Quel avenir pour le centre ?
Depuis les municipales, les différents mouvements centristes s’accusent d’avoir plus perdu les uns que les autres. Ils voient dans l’échec de l’autre une justification de leur propre stratégie. Pourtant les uns comme les autres ont autant perdu. Les villes de Blois ou Amiens, par exemple, pour le Nouveau Centre, des élus à Paris, Lyon et Marseille pour le MoDem. Sur l’ensemble de la France et tout particulièrement dans les 90 % de communes de moins de 10 000 habitants qui ne sont pas couvertes par les médias nationaux, de nombreux centristes de toutes chapelles et des indépendants ont été élus. L’UMP en a perdu à la pelle.
Le courant de pensée centriste est aujourd’hui le troisième courant de pensée en France. Dans d’autres pays, cela assurerait au centre une représentation politique importante. Dans un système majoritaire, il faut soit composer une coalition majoritaire comme cela se faisait jusqu’en 2002 (RPR+UDF d’un côté, PS+PC+Verts de l’autre), soit utiliser sa prépondérance et détourner le système majoritaire pour éliminer ses concurrents comme le font l’UMP et le PS depuis 2002 face à leurs alliés respectifs.
La volonté hégémonique de l’UMP et du PS conduit à avoir en France un pouvoir soutenu par une minorité de la population. Un pouvoir impuissant à conduire les réformes faute d’un soutien populaire large. Un Parlement dont sont exclus de représentation 41% des électeurs de la présidentielle de 2007. Cela conduit à un débat public qui se résume à des anathèmes plutôt qu’à des débats constructifs comme sur la question des déficits et des économies budgétaires. La France a besoin d’un centre fort pour contraindre la droite et la gauche à s’écouter à nouveau pour faire avancer le pays.
Dans ce contexte quel est l’avenir du courant de pensée centriste ? S’allier comme l’affirme le Nouveau centre, pour reconduire les coalitions majoritaires du passé ? Ou l’indépendance comme le prône le MoDem pour parvenir au niveau électoral à partir duquel tout bascule et l’on passe du statut de troisième éliminé à celui de second en position de force ?
Le centre a pour vocation de former des coalitions dans l’avenir. C’est l’essence même de son projet de rassemblement au-delà des clivages. Mais, pour former ces coalitions, le centre doit d’abord gagner le respect de ses futurs partenaires. Ce respect ne peut se gagner que par une influence électorale dans les urnes. C’est parce que la vieille garde centriste n’avait plus été à la conquête depuis les législatives de 1978 qu’elle s’est retrouvée en situation de faiblesse face à l’UMP en 2002.
A ce jour, le centre ne peut pas s’allier à une UMP dirigée par des individus qui organisent activement l’extermination politique du centre par toutes sortes de manœuvres : seulement 22 députés Nouveau Centre sur 577 soit 4 % pour représenter les 18 % d’électeurs de Bayrou, appels à voter PS au second tour lorsque le centre est en seconde position, investiture à un maire PS à Pau... Cette extermination politique vise autant les centristes du MoDem comme à Pau, que les centristes du Nouveau Centre comme à Annecy, que les centristes de l’UMP comme à Toulouse ou encore que les centristes indépendants comme à Chamonix. Pour faire des alliances encore faut-il avoir des alliés qui vous respectent et vous écoutent. L’UMP a été une machine à broyer les centristes ambitieux : Méhaignerie et Douste ont d’abord disparu de la circulation, de Robien ensuite... Morin, Santini et Létard bientôt, Cornillet, Arthuis et Mercier vont bientôt échanger leur poids politique pour un maroquin. En politique, on n’a d’influence qu’à proportion des voix que l’on représente. Lorsqu’on n’exprime plus les idées centristes de ses électeurs, on n’a plus d’électeurs et donc plus d’influence.
Le centre ne peut pas non plus s’allier avec un PS qui n’a toujours pas fait sa mue et qui ne sait toujours pas s’il doit améliorer le libéralisme ou le rejeter. Le centre est libéral et social. Il ne peut donc pas s’allier à un PS français qui est le dernier PS européen à rester antilibéral. Le centre ne peut pas non plus s’allier à un Parti socialiste autoritaire qui veut décider seul façon Bertrand Delanoë à Paris. Seul un profond changement du PS à son Congrès de l’automne 2008 pourrait en faire un partenaire possible du centre.
Le centre n’a donc pas d’autres alternatives que de continuer à convaincre pour atteindre le seuil à partir duquel tout bascule. Le problème du scrutin majoritaire lorsqu’il est détourné comme c’est le cas depuis 2002, c’est qu’il élimine le troisième. Mais dès que le troisième devient second alors soudainement c’est la révolution. L’histoire a prouvé que ce qui paraît éternel un jour peut disparaître le lendemain.
Le centre a le choix entre une disparition programmée sous tutelle ou petit à petit de convaincre suffisamment de Français pour atteindre le seuil qui lui permettra d’être second.
Est-ce possible ? Ce travail de reconquête sera très difficile. Le centre devra venir à bout de trois handicaps. En premier lieu, il y a le handicap des moyens financiers et humains. Les subventions publiques du centre sont environ 5 fois inférieures aux moyens financiers à disposition du PS et de l’UMP. Deuxièmement, la prime au sortant rend les conquêtes difficiles. Plus de 8 sortants sur 10 sont réélus aux élections cantonales, législatives et municipales. Entre la longévité des carrières politiques en France et la prime au sortant, le territoire des conquêtes possibles se limite au maximum à 30 % des unités électorales. Troisièmement, le centre est pénalisé par ses multiples divisions.
Mais le centre dispose à l’opposé de trois atouts. En premier lieu, une nouvelle génération de candidats qui élection après élection s’implantent. D’abord une centaine lors des législatives de 2002, puis environ 400 lors des cantonales et régionales de 2004, puis 500 lors des législatives de 2008, et environ 10 000 conseillers municipaux lors de ces municipales. Voilà une armée de candidats en marche qui tranche des tergiversations de la vieille garde centriste. Le centre se trouve en position d’être le premier parti politique qui pourra répondre à l’attente de renouvellement politique de la génération post baby-boom. En second lieu sa capacité de nuisance est très forte. L’UMP avait été créée pour être une machine à gagner les élections. Mais son incapacité à fédérer les électeurs du centre l’a transformé en machine à perdre : perte avec fracas des élections régionales et cantonales de 2004, perte du second tour des législatives de 2007, perte encore des municipales et cantonales de 2008. Il est invraisemblable qu’une majorité de départements soit contrôlés aujourd’hui par le PS alors que le mode de scrutin cantonal lui est très défavorable. L’étendue des pertes de l’UMP est telle que même le Sénat pourrait lui échapper durablement en 2011. On peut se poser la question de savoir si c’est l’UMP ou seulement Sarkozy qui a gagné les présidentielles et le premier tour des législatives de 2007. Le jour où l’UMP voudra enfin gagner, elle devra apprendre à respecter les Français du centre. Entre le PS et l’UMP, la tentation est grande d’isoler le centre pour rester dans un face-à-face confortable. Ils peuvent éliminer des candidats, mais ils ne pourront jamais supprimer un courant de pensée dans la population. Le premier des deux mouvements politiques qui sort de ce duopole, et forme une coalition avec le centre sera dans une position majoritaire durable. Le PS le fera-t-il en premier à l’automne en se transformant en mouvement social-démocrate ? Ou l’UMP voudra-t-elle en premier sortir de la spirale infernale de ses défaites ?
Que peuvent faire les centristes ? Certains se posent des questions philosophiques : exercer le pouvoir au détriment de la défense de ses idées ou défendre ses idées et ne jamais participer au pouvoir ? Le dilemme n’est que d’apparence : à quoi bon exercer le pouvoir si on ne peut y mettre en œuvre ses convictions comme le proposent PS et UMP à ce jour qui ne veulent du centre que comme faire-valoir électoral plutôt que comme partenaire respecté. Hervé Morin ne participe aux décisions qu’à la faible mesure de ses 4 % de parlementaires, c’est-à-dire qu’il exécute plutôt qu’il ne co-décide.
Notre seul choix c’est de continuer de convaincre patiemment un à un les Français. De gagner un peu plus d’électeurs à chaque élection que l’on perd, pour parvenir un jour au point de bascule du système majoritaire. C’est parce que l’UMP et le PS savent que ce point de bascule est à portée des centristes qu’ils s’acharnent à détruire le centre quitte à s’entendre entre eux. C’est aussi parce que ce point de bascule est à notre portée que nous nous acharnerons à convaincre les Français de la justesse de nos convictions. Pour tous les centristes de toutes les obédiences, la seule solution pour faire progresser le centre c’est de convaincre chaque jour quelques Français supplémentaires que la France a besoin à nouveau de son centre pour avancer.
Lors de son congrès de Lyon en janvier 2006, l’UDF avait fait le choix de la liberté. Avec la liberté vient la responsabilité. La responsabilité de défendre ses convictions.
Croire en quelque chose et ne pas le vivre, c’est malhonnête (Gandhi).
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