Mélenchon : le hâbleur et les sots
Jean-Luc Mélenchon devrait, souvent, méditer sur ce proverbe arabe « L'arbre du silence porte les fruits de la paix ». Sa déclaration à propos de la visite de Madame Pelosi a déclenché une vague offensive chez les macronistes qui trouvent là une raison supplémentaire d’attiser le feu de haine qu’Emmanuel Macron a allumé contre La France Insoumise qu’il considère comme antirépublicaine et antidémocratique. Ces parlementaires macronistes, souvent peu cultivés en matière d’histoire des sociétés et des pays, ont été rejoints par une cohorte de sots avides de se distinguer sur l’échiquier électoraliste et par les éditocrates, chroniqueurs et journalistes, avides de complaire à la classe dominante et au Pouvoir.
Dans un monde politique où l’intelligence politique[1] et la culture historique et géopolitique sont remplacées par des stratégies de communication directement inspirées par l’inventeur du marketing et de la propagande moderne : Edward Barnays[2], Mélenchon devrait réfréner son goût insatiable pour la diatribe, à ne pas le faire il brouille son image politique et transforme un homme cultivé en un polémiste de bas étage[3] distribuant de la pacotille électoraliste et il met en péril son mouvement politique déjà bien faible. Pour autant, s’il a tort sur le plan de la communication, sa position politique et son analyse ne sont pas dénuées d’exactitude historique et de bon sens politique.
Déclarer que « Pour les Français depuis 1965 et le général de Gaulle, il n’y a qu’une seule Chine. […] On voit bien comment les USA veulent ouvrir un nouveau front. [...] Quels que soient l’ampleur et le niveau des critiques qui peuvent être adressées au gouvernement chinois, nous devons refuser de cautionner la guerre à la Chine pour satisfaire les vues des USA sur Taïwan. Si j’avais été élu, j’aurais tenu ce raisonnement avec le gouvernement US », il ne fait que résumer l’histoire de la relation entre la Chine et Taïwan, de la posture des pays occidentaux vis-à-vis de cette relation et plus généralement vis-à-vis de la Chine communiste.
Quelques dates permettent de fixer le cadre de ces relations et de ces manœuvres « diplomatiques ». De 1895 à 1945 le Japon occupe l’île de Taïwan, en 1945 à la fin de la deuxième guerre mondiale l’île revient à la République de Chine. En 1949, après la victoire des communistes emmenés par Mao Zedong le nationaliste Tchang Kaï-Chek s’enfuit à Taïwan suivit, en 1949 et 1950, par un million et demi de « continentaux ». Taïwan représente la Chine à l’ONU et dans les instances internationales (OMS, FAO, UNESCO…) jusqu’en 1971 où un revirement de la puissance d’un tsunami politique et diplomatique exclue Taïwan qui est remplacé par la République Populaire de Chine. Bien que celle-ci eût été reconnue par la France dès 1964, il lui a donc fallu attendre 1971 pour que l’ONU la reconnaisse dans sa résolution 2758 intitulée « Rétablissement des droits légitimes de la République populaire de Chine à l’Organisation des Nations Unies ». Cette résolution est le résultat d’un long processus diplomatique et politique et surtout de la volonté des États Unis d’Amérique lors d’un voyage présidentiel, le premier depuis 1949, au cours duquel le président Richard Nixon signe avec la Chine communiste un accord, dit de Shanghaï, dans lequel il est noté que les États-Unis « reconnaissent que les Chinois de chaque côté du détroit de Taïwan maintiennent qu'il n'y a qu'une seule Chine et que Taïwan fait partie de la Chine. Le gouvernement des États-Unis réaffirme son intérêt pour un règlement pacifique de la question de Taïwan par les Chinois eux-mêmes. Dans cette perspective, il affirme l'objectif ultime du retrait de toutes les forces et installations militaires américaines de Taiwan ».
Nous pourrions développer les relations floues entretenues entre les USA et les « deux Chine » notamment à travers le maintien de livraison d’armes et le développement de relations diplomatiques alors que le pays n’était plus reconnu que par 14 pays. Nous pourrions aussi développer l’évolution politique de Taïwan que ne fut pas toujours la démocratie que l’occident encense aujourd’hui. Il a fallu attendre 1989 pour que les premières élections véritablement démocratiques soient organisées[4] marquées par la défaite du parti nationaliste de feu Tchang Kaï-Chek le Kuomingtang et la victoire du Parti Démocrate Progressiste. Si les conservateurs du Kuomingtang partageaient avec Pékin le rejet de toute velléité d’autonomie pour Taïwan, les « progressistes » font prospérer l’idée autonomiste et indépendantiste.
À travers ce schéma de l’histoire de la relation entre Taïwan et la Chine on peut apercevoir la position ambiguë des USA notamment marquée par la présence du secrétaire d’État américain Henri Kissinger à Pékin au moment où, en 1971, l’ONU débattait de l’exclusion de Taïwan ? N’y avait-il pas là les conditions d’une réunification[5] ? Les autres États occidentaux n’ont guère été plus clairs dans l’énonciation de leurs relations avec les deux États asiatiques. Si aujourd’hui l’occident soutien avec tellement de véhémence Taiwan c’est sans doute pour deux raisons essentiellement économiques : la Chine populaire est devenue une puissance économique de grande ampleur capable de poser ses conditions aux économies occidentales et de la soumettre à sa volonté comme les désordres engendrés par la pandémie de la CoViD l’ont montré, sans parler des actions protectionnistes du président Trump qui ont perturbé de nombreux secteurs de l’économie américaine, alors l’occident a peur de la Chine populaire ; la deuxième raison réside dans le poids Taïwan en matière de fabrication de composants électronique. La peur d’un côté entraîne à marginaliser une Chine qu’on n’attaquera – vraisemblablement et raisonnablement — jamais militairement, et de l’autre côté le besoin en composants électroniques oblige à courtiser Taïwan.
Donc, Mélenchon n’a pas tort lorsqu’il évoque « la guerre à la Chine pour satisfaire les vues des USA sur Taïwan ». On le traite alors de passéiste, de politicard du non‑alignement, d’amoureux des dictatures… Dire que ce sont ceux qui ont décoré de la Légion d’honneur le dictateur qui sévit en Égypte, qui ont ouvert Versailles et Brégançon à celui qui aujourd’hui envahi l’Ukraine, qui embrassent les dictateurs du Moyen‑Orient, qui soutiennent les porteurs de guerres au Yémen, etc.
Il n’a pas tort non plus lorsqu’il parle de provocation à propos du voyage de Mme Pelosi qui a été « fraîchement reçu à Tokyo et à Séoul[6] » ; au Japon l’ambiance lors de la visite était qualifiée d’orageuse, quant à Séoul le président de la République n’a « consenti » qu’un entretien téléphonique avec Madame Pelosi. D’ailleurs le Département d’État américain avait déconseillé ce voyage qui embarrassera les relations entre les USA et la Chine, ainsi que plus globalement entre l’Occident et la Chine qui vient de se retirer des négociations sur le climat avec les USA, un des très rares sujets de discussion entre les deux pays.
Dans ce magma économicopolitique où l’économie est le seul moteur des réflexions, viennent se fondre les idées angéliques infantiles nous rappelant à l’ordre quant au soutien inaliénable et intangible que nous devons à la démocratie oubliant que depuis 2015 la France a reculé à la 22e place de l’indice de démocratie[7]. Venant de la part des écologistes si éloignés des réalités humaines des sociétés nous pourrions le comprendre voire le tolérer, mais de la part des autres forces politiques qui depuis au moins quinze ans (2007-2022) ensevelissent notre pays sous des lois sécuritaires et restreignent chaque jour un peu plus la liberté d’expression des citoyens et qui copinent chaque jour un peu plus avec des dictateurs c’est proprement insoutenable et insupportable. Si la bêtise et l’ignorance chez certains expliquent ces positions politiciennes qui n’ont pour but que de faire le buzz sur les écrans de télévision, on voit bien comment pour les nervis de Macron cette déclaration de Mélenchon est utilisée pour attaquer son auteur par des travestissements de propos, par une narration tronquée et falsifiée de l’histoire, et comment elle rejoint l’arsenal des moyens mis en œuvre pour diviser la gauche[8] et assassiner La France Insoumise qui est suffisamment sotte pour ne rater aucune occasion de s’exposer à la critique.
Les citoyens attendent des politiciens que ceux-ci règlent l’organisation de la société et gèrent les problèmes de leur quotidien. Ils attendent des politiciens qu’ils tracent une ligne d’horizon pour l’évolution de la société : un avenir possible dans le bien-être de chacun. Les citoyens n’en ont que faire des discours de basse idéologie et sont lassés par les invectives incessantes, souvent dénuées d’un sens profond même (ou surtout) quand on essaie de la masquer par une idéologie à la philosophie mal assurée, si ce n’est qu’elles ne cherchent qu’à discréditer l’adversaire. Les citoyens retourneront aux urnes quand les politiciens feront montre d’intelligence politique, c’est-à-dire que leur prise de parole ne concernera que l’organisation et la gestion de la société, qu’ils ne s’occuperont que des personnes que sont les citoyens. Bien sûr, alors, les chroniqueurs seront déçus et démunis : plus de buzz faute de « petite phrase » !
Alors, tous les politiciens, notamment ceux du parti présidentiel avides de répéter les éléments de langage rédigés par les communicants de la présidence de la République, devraient s’imprégner de ce proverbe tibétain[9] : « Parler beaucoup est une cause de danger ; le silence est le moyen d'éviter les infortunes. Le perroquet parleur est mis en cage, les oiseaux muets volent à leur gré. » Et Mélenchon devrait réfléchir sur ce proverbe marocain[10] : « Si le pigeonneau n'avait point roucoulé, le serpent ne l'aurait pas trouvé. »
[1] L’intelligence politique c’est l’art de pouvoir repérer, comprendre et prendre en considération les enjeux propres à son milieu organisationnel pour y manœuvrer stratégiquement pour soutenir le succès de ses idées, optimiser l’atteinte de résultats communs par des moyens légitimes et influencer positivement le cours des choses.
[2] La manipulation de l’esprit américain : Edward Bernays et la naissance des relations publiques (theconversation.com)
[3] « Le maquignon de bas étage teint, en tout ou en partie, les robes pour rendre un équipage similaire, au risque de s’exposer à voir fondre la nuance sous une averse. », (Gabriel Maury, Des ruses employées dans le commerce des solipèdes, Jules Pailhès, 1877).
[4] Philippe Le Corre, Taïwan fait une cure de démocratie, Le Monde Diplomatique, Février 1990, page 22.
[5] Alain Bouc, La défaite de Taïwan aux Nations Unies pourrait hâter l’unification de la Chine, Le Monde Diplomatique, décembre 1971, pages 1 à 6.
[6] Philippe Mesmer, Nancy Pelosi fraichement reçue à Tokyo et à Séoul, Le Monde, 6 août 2022.
[7] L’indice de démocratie est calculé sur la base de 60 critères. Il a été mis en place par un groupe de presse britannique The Economist Group et il est calculé chaque année pour 165 pays depuis 2006. En 2021, la France occupait la 22ème position, les USA la 26ème et Taïwan la 8ème. Plus que la place c’est la position de la démocratie qui importe, c’est ainsi que la France est le premier pays, sur la liste, considéré comme une démocratie imparfaite notamment en raison du peu d’engagement politique des citoyens (7,78), d’une culture politique faible chez les citoyens (6,88) et un fonctionnement du gouvernement peu satisfaisant (7,50 au même niveau que l’Inde).
[8] Olivier Auguste, Comment fracturer la gauche : le défi du gouvernement, L’Opinion, 5 et 6 août 2022.
[9] Proverbe tibétain, Le trésor des belles paroles tibétaines (1858).
[10] Proverbe marocain, Les proverbes en usage à Marrakech (2003).
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