Procès de six Français ou procès de la France ? A quand une redéfinition de nos relations avec les pays africains ?
Lorsque le président Sarkozy a dit : « quoi qu’ils aient fait, j’irai les chercher », j’ai eu un pincement au cœur. J’ai tout de suite compris que cette petite phrase serait dure à encaisser pour les Africains. « Inencaissable » en fait. Si Nicolas Sarkozy avait dit la même chose pour des Français en Thaïlande, cela aurait été différent. Ce pays n’a jamais été colonisé. Pour l’Inde ou le Brésil, pas de problème non plus. Car nous traitons d’égal à égal avec ces pays depuis longtemps maintenant. Leurs opinions publiques comprendraient que le président vient avec l’idée de négocier. Etant donné le passé, l’Afrique ne peut pas imaginer que cela veuille dire que le président français vienne négocier. Cela veut dire qu’il vient prendre.
Honnêtement, je pense que le président voulait négocier. On le sait d’ailleurs depuis le premier jour de l’affaire de « l’arche de Zoé » puisque déjà, les médias avaient évoqué le problème de l’envoi de nos forces armées à l’est du Tchad.
Ce qu’on ne sait pas assez en France, c’est
que le colonialisme est d’autant plus rejeté que le néocolonialisme existe.
Cela sous deux formes.
La première est politique. Il y a eu
jusqu’à aujourd’hui entretien des liens coloniaux, visant à garder l’influence
de la France sur les pays indépendants depuis 1960. Mais de cette politique,
est née l’habitude que les grandes entreprises françaises influencent les
secteurs économiques-clés et la politique des Etats africains... souvent en
reléguant la démocratie au second plan, voire parfois en la combattant
frontalement.
La deuxième est encore moins claire. Il
s’agit de notre comportement, à nous, simples citoyens, en voyage en Afrique noire.
Certes, le tourisme responsable
Enfin bref, l’ignorance de notre président est
coupable. En effet, son attitude arrogante a transformé un peu plus le procès
des six Français de l’Arche de Zoé en procès politique et historique. Pour les
Tchadiens, il y a une fierté à ce que leur pays empêche des Français de décider
de ce qui est bon pour leurs enfants ou pas. C’était ce procès qu’il fallait
éviter.
Mais une fois de plus, les membres de l’association française
ont voulu se vêtir uniquement de leurs bonnes intentions. Or, l’enfer en est
pavé, comme l’avait rappelé un président d’association de journalistes dès les
premiers jours de l’affaire.
Ils avaient décidé d’être des Superman. Il
n’existe que dans les films, car dans la réalité, la loi défend les faibles.
Pas toujours et pas toujours bien. Mais l’équilibre permis par la loi défend la
majorité. S’il n’y a pas cet équilibre, c’est la loi de la jungle, la loi du
plus fort, etc. L’arche de Zoé a pensé pouvoir gagner dans la jungle avec la ruse.
Or, au Tchad, ils sont passés pour des lions, au vu de leur puissance financière
et technique. Les lions ont donc été jugés par la loi tchadienne qui a pu
légitimement prétendre défendre les faibles, à savoir les enfants. Le procès
n’a pas jugé parole contre parole, mais intentions contre intentions. Or un
procès doit juger les faits, pas les idées. En cela la justice tchadienne est
condamnable. (Le très bon article de Philippe Bilger me laisse penser que la
justice française pourrait fonctionner de la même manière dans une situation
similaire et être elle aussi à son tour condamnable.)
Il y a donc eu incompréhension mutuelle.
Cette ignorance de ce que font et de ce que visent les uns et les autres ont
monté une mauvaise mayonnaise. Avec deux mensonges pour ingrédients : ceux
des Français, qui ont caché leurs projets d’emmener les enfants hors du Tchad,
et ceux des intermédiaires africains, voulant semble-t-il - moyennant finances
sans doute - aider des familles à placer certains de leurs enfants dans des
lieux où ils mangeraient à leur faim et feraient des études.
Les Tchadiens et plus généralement les
Africains de la région sont donc satisfaits : « la traite négrière,
c’est d’un autre temps », a dit l’avocat tchadien de l’une des parties
civiles après la sentence. Pourquoi cette référence ? Aucun Tchadien ne
pense pourtant que ces enfants étaient voués à un quelconque mauvais traitement
en France. Pourtant ce terme de « traite négrière » a été employé.
Parce qu’il est encore dans les têtes. Par exemple, le groupe de rap "Yeleen", composé d’un
Tchadien et d’un Burkinabé, a évoqué il y a quelques années dans une de ses
chansons d’« esclavage mental », que les Africains porteraient
encore en eux. Il faut écouter ces mots et se laisser interpeller par leur sens
profond. On est alors attentif lors de rencontres, de dialogues, avec des Africains.
Car le terrain est miné... ni par nous, ni par eux. Par l’Histoire. Et cette
histoire est partagée.
Tant que nous ne changerons pas de regard
sur cette histoire partagée, tant que nous ne la réécrirons pas ensemble, il
restera des mines sur le terrain de nos rencontres. Les plus inconscients
d’entre nous, aussi généreux soient-ils, pourront marcher dessus et
sauter !
« On n’a pas les résultats de ses intentions, mais des
moyens mis en œuvre pour y arriver. »
A intention juste et héroïque, à moyens illégaux, tordus et
exagérés, on a obtenu : résultat légal, institutionnel [1]
et exagéré. En aucun cas, nos six compatriotes ne méritaient un seul mois de
travaux forcés. Mais de mon point de vue, notre ignorance et notre arrogance
françaises méritent, elles, bien davantage.
Et si la France rachetait l’amende ?
Et si nous proposions au Tchad le rachat de leur peine d’emprisonnement... à un
montant fixé unilatéralement par le peuple tchadien ?
Toutefois, d’abord, des déclarations de notre part devraient
être faites pour commencer à nouer d’autres relations entre la France et le
Tchad, avec de meilleures intentions de part et d’autre. Car on n’achète pas
l’honneur, et certainement pas celui d’un peuple africain.
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