Petits candidats et grands candidats
Les médias distinguent nettement les grands candidats, qui bénéficient de toute leur attention, des petits candidats considérés comme quantité négligeable. Mais comment opérer cette distinction ? Les sondages... ou les résultats futurs ?
À chaque élection présidentielle, on ne cesse de parler de certains candidats, et puis, en catastrophe, on parle des autres, considérés pour quantité négligeable. Cette année, cela paraît nettement flagrant.
Mais qu’est-ce qu’un grand candidat, et qu’est-ce qu’un petit candidat ? Car ces qualificatifs sont donnés avant l’élection, et donc, ne peuvent se fier aux résultats de celle-ci. En revanche, la qualification de « grands candidats » va permettre aux heureux nommés d’avoir une audience et une couverture médiatique qui vont lui permettre d’être effectivement un grand candidat.
Je me suis donc intéressé à regarder depuis l’élection présidentielle de 1965 quels étaient les grands candidats, et les petits.
Déjà, parlons des évolutions depuis quarante-deux ans.
Prenons par exemple le score du candidat arrivé en tête du premier tour.
Pour les trois premières élections, il oscille entre 43 et 45%, ce qui est un gros morceau de l’électorat, mais qui n’assure pas la victoire au candidat, puisque Mitterrand en 1974 a perdu (de peu) face à Giscard d’Estaing arrivé avec plus de dix pour cent de moins au premier tour.
Ensuite, le score tombe autour de 30% (entre 27,82 et 33,90%) pour les deux suivantes et puis, après, c’est la catastrophe, car il s’effondre autour de 20% (entre 19,88 et 23,21%).
Or, le candidat qui est élu au second tour ne représente en fait pas plus que son score du premier tour, en terme d’adhésion réelle à sa personne et à son programme.
C’est la raison pour laquelle de Gaulle avait hésité à continuer après avoir été mis en ballottage en 1965 car il estimait que plus de la majorité des électeurs avaient voté contre sa personne.
Le cas le plus patent est celui de Chirac en 2002, élu à 82% au second tour (un record !), mais ne rassemblant même pas 20% au premier tour.
Par ailleurs, jusqu’en avril 1981, toutes les élections présidentielles étaient caractérisées par un cheptel de grands candidats qui représentaient, ensemble, au premier tour, entre 84,67 et 92,03%.
Mais, déjà dans l’évolution, le cheptel passait de trois grands candidats (en 1965, 1969, et 1974) à quatre (en 1981, 1988 et 1995).
En 1981, les plus perspicaces se souviennent que Jean-Marie Le Pen, qui n’avait pu se présenter faute de signatures d’élus locaux, avait critiqué cette « bande des quatre » qui correspondaient à la fois aux quatre partis dominant le paysage politique français de l’époque : RPR, UDF, PS et PCF, et aux quatre candidats de ces partis, respectivement : Chirac, Giscard d’Estaing, Mitterrand et Marchais.
Finalement, loin d’être en dehors de l’ « établissement », Le Pen fera désormais partie de cette bande des quatre dès 1988 et pour deux décennies encore.
Jusqu’en 1995, ce qui caractérisait le résultat du premier tour, c’était un très grand fossé entre les grands candidats et les petits qui généralement sont en dessous de 5 à 6% voire de 4%. Seuls André Lajoinie en 1988, et Robert Hue en 1995, avec respectivement 6,94% et 8,71% purent monter au-dessus (comme Bayrou en 2002).
En 1995, la structure se modifiait légèrement : déjà, le total des grands candidats atteignait péniblement 77,49% et deux petits candidats avaient plus de 5%, Robert Hue (déjà cité) et Arlette Laguiller avec 5,38%.
Ce qui a abouti à l’exception de l’élection présidentielle de 2002, exception qui ne provient pas de la venue de Jean-Marie Le Pen au second tour (ce fut un évènement politique, mais pas électoral, car Lionel Jospin, à deux cents mille voix près, aurait pu très bien atteindre le second tour, et ce premier tour aurait été tout aussi exceptionnel), mais de l’exceptionnelle disparité des voix.
En effet, le total des trois grands candidats (retour à trois au lieu de quatre depuis 1981) ne faisait que 52,92%, très loin des 80% habituellement obtenus. Et le premier candidat ne dépassait même pas 20%.
L’élection de 2002 fut donc très particulière. Et cette particularité provenait du nombre très élevé de candidats, seize au lieu des neuf de moyenne pour les six précédentes élections, et surtout, du nombre élevésde candidats, ni grands ni négligeables.
En effet, après François Bayrou avec presque 7%, pas moins de sept candidats avaient obtenu entre 3 et 6% (Laguiller, Chevènement, Mamère, Besancenot, Saint-Josse, Madelin et Hue), ce qui avait engendré une dispersion de près de 40% des voix.
Et l’élection présidentielle de 2007, comment se combine-t-elle ?
Déjà, il faut attendre le 20 mars 2007 avant de connaître la liste officielle des candidats, sachant que l’un de ceux qui prétendent avoir des difficultés à récolter des parrainages a une forte probabilité de faire plus de 10%. Son absence du scrutin aurait évidemment une conséquence non négligeable sur les résultats.
Ensuite, cette élection semble très éloignée de celle de 2002 pour deux raisons : d’une part, un très faible émiettement que les sondages semblent confirmer, mais qui est aussi corroboré par un faible nombre de « candidatures de dispersion », et d’autre part, la crainte d’une reproduction (semble-t-il totalement improbable) de ce qu’il s’est passé en 2002 pour la qualification au second tour.
Et cette crainte renforce le dispositif d’un « vote utile ». Évidemment, le sens du vote utile est toujours sujet à caution et souvent, la « propagande » des grands candidats s’amuse à parler de vote utile pour simplement demander de voter pour eux.
Mais, au fait, qui sont les « grands candidats » ?
Au départ, les médias ont longtemps estimé qu’il n’y en aurait que deux : Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal (une fois que cette dernière a été désignée par son parti le 16 novembre 2006).
Mais c’était d’abord oublier la présence de Jean-Marie Le Pen qui était arrivé quand même en seconde place la fois précédente.
Et un quatrième candidat qui, petit à petit, commence à conserver les deux chiffres dans les intentions de vote, François Bayrou (dépassant maintenant largement Le Pen et lui donnant cette semaine entre 20 et 24% derrière les deux premiers qui descendent en dessous de 30%).
En gros, cette fois-ci, on peut définir les grands candidats comme ceux dont les sondages donnent plus de 10% d’intention de voix.
Même si la Constitution donne, pendant la très courte campagne officielle (quinze jours), l’égalité de traitement pour tous les candidats (c’est la moindre des choses dans une démocratie), la réalité médiatique est que les médias favorisent les grands candidats pendant la (longue) précampagne, donnant ainsi peu de visibilité aux petits candidats.
Les sondages donnent évidemment une photographie à la fois éphémère (vu la versatilité de l’électorat) et floue (vu l’intervalle d’indétermination) de la situation, mais si on se base sur ceux actuellement en cours, il semblerait que ces quatre grands candidats rassembleraient plus de 80% de l’électorat et les autres ne dépasseraient pas les 2-3%.
Comme en 1995 ou en 2002, les arguments de « vote utile » (dans quel sens ? pour faire battre quel candidat ? pour empêcher qui d’accéder au second tour ?) et la réaction et les spéculations de l’électorat face à ces même sondages vont sans doute apporter leur lot de surprises.
On peut cependant espérer qu’in fine, les électeurs resteront maîtres de leur vote.
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