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Partir des constats

Jean Pierre Faye a montré par une analyse d’un moment historique (la montée du nazisme dans les années 30) comment une idéologie se crée peu à peu par la répétition de mots. La plupart des idéologies ont un membre fondateur, un homme, le plus souvent barbu, avec des textes, un livre ou des livres (la Bible, le Coran, la Torah, le Capital…). Celles-là sont visibles, nommées par elles-mêmes. L’idéologie est un ensemble d’idées qui tiennent bien ensemble, font système. La plupart des idéologies ont fait une place à la contradiction et les contradicteurs, une place d’exclusion, honteuse, et quand ils ont le pouvoir étatique, cette place devient concrète (goulag, inquisition… etc.). Le contraire de l’idéologie est la science : le scientifique part du constat et y retourne, transformant la réalité du côté du bien de l’homme (ne plus avoir faim, ne plus avoir froid, vivre plus vieux… etc.) Les nouveautés scientifiques n’entrent pas dans la science facilement, il y a des luttes qui ressemblent fortement aux luttes idéologiques, mais la réalité finit toujours par être le juge, ce qui n’est pas le cas de l’idéologue. Bertold Brecht disait : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple. » L’idéologue ne cède que lorsque la réalité l’y oblige, qu’il ne peut faire autrement (voir la chute du communisme : pas assez à manger… etc. et de plus, pas de libertés). L’idéologue croit que si ses solutions ne fonctionnent pas, c’est qu’il n’a pas fait assez durer, qu’il n’a pas assez tartiné, c’est qu’il n’y a pas assez cru (trop lent, trop tardif…) il n’a pas assez appuyé… il veut toujours en remettre une couche. C’est un marqueur.

La question fondamentale tient dans la place, le statut que l’on donne à la contradiction. Ou elle est une ressource, une richesse (même si ce n’est pas de la tarte, ça ne vient pas tout de suite) ; ou elle est par principe et sans équivoque un déchet, une injure (un blasphème).

L’idéologue est binaire : si tu n’es pas avec lui, tu es contre lui.

Notre société a fait apparaître récemment, on ne sait d’où, des mots idéologiques, qui échappent à la contradiction, dont on ne peut pas débattre : amalgame, stigmatisation, islamophobie… Ils sont comme des sources : ou on est dedans ou est contre. Il n’y a pas d’arrangement. Dès qu’ils sont énoncés, ils valent condamnation de l’autre. En principe, les mots doivent être mis en face des choses.

Par les mots, les hommes mettent en commun l’idée des choses avec laquelle ils peuvent « travailler ». Ils ne peuvent pas travailler ensemble à déterminer les directions directement avec les choses, ils ne peuvent vivre ensemble que par le truchement de mots bien branchés sur les choses. Il vaut mieux en déterminer nombre détails, nombre subtilités pour mieux décrire les choses, pour affiner le constat par un travail collectif de l’échange de discours… débattre des constats pour que l’accord que l’on en a soit le plus affiné possible, le plus adapté, épousé aux choses… et ensuite, discuter de la façon d’agir de façon coordonnée pour améliorer l’ordinaire, de savoir agir le plus finement possible auprès des choses qu’on a, collectivement, vues au mieux.

Actuellement, les échanges à propos des tueries perpétrées sont situés dans la morale, le rapport au réel est très estompé, voire absent. Les discours deviennent automatiques. Ils opèrent des clivages tellement répétés qu’ils deviennent invisibles, tellement répétés qu’ils paraissent vérité. Les identités collectives sont niées, sauf celles revendiquées et considérées comme non-problématiques (les bretons par exemple…). Sinon elles sont considérées comme des stéréotypes. Autant dire des faussetés, ou des éléments de surface, cosmétiques… presque rien, un parfum dont on ne devrait pas faire cas, puisque ce sont des causes de guerre, d’une part et presque rien d’autre part. Nous vivons dans le déni des différences réelles. Nous n’acceptons de différences qu’en les estimant folkloriques. C’est un spectacle, il faut l’affirmer comme spectacle, image, et se déclarer un être humain, sans originalité propre ni collective, ou alors juste comme ça en passant, pour le fun. Nous nous empêchons ainsi de penser ce qui se passe. Car si les identités collectives sont des causes de guerre, si elles peuvent agir, c’est bien qu’elles existent et qu’elles sont puissantes. Ce n’est pas les favoriser que les voir et en parler pour ce qu’elles sont. C’est, au contraire, le (seul) moyen d’agir et de lutter contre, quand elles abusent si elles abusent. Mais dans notre idéologie morale, on n’a pas le droit de dire du mal d’un groupe humain. On ne peut dire du mal (vouloir changer) que le système.

A propos des mots amalgame, stigmatisation, islamophobie… la moindre des choses consisterait à dire qu’on ne sait rien, de leur valeur dans la réalité. On ne sait pas :

  •  s’il y a des musulmans comme tout le monde (à part le fait qu’ils sont musulmans) et une poignée de fous criminels qui n’ont rien à voir avec cette religion (c’est ce qu’implique ces idées de pas d’amalgame, pas de stigmatisation, ce serait de l’islamophobie, autant dire du racisme qui fait le jeu du front nationale… autant dire insupportable, condamnable, inimaginable…) ou
  • s’il y a un continuum, un dégradé entre les musulmans comme tout le monde, pacifistes et tout et tout, et les tueurs qui œuvrent partout dans le monde au nom de l’Islam (côté dégradé : la réouverture de lignes aériennes vers l’Iran pose des problèmes aux stewards homos et aux hôtesses ne souhaitant ni cacher leur chevelure ni participer à la signification de ce geste !).

Ainsi, un des « raisonnements » qui est un sophisme, (qui a l’air logique et ne l’est pas) consiste à dire qu’on ne peut prendre en compte le fait que des musulmans réalisent des meurtres collectifs de gens assis et sans armes parce que cela atteindrait l’image de l’ensemble des musulmans. C’est s’empêcher de toute compréhension de ce qui arrive et se condamner à en être le jouet. Si on ne peut nommer les auteurs du mal parce que cela risquerait d’entacher d’opprobre des gens qui n’ont pas fait de mal, on a la « réponse » avant tout examen : ne reste disponible que la théorie dite du loup solitaire. Nous devons mener enquêtes et analyses, en toute honnêteté à l’égard des choses et des phénomènes. C’est un marqueur de l’idéologie que d’avoir les réponses avant les questions, et avant les enquêtes. Esprit scientifique versus idéologie.

L’autre « raisonnement » est la généralisation : d’autres ont fait pire ! A Cologne, tous les hommes auraient pu faire ça (ce qui serait déjà à démontrer) par conséquent, nous avons affaire à des opportunistes (tous les hommes seraient opportunistes dans ce cas-là, ce qui serait également à démontrer). En se réglant sur le pire, il n’y a plus rien à dire, plus de problème.

Ce d’autres ont fait pire est le faux argument le pire, qui maintient cette idéologie selon laquelle l’appartenance à un groupe humain est sans engagement réel, juste un détail, une coquetterie.

Ce ne devrait pas être le mal que les mots peuvent faire aux autres qui guident les discours, ce devraient être les faits, même s'ils sont désagréables à certains, qui devraient juger les mots.

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9 réactions à cet article    


  • Ben Schott 12 avril 2016 10:18

     

    Globalement d’accord, mais avec deux réserves.

    La première est que ce qui est mauvais ce n’est pas l’idéologie, mais plutôt le fait de ne pas en corriger ses éventuelles conséquences néfastes ou ses dérives, et le fait qu’on puisse l’imposer (une idéologie admise par tous ne pose pas de problème).

    La deuxième est que la science n’est pas le contraire de l’idéologie, qui est effectivement un système de valeurs, opposable à d’autres systèmes de valeur, bref un système subjectif. La politique est l’art de choisir le moins pire pour servir – en principe – l’intérêt général, mais aucune science ne peut prétendre à déterminer le destin des hommes.
     


    • Olivier Perriet Olivier Perriet 12 avril 2016 12:11

      @Ben Schott

      et de ce point de vue, la science est irréfutable, car objective.


    • Ben Schott 12 avril 2016 12:30

      @Olivier Perriet
       

      Rien ne peut être objectif en ce qui concerne les sociétés humaines. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà...

      Personne ne peut démontrer scientifiquement que la retraire à 70 ans c’est mieux qu’ à 50 ans, et réciproquement. Il ne s’agit que de choix politiques, valables à certains endroits et à certaines époques. Et les choix politiques sont idéologiques par définition, et toujours réfutables.
       


    • Olivier Perriet Olivier Perriet 12 avril 2016 12:10

      l’idéologie peut aussi se travestir en science, pour mieux évacuer les oppositions, comme la « science économique » :

      celui qui ne s’y retrouve pas n’est pas envoyé en camp de concentration mais est marginalisé comme un fou qui réfute la logique.


      • Olivier Perriet Olivier Perriet 12 avril 2016 12:13

        @Olivier Perriet

        ou l’écologisme, qui pose le principe scientifique du réchauffement de la Terre dû à l’action de l’Homme, à grands coups de GIEEC et autres.
        Irréfutable, un nouveau dogme


      • Le p’tit Charles 12 avril 2016 16:09
        « Une idéologie est un système d’hypothèses ou d’aperçus, invérifiables ou toujours vérifiables, selon qu’on est, passionnément, donc obscurément et de tout son être, pour ou contre cette idéologie. »
        Eugène Ionesco

        • alanhorus alanhorus 13 avril 2016 21:08

          False Flag or not False Flag that is the question....
          https://www.youtube.com/watch?v=Bu_NYL6l4yk
          Charlie Hebdo False Flag in Paris : Theory, Evidence and Motive
          https://www.youtube.com/watch?v=RBbakTjYM-E
          Charlie Hebdo Shootings- A Paris France False Flaghttps://www.youtube.com/watch?v=eVE5xGPafhI
          Charlie Hebdo - Fake Event

          Vous fatiguez pas à faire des articles qui enfument les gens avec des kilomètres de mots compliqués, ce qui est souvent l’apanage des contrôleurs de la pensée unique..


          • Orélien Péréol Orélien Péréol 13 avril 2016 22:26

            @alanhorus
            Mon article signifie que ce que l’on peut dire de ce qui nous arrive ne doit pas se régler sur le fait que cela pourrait faire du mal à un groupe mais se régler sur ce qui se passe vraiment, comme font les sciences.

            Un médecin doit dire à quelqu’un « vous avez un cancer » s’il a un cancer. Il doit être prudent, le dire en plusieurs fois... il doit dire « vos antécédents familiaux qui ont favorisé ce cancer » ; il ne doit pas dire « je ne le dis pas, même si c’est vrai, afin de ne pas risquer de faire de la peine à ses parents qui ne sont pour rien dans le cancer de leur enfant »
            N’hésitez pas à me poser d’autres questions, surtout si cet exemple ne vous parait pas clair.

          • Orélien Péréol Orélien Péréol 19 avril 2016 16:12

            A propos de Semmelweis, j’ai traité de ce passage : « Les nouveautés scientifiques n’entrent pas dans la science facilement, il y a des luttes qui ressemblent fortement aux luttes idéologiques, mais la réalité finit toujours par être le juge, ce qui n’est pas le cas de l’idéologue. » J’ai mis Semmelweis comme exemple.


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