Nadine Morano, le beurre et l’argent du beurre

Une mère de famille landaise, Dominique Broueilh, sera entendue le 11 juin au commissariat de police de Dax par un fonctionnaire parisien pour avoir posté ce commentaire "Hou la menteuse" sur le site Internet Dailymotion, sous une vidéo diffusant une interview agitée de la secrétaire d’Etat à la famille, Nadine Morano, sur i-télé (Le Figaro). Cela semble compliqué mais vous verrez que c’est simple !
Nadine Morano avait en effet déposé plainte au mois de février contre X pour injure publique à la suite de commentaires virulents, pour beaucoup infiniment plus que celui laissé par Dominique Broueilh. Une enquête préliminaire était diligentée afin de connaître les adresses IP des internautes étant intervenus sur Dailymotion et You Tube. Dominique Broueilh apparemment ne serait pas la seule à être ainsi traitée (Rue 89).
Un émoi considérable et justifié a saisi la Toile qui s’est mobilisée pour la défense de la liberté d’expression en rappelant certaines outrances de langage déjà ciblées et poursuivies (l’Express.fr).
Je comprends la réaction de Dominique Broueilh qui perçoit plus son propos comme "une boutade" que comme "une injure" et estime disproportionné l’appareil mis en place pour une telle affaire.
Cependant, ce qui m’intéresse au premier chef, c’est l’attitude de Nadine Morano, qui renvoie à un comportement habituel de la secrétaire d’Etat et que j’ai déjà pu relever. Quel que le soit le registre, Nadine Morano est en effet une adepte des avancées et des retraits, non pas par faiblesse, puisqu’à l’évidence elle se félicite de la rudesse de son caractère, de la singularité brute de sa personnalité qu’elle cultive avec application. Non pas parce qu’elle serait velléitaire mais par démagogie, par un souci de ne jamais paraître "hors du coup". Elle désire sans cesse, aussi bien pour le fond de la politique qu’elle a en charge que pour ses démarches personnelles mais publiques, cumuler les avantages d’un solide conservatisme avec l’éclat et la provocation d’un progressisme dérangeant. Elle est mue par la volonté obsessionnelle de déranger et d’apparaître différente des autres ministres de son sexe au point de frôler une virilité que son apparence contredit. Elle ne choisit pas, elle prend tout pour qu’à droite on l’applaudisse et qu’à gauche on lui reconnaisse du tempérament. Il y a un incroyable besoin d’être aimée coûte que coûte dans cet accaparement.
On retrouve exactement le même processus dans l’initiative qu’elle a prise au mois de février. Elle dépose plainte et se situe clairement, par cet acte, dans le camp de ceux qu’affecte la liberté d’autrui, surtout poussée à l’extrême. Elle définit d’ailleurs la liberté d’expression acceptable d’une telle manière que ses débordements et son intensité inévitables seraient fatalement sanctionnables. Premier mouvement donc : on met en branle une procédure qui sera traitée avec attention puisqu’elle résulte de l’initiative d’une secrétaire d’Etat. Il n’est pas concevable "qu’Internet soit un espace de non-droit".
Mais, dans la même phrase, et à cause de l’ébullition suscitée par la convocation de Dominique Broueilh pour le 11 juin, elle ajoute : "Internet est un outil essentiel au débat démocratique". C’est tout elle ! Second mouvement : on se replie, on se rétracte presque. "Je n’entends pas poursuivre cette personne... Je le répète, ma plainte ne vise que les auteurs de propos gravement injurieux. Une enquête est en cours. J’ai demandé à mon avocat de veiller à ce que la procédure respecte bien l’esprit de ma plainte" (Le Parisien). Nadine Morano se dit même "choquée" par la convocation (lenouvelobs.com). Cette tactique qui consiste à favoriser le pire puis à prétendre par opportunisme qu’on aspirait au meilleur et même à dénoncer la police qui n’en peut mais me semble inélégante. Il est trop commode de croire qu’on peut jouer sans risque de toute la gamme des possibles, privilégier le répressif, se tromper sans conséquence et se parer, après l’action, de plumes progressistes et compréhensives qu’on ne mérite pas. La seule interrogation qui vaille est celle-ci : la plainte portée, dont les effets seront évidemment décisifs, met-elle la secrétaire d’Etat dans la catégorie des défenseurs de la liberté d’expression, même à leur détriment, ou dans celle des censeurs ? La réponse est limpide.
Cet épisode qui manifeste sur un registre mineur la difficile gestion de la communication entre les politiques et les citoyens est emblématique d’une période que la présidence de Nicolas Sarkozy a inaugurée. A la fois, sûrement, une libération du langage, une décrispation des mots et des réactions, moins de majesté dans le style, plus de spontanéité dans les répliques mais aussi, pourtant, le désir de sauvegarder l’honneur de l’espace politique, une injonction de politesse et de retenue, l’aspiration à demeurer dans les chemins courtois d’hier. Je perçois comme une hésitation chez le responsable politique d’aujourd’hui. Supporter que le citoyen le traite comme n’importe qui ou tenter de maintenir tant bien que mal un bout de dignité, un zeste de pompe ? On retrouve cette même ambiguïté dans le dialogue direct entre des adversaires confrontés médiatiquement. Sans minimiser l’importance de l’altercation entre François Bayrou et Daniel Cohn-Bendit qui résulte d’un rapport de force à maîtriser dans l’urgence, je ne crois pas qu’Arlette Chabot, qui n’a pas dominé son sujet dans "A vous de juger" sur France 2, ait raison lorsqu’elle affirme l’irruption de la "culture banlieue dans le débat politique" (Marianne 2, lepoint.fr). Il me semble plutôt que le langage politique se trouve à la croisée des chemins. On lui a tellement reproché de ne pas parler "vrai" et de nous occulter, dans une représentation convenue et aimablement antagoniste, ses arrière-pensées qu’il cherche maintenant des "marques", un style qu’il n’a pas encore su inventer. Il oscille entre la tradition et la convention d’avant et ce que lui impose la modernité, l’authenticité revendiquée et la proximité harcelante du citoyen qui n’est plus dupe. Aussi, une forme de grossièreté éclate qui n’a rien à voir avec la "culture banlieue" mais avec l’ébauche d’un genre d’expression nouveau, discutable certes mais moins faux. S’il pèche par outrance, l’hypocrisie, heureusement, n’est plus son fort.
Nous ne sommes pas éloignés de Nadine Morano qui aurait dû d’autant moins protester qu’elle s’autorise peu ou prou, avec son discours dru, ce qu’elle dénonce. Pour ne pas avoir à regretter les suites d’une plainte, on ne dépose pas plainte. On se contente de laisser vivre la liberté d’expression, même si elle fait mal. Mais il est impossible d’avoir le beurre et l’argent du beurre. De souffler le froid puis le chaud. On "encaisse" ou non "Hou la menteuse".
C’est aussi simple que cela.
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