Pourquoi une victoire de Sarkozy n’est nullement souhaitable
Les analystes politiques soulignent très rarement que la victoire de Sarkozy en 2007 reposait sur sa capacité à mobiliser en sa faveur les personnes du troisième et du quatrième âge. Tandis que Ségolène Royal faisait jeu égal chez les moins de 60 ans, Sarkozy la devançait très largement chez les personnes âgées (61% chez les 60-69 ans et 68% chez les plus de 70 ans).
En 2012, Sarkozy est malmené dans les enquêtes d'opinion qui le donnent toutes perdant, même si il a réussi à repasser devant Hollande dans les intentions de vote du premier tour. Etant donné la proximité des deux tours, Sarkozy ne pourrait arracher la victoire qu'in extremis, au prix d'un effort surhumain qui le verrait passer devant Hollande, "au finish" pour parodier les commentateurs sportifs. Bref, Sarkozy ne peut aucunement espérer une victoire aussi large que celle de 2007. Au mieux pourra-t-il gagner avec 50,5 % des suffrages exprimés, ce qui lui laisse une majorité trop courte pour gouverner.
Attardons-nous sur l'un des ressorts d'une hypothétique victoire de Sarkozy le 6 mai 2012, en l'occurence celui qui a trait aux caractéristiques démographiques de la France.
Les plus de 60 ans rassemblaient en 2010 plus de 14 millions d'individus, soit environ 30% de la population en âge de voter. Du fait du vieillissement de la population, leur poids électoral ne cesse de croître et par conséquent leurs sujets de préoccupation occupent une place de plus en plus manifeste. Les raisons de voter à droite pour les personnes âgées sont multiples mais on peut en énumérer quelques uns :
- Les personnes âgées sont moins enclines au changement (surtout ce qui a trait à l'évolution des moeurs, des habitudes en société...) et sont donc sensibles au respect des traditions et des valeurs que la droite prétend défendre.
- Un sentiment de vulnérabilité dû à l'âge qui les rend plus sensibles aux problèmes d'insécurité.
- Pour un certain nombre de retraités qui ont pu accumuler suffisamment d'épargne pour être propriétaires d'un ou plusieurs logements, ou posséder une épargne conséquente, la droite sera plus capable que la gauche de défendre leurs intérêts, c'est-à-dire ceux de rentiers qui veulent en particulier préparer leur succession dans de bonnes conditions, alors que cette dernière revendique la défense des actifs salariés et/ou des plus démunis.
Il n'est donc pas étonnant de voir que les "vieux" plébiscitent toujours Sarkozy : le dernier sondage BVA crédite Sarkozy du score astronomique de 48% chez les plus de 75 ans au premier tour. La crise a ébranlé le pouvoir d'achat de nombreux retraités, notamment ceux aux petites retraites et les réformes de Sarkozy ont retardé la mise à la retraite de milliers de personnes. Mais ces éléments ne sont pas suffisants pour remettre en cause l'adhésion à Sarkozy des personnes âgées. On peut supposer que ceux qui ont de petites retraites avec peu d'épargne constituaient déjà le noyau dur de ceux qui n'ont pas voté Sarkozy en 2007.
Sarkozy n'est pas tant le président des riches que le président des rentiers. Une récente étude de l'institut des politiques publiques le montre très bien. Du fait que le pendant d'une rente, ce sont les intérêts et que les intérêts versés croissent avec le temps, beaucoup de rentiers sont des persones âgées. Pour désamorcer toute polémique, je précise que la retraite versée par l'assurance vieillesse n'est en aucun cas une rente pour moi. Elle se rapproche plutôt de la retraite par capitalisation que permet la souscription de produits financiers telle l'assurance-vie.
Il est ainsi très intéressant d'analyser la politique budgétaire d'un homme politique qui défendra les rentiers :
Un président qui défend les rentiers n'est pas contre la dette publique. Pire, la dette publique relève dans cette perspective d'un contrat implicite entre l'Etat et les souscripteurs (nationaux) des obligations émises par l'Etat. Lorsque un état est endetté, il peut augmenter les impôts (et faire porter le poids de la dette aux plus aisés), diminuer la dépense (inversement, il fait porter le poids de la dette aux populations bénéficiant de la redistribution des richesses, en général les populations les plus fragiles) ou encore emprunter auprès des marchés, tout en maintenant le niveau de dépenses et de recettes (il fera rouler sa dette). En réalité, les hommes politiques font souvent un mélange des trois avec des préférences pour telle ou telle solution. Choisir l'endettement, c'est donner sa préférence à des personnes qui auront les moyens d'épargner malgré les multiples rognures que l'on pourra faire sur les dépenses. Le contrat qui lie l'épargnant à l'état se substitue même au contrat social que la citoyenneté permet en théorie. Ce contrat est de type actionnaire-entreprise et le ratio dette/patrimoine des administrations publiques montre cette transformation qui a été opérée au cours des trente-cinq dernières années. Ce ratio était supérieur à cinq à la fin des années 1970, il stagne depuis une dizaine d'années à 1,3 et est similaire à celui que l'on peut retrouver pour les entreprises non financières.
Comment se manifeste les droits du souscripteur d'obligations d'un état ? Ces trente dernières années, à l'exception de la période 1981-1983, les politiques économiques et budgétaires ont été sensiblement les mêmes, les différences pouvant s'expliquer par la conjoncture économique.
Quand Sarkozy a été élu président, sa lubie était d'atteindre les 3% de croissance du PIB, ce qui pouvait, selon ses dires, passer par une augmentation de la dépense publique. Ses premières mesures sont allées dans ce sens et on leur a donné le nom de paquet fiscal. Elles ont pu profiter aux plus riches (le bouclier fiscal qui comprend l'IR) mais également aux détenteurs d'un patrimoine important (mesures sur l'ISF, allégement des frais de succession...). La loi TEPA a eu des effets directs sur le déficit puisqu'en 2008, alors que l'on venait à peine d'entrer en récession, la France n'était déjà plus dans les clous du critères de Maastricht. La crise a fait exploser le déficit, notamment à cause des nombreuses mesures fiscales du gouvernement et du grand emprunt. Un déficit trop élevé peut provoquer une rupture de contrat entre les deux parties évoquées plus haut. La faillite d'un état aurait des conséquences sur les épargnants français qui détiennent des obligations françaises (un tiers de la dette française, deux tiers si on rajoute les résidents UE hors France, la problématique étant assez similaire pour tous les pays de l'UE*) et amoindrir très fortement leur épargne. Il avait donc le choix entre l'augmentation des recettes ou la diminution des dépenses et il a fait les deux en prenant soin de n'augmenter les recettes que via des impôts jugés inégalitaires comme la TVA à 5,5% et de ne pas remettre en cause de nombreuses niches fiscales jugées économiquement inutiles.
Les conséquences d'une réélection de Sarkozy seraient simples :
- Gouverner avec une faible majorité, ou pire devoir faire face à une assemblée (rouge&rose) qui rendrait nulle son élection. Une démission ou un changement de république serait presque inévitable.
- S'il obtient tout de même une majorité, il continuera dans la voie qu'il a tracé durant son premier mandat, une politique d'austérité qui ne dit pas son nom, qui essayera de protéger sa clientèle électorale, qui est plutôt âgée et qui possède un patrimoine assez important. Il demandera un effort minimal aux personnes à hauts revenus et mettra en place des réformes dont les principales victimes seront les salariés (classe populaire et classe moyenne) et les jeunes qui réaliseront que l'école publique a été abandonnée et que le marché du travail ne leur offre que des emplois très précaires, outre l'impossibilité d'entrer dans la fonction publique qui se ferme (RGPP oblige) de plus en plus aux très diplômés.
- L'austérité deviendra donc un principe dans une économie à croissance faible ou nulle, où il faudra trouver chaque année plus de 20 milliards d'économie pour respecter les engagements de réduction du déficit. Engagement très difficile à tenir, compte tenu de la nature structurelle du déficit français (corrélée à la croissance du PIB ; Olivier Berruyer montre très bien que depuis trente ans, le déficit correspond grosso modo à la croissance du PIB diminuée de cinq points). Etant donné le contrat liant l'Etat à ses créanciers, il n'est pas forcément désirable pour Sarkozy de revenir à un excédent de 0,5% du PIB en 2017 puisqu'il tarira une source de placement "sûr" pour ses électeurs préférés.
- Faire face à une population jeune et/ou active qui supportera de moins en moins un président qu'ils n'auront pas choisi. Parmi les jeunes, il sera même considéré comme le président des vieux et in fine comme un ennemi de la jeunesse qui empêche son épanouissement.
- Faire face à un pays de plus en plus ingouvernable, qui sera probablement en proie à des émeutes localisées et qui peuvent à tout moment dégénérer en insurrection populaire. Les émeutes de 2005 avaient cette particularité qu'elles étaient circonscrites aux banlieues défavorisées et que les jeunes ne vivant pas dans les zones sensibles n'avaient nullement rejoint un mouvement qui était bien plus politique (et républicain...) que ce que l'on a voulu faire croire. Il en serait autrement si ça devait se reproduire.
- Une probabilité non négligeable de ne pas venir à bout de son mandat : il devrait faire face à une gauche plus radicale dans son opposition et à un centre qui craint avant toute chose l'instabilité politique et qui pourrait attirer une partie de la droite.
Conclusion :
Je voudrais tout de même nuancer ma position. Bien que la réélection de Sarkozy ne soit pas du tout souhaitable, je dois avouer que certains points peuvent s'appliquer à son probable successeur François Hollande. Toutefois, François Hollande serait moins enclin à mettre en place une politique d'austérité qui toucherait en premier lieu les populations les plus pauvres (et plus généralement les classes populaire et moyenne salariées, les jeunes) du fait même de la structure de son électorat et de la pression qu'il aura à sa gauche. Par ailleurs élu par une population plus prompte à manifester et même à se révolter, le risque d'instabilité se trouverait décru de par le fait qu'ils ont voté par lui (période de grâce que n'aura pas Sarkozy). Excepté une trahison de ses engagements digne d'un Papandréou...
*La diminution de la part des résidents en France dans la dette française de deux tiers au début des années 2000 à un tiers aujourd'hui n'est que l'aboutissement logique de l'intégration de la France dans l'espace européen."L'actionnaire français" a préféré prendre des droits sur d'autres états européens tandis que les Européens faisaient de même sur la dette française. Pour parler simplement, les détenteurs de dette français et européens plus généralement (bien que ça soit dans des proportions moindres que les Français) ont soutenu l'union monétaire et c'est de ce soutien que dépend en partie l'avenir de l'euro.
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