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Prisonniers politiques : deux poids, deux mesures ?

Il y a un scandaleux « deux poids deux mesures » de la France dans sa politique face au phénomène des prisonniers politiques. Avec certains pays, la France se comporte avec une grande indulgence ; dans d’autres, elle est plus ferme.

Akbar Ganji, le plus célèbre des prisonniers politiques iraniens, est en grève de la faim depuis 50 jours pour obtenir sa libération sans condition. Il est en danger de mort.

En 2001, il a été condamné à six ans de prison après un article mettant en cause plusieurs dignitaires du régime dans une série de meurtres d’intellectuels et d’écrivains. Son avocate n’est nulle autre que Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en 2003.

Dans ce dossier, la France agit conformément à ses principes affichés de respect des droits de l’homme et du droit international. Le porte-parole du Quai d’Orsay déclarait ainsi mercredi : « Les autorités françaises renouvellent leur profonde inquiétude au sujet de l’état de santé de ce prisonnier politique, dont la détention n’est pas conforme au Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel l’Iran est partie. Elles demandent sa libération immédiate et, par ailleurs, la levée de toutes les entraves opposées aux actions des avocats de M. Gandji dans l’exercice de leurs fonctions. » C’est clair et net.

Mais, dans des dossiers très similaires de prisonniers politiques et de grèves de la faim, la France sait se faire beaucoup plus discrète. Curieusement, ce qui indigne si profondément les diplomates français dans la lointaine Perse devient acceptable dans le Maghreb si proche.

Voyez plutôt.

En Algérie, Mohammed Benchicou est un journaliste éminent. Alors directeur du quotidien Le Matin (maintenant fermé), il a pris violemment position contre le président algérien, Abdelaziz Bouteflika. Il a eu l’imprudence d’écrire, peu de temps avant la réélection de Boutef’, un livre intitulé : « Bouteflika, une imposture algérienne ». Condamné en juin 2004 à deux ans de prison ferme sous un prétexte ubuesque (et, encore aujourd’hui, harcelé judicairement), c’est le plus célèbre des prisonniers politiques algériens et, comme Ganji, il est très malade. Pourtant, sur le dossier Benchicou, la France est muette comme une carpe.

Passons à la Tunisie et considérons le cas de Radia Nasraoui, une avocate engagée dans la défense des droits de l’homme et, de ce fait, opposée politiquement au président Ben Ali. En décembre 2003, au moment où Jacques Chirac se rend en visite en Tunisie, Nasraoui en est à son 50ème jour de grève de la faim, entamée pour protester contre le harcélement quotidien (tabassage, mise à sac de son bureau, écoutes, intimidation sur ses clients...) qu’elle subit de la part de policiers et autres agents tunisiens, ce qui lui rend la vie impossible. Pensez-vous que Chirac, tout occupé à féliciter Ben Ali pour son bilan économique et sa lutte contre les islamistes, aura quelques bons mots pour l’avocate ? En conférence de presse, il aura le culot de déclarer à propos de cette affaire : « Le premier des droits de l’homme consiste avant tout à pouvoir se nourrir, se vêtir, envoyer ses enfants à l’école, avoir un habitat." Il a ensuite ajouté, pour continuer dans l’odieux, qu’ « en France aussi, nous avons des personnes qui font la grève de la faim, ou qui la feront ». Radia Nasraoui déclarait alors au Monde, de son lit : « On ne peut pas soutenir une dictature comme celle de Ben Ali. Chirac n’est pas le président de n’importe quel pays. Il est le président de la France, celle de 1789, des droits de l’homme, de la Commune, de Mai 68 ».

Cette politique hypocrite à géométrie variable est évidemment une sombre affaire de realpolitik.

Traditionnellement, la diplomatie française a tendance, dans sa zone d’influence (au Maghreb et en Afrique noire notamment) à préférer les régimes autoritaires stables avec qui on peut faire des affaires car on sait qu’ils tiennent leur pays. Souvent, ces régimes dépendent plus du soutien de la France que de celui de leur population, ce qui place Paris dans une position qui lui permet d’y donner le ton. Dans un contexte où l’influence française est de plus en plus contestée, notamment par les États-Unis, dans son pré carré, les autorités françaises redoublent de discrétion face aux abus de régimes qu’elle tient absolument à ne pas s’aliéner.

Cette politique cynique à géométrie variable fait que la France, là où elle a vraiment de l’influence et où elle pourrait faire pression pour améliorer les situations des droits de l’homme, justement, choisit de n’en rien faire. Un mot de Chirac pour défendre les journalistes algériens attaqués régulièrement par le régime de Bouteflika ou pour inciter Ben Ali à laisser plus d’espace démocratique à son peuple aurait vraiment de l’impact, beaucoup plus qu’une dénonciation de l’attitude iranienne dans le dossier Ganji.

En France, on aime se sentir vertueux mais la realpolitik l’emporte toujours sur les grands principes.


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