement de révolte pour faire valoir son existence et ses droits doive nécessairement prendre une forme dramatique. Pour recouvrer sa souveraineté, le peuple doit avoir la sagesse de ne pas céder à ceux qui l’invitent à se plier, ni à ceux qui le poussent vers la guerre civile.
Ce qui vaut pour le peuple français vaut pour beaucoup de peuples du monde : c’est souvent dans les moments les plus critiques, face aux catastrophes les plus tragiques, qu’il se réveille et sait se montrer grand, uni, inventif, fort.
Nul ne peut prédire l’avenir pour les années qui viennent. Ce qui est certain, c’est que la France et le monde sont face à d’incroyables défis, comme l’humanité n’en a jamais connus. Les crises se succèdent, mais grâce à elles les esprits s’ouvrent, les consciences s’éveillent. Malgré les enjeux pusillanimes ou apocalyptiques agités par les puissants pour subjuguer et diviser, l’humanité prend conscience de son indissoluble unité, de son inaliénable dignité. C’est sur ces vérités que se fondent nos grands principes humanistes et universalistes, même s’ils ont été dévoyés.
C’est ce souci de vérité, de loyauté, de fidélité à soi et ses valeurs, ce retour à l’essentiel, à une conscience commune, aux fondements ontologiques et non idéologiques de la solidarité, qui doivent nous inspirer et nous servir d’armes pour défaire ceux qui nous abusent, nous égarent et nous dépossèdent. C’est un aggiornamento éthique et spirituel, unitaire et populaire, qui pourra remettre le peuple debout, restaurer ses droits, lui redonner une vraie souveraineté et une sacralité. Le reste suivra.
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