Rachida Dati et le modèle américain
On sait notre ministre de la Justice empêtrée actuellement dans un problème dans lequel son supérieur hiérarchique l’a plongée. On sait aussi ses maladresses, parmi lesquelles figure sans nul doute une bien trop grande estime de soi, et un parcours qui laisse des zones d’ombre qui déplaisent à un pays à qui on a promis « je ne vous mentirai pas, je ne vous trahirai pas ». Eh bien qu’elle se rassure : elle n’est pas la seule désormais. Aux Etats-Unis, terre d’accueil pour les « Américaines venues d’ailleurs », surtout si elles le sont d’origine, une autre personnalité promise à un grand avenir a elle aussi entamé sérieusement son crédit, au point d’avoir à se retirer bientôt de la scène politique à 56 ans, après avoir fait la une des journaux et des émissions de télévision pendant des années. Jeannine Ferris Pirro, elle s’appelle, et elle aussi avait de l’ambition à revendre.
"Smart, glamorous, and ferociously self-promoting" comme ils disent là-bas, à savoir "plutôt jolie", même pas mal (à 40 ans disons, beaucoup moins maintenant !) pour certains et "se battant furieusement... pour sa propre promotion", en étalant sur son site de campagne ses "capacités", son "expérience" pour "combattre" une foule de dysfonctionnements du pays, qui vont, je cite sa page web de candidate-procureur, "de la fraude médicale aux prédateurs sexuels en passant par les gangs et la drogue, la corruption publique, la fraude à la consommation" et ouf, "les crimes contre... l’environnement". N’en jetez plus la coupe est pleine. On dirait un catalogue... "rachidien", contenu tout entier, lui, dans une déclaration d’intention lue avec peine devant les magistrats il y a quelques semaines. Chez Pirro, ça devient un livre, intitulé pompeusement Punir et protéger. En sous titre : "mon combat contre un système qui surprotège les criminels". Voilà qui sonne très... sarkozien. Le livre décrit un univers sombre, très sombre, d’où émerge un beau chevalier blanc, immaculé. Ou plutôt une Jeanne d’Arc à l’américaine : une Jeanine, plutôt. Qui en profite pour préciser qu’avant elle, il n’y avait que des hommes à ce poste. Exactement comme Rachida.
Notre femme avait jusqu’ici réalisé un beau parcours, aboutissant aujourd’hui à ce qu’on peut déjà appeler une vraie PirroMania en 2005, au point de briguer le poste d’Attorney General de l’Etat de New York en 2006, mission presque atteinte le 7 novembre de l’année, où elle devient la candidate officielle des républicains... pour perdre en beauté devant le démocrate Andrew Cuomo. Ce n’était pas faute d’être apparue à la télévision : Pirro avait trouvé comme astuce d’être la spécialiste juridique chez FoxNews, un moyen très efficace d’être présente dans la petite lucarne pour un oui ou pour un non. Parlant chaque soir ou presque de tout et de n’importe qui. “This sentence is very appropriate. It’s within the legal guidelines”, dit-elle quand on tente de mettre Paris Hilton à l’ombre pour quelques jours. Elle ne prend alors aucun risque, une forte majorité d’Américains est d’accord pour embastiller l’écervelée la plus célèbre du monde ! Etre avant tout dans le sens du poil de l’électorat, le secret de la réussite des arrivistes en politique.
Fille issue d’une famille d’origine libanaise, Pirro avait comme père un vendeur de caravanes et comme mère un modèle de prêt à porter. La famille middle class, quoi. Dès 15 ans, Jeanine force l’admiration de son entourage en déclarant vouloir devenir juge, tout le monde étant sidéré par sa ténacité et ses convictions. A la Rachida, en quelque sorte. Mariée en 1975 (à 24 ans donc) à un homme, un avocat d’affaires devenu milliardaire lié à Donald Trump, plutôt instable, menant une vie plutôt légère qui aboutira à une première maîtresse, puis un seconde, avec laquelle il aura un enfant, qu’il sera bien obligé de reconnaître en 98, avec test ADN à l’appui. Une vie maritale fantomatique, donc, passée à la trappe du service de communication de Jeanine Ferris Pirro, tout dévolu à louer sa belle carrière "sans accrocs" : assistante tout d’abord d’un juge en 78 (à 27 ans), juge elle-même en 89 - la première femme à accéder à ce poste - et District Attorney (l’équivalent du procureur français) en 93, encore une fois une première pour une femme. Etranges similitudes encore. C’est alors qu’elle choisit d’apparaître à la télévision dans des émissions célèbres telles que le Larry King Live ou Nightline. Soignant son look dans le détail (chirurgicalement ?), elle parvient même à se faire élire parmi les "50 plus belles personnes en 1997". Elle la joue "people", et plutôt à fond, hantant dès lors dîners et conférences, réceptions ou cocktails. Des réceptions gargantuesques dans sa villa de 1,7 million de dollars, à 40 000 dollars d’équipement de protection électronique, ou elle apparaît parfois de façon... surprenante et provocatrice : "Jeanine is there in this Miss Kitty bustier and black fishnet stockings and high heels dancing the Macarena", note un observateur, qui lui fait remarquer que ce n’est pas le bon moyen pour devenir gouverneur, son ambition à la cinquantaine, à qui elle répond du tac au tac "qui ça regarde ?" Déjà bien sûre d’elle, bien trop sûre. La maison Pirro étale toujours une jolie façade, mais l’intérieur est moins ragoûtant. La politique la tente bien une première fois en 1986, un peu trop tôt, c’est le bide complet. Elle tente alors en 2006 de se faire élire sénateur de l’Etat de New York. Mais mal soutenue par son propre parti, elle doit jeter l’éponge avant la fin même de l’élection. Il faut dire qu’elle émaille sa campagne de superbes gaffes, comme celle d’avoir oublié la dixième page d’un discours et de rester totalement muette pendant plus de 30 secondes, juste après avoir proncé le nom de sa rivale... Elle y gagnera le ridicule et un surnom : Jeanine Speechless (toutes les vidéos du net la montrant ont disparu depuis, ou presque, à la Balkany !). Ou la plus belle, le jour où elle affirme que sa campagne électorale va jusqu’aux frontières avec l’Ohio... l’état de New York n’en ayant aucune avec. Le lendemain, elle trouve sur son bureau la carte de l’état de New York, envoyée par son facétieux concurrent démocrate, hilare. A mi-chemin donc entre Roselyne Bachelot (les gaffes) et Rachida Dati (le look, le goût du luxe, des cocktails mondains et une ambition démesurée). Parfois, elle va plus loin encore : en 1996, un individu Richard Sacchi Jr, tue un policier, s’enfuit et et se réfugie chez sa propre grand-mère qu’il menace de tuer. Elle intervient en direct en consultante TV en annonçant que pour elle, l’homme "mérite la peine de mort". Alors que les policiers sur place tentent toujours de négocier avec lui. On retrouvera la grand-mère assassinée et l’homme suicidé. Pour le bonheur pourrait-on dire de Jeanine, qu’on aurait pu alors accuser d’incitation au meurtre. Mais ce qui la plombe le plus, en fait, c’est un comportement général, celui d’une arriviste prête à tout pour réussir, aimant vivre dans le luxe en se présentant tous les soirs à la télévision comme le défenseur des pauvres et des opprimés. Car des handicaps, elle en a, pourtant. Et de sérieux.
D’abord son mari, oublié des médias grâce à l’agence de communication de sa femme, un vrai boulet électoral : accusé en 2000 d’avoir oublié de déclarer 1 milion de dolllars de revenus, les juges se faisant un malin plaisir de lui rappeler une facture "oubliée" de 123 000 dollars pour l’achat... d’une Ferrari (elle-même roulant alors en Mercedes gros modèle, sa mère possédant la seconde). Il écopera de 11 mois de prison et sera même rayé du barreau en 2004. Pour s’en défendre, Pirro tentera bien d’expliquer à la presse, le jour de la révélation du scandale, que "chez elle, elle n’était pas au courant". Selon elle, en effet, leur mode de vie matrimonial ("on ne se parlait plus à table") l’empêchait de connaître les arcanes des affaires de son propre mari. C’est comme ça aussi sans doute, par le tribunal, qu’elle apprendra aussi que celui-ci, mis sur écoute par le FBI sera pris en flagrant délit de tentative de corruption d’avec un gangster connu, et pas des moindres : Gregory DePalma ! Un mariage qui, extérieurement pourtant, garde toutes les apparences. Comme quoi de vivre maritalement ou en concubinage avec un milliardaire, ça ne favorise pas toujours l’ascenceur social. Autre coïncidence encore avec le pouvoir et les médias actuels, en France ?
Ensuite, elle-même, passablement autoritaire, faisant fort peu de cas des gens qui collaborent avec elle (encore un parallèle ?) et surtout... aussi corrompue que son mari. A un point exceptionnel, puisqu’en qualité de procureur, elle fera envoyer à ce mari volage deux agents pour l’aider à discréditer la mère de son enfant illégitime (âgée de 17 ans aujourd’hui), afin qu’il ne doive pas payer la pension alimentaire de la gamine. Faut oser ! En ce qui concerne toujours son mari, elle jouera sur les deux tableaux, demandant à un personnage célèbre et trouble de l’univers Bushien, Bernard Kerik de suivre ce mari adultère pour le prendre en flagrant délit (sur son bateau, sur lequel il apposera une balise GPS). Kerik est un ancien repris de justice devenu commissaire de New York (?) et brièvement directeur du Homeland Security (disons ministre de l’Intérieur pour simplifier), avant d’aller entraîner la police irakienne (?). Un superbe cas d’espèce, dira-t-on. Pas pire, remarquez que le sulfureux Charles Pasqua en France ! Aujourd’hui, Kerik plombe sévèrement la candidature de Rudolf Gulliani : sur ABC, on présente ainsi l’individu "un bon nombre de candidats ont des squelettes dans les placards, Gulliani en a un, mais il est vivant". S’il perd l’élection il saura au moins à cause de qui. Ensuite, Kerik, en fuite, s’est rendu aux autorités le 9 novembre de cette année, il risque gros pour avoir accepté de faire refaire sa maison avec l’argent des contribuables new-yorkais (et par un société mafieuse !). Plomber Gulliani, mais aussi déstabiliser et décridibiliser Pirro, présentée comme une madame propre de la justice américaine.
Politiquement, sans surprise, elle est de droite. Ces derniers temps, elle avait même pris MySpace en grippe, l’accusant de servir de relais à la pédophilie. Une droite pourtant décomplexée, qui est partisane de l’homosexualité et de l’avortement (avec des restrictions), ce qui en fait un vrai OVNI au parti républicain. Un parti qui s’appuie sur ses succès en ce qui concerne le lutte contre la violence ou la protection de l’enfance, ou les droits des femmes battues, un de ses dadas de campagne. Une droite qui reste aussi conservatrice sur un sujet fondamental aux Etats-Unis, et bien dans ses bottes, car Pirro est évidemment favorable à la peine de mort. Quitte parfois à commettre l’irréparable, auquel va échapper de peu un de ses administrés. En 1989, elle envoie en prison à vie un jeune étudiant de 16 ans ; Jeffrey Deskovic, coupable selon l’accusation du meurtre par étranglement et du viol de son amie de classe, malgré ses dénégations répétées. Deskovic est barbu et... musulman. Il est arrivé en retard le lendemain à l’école, ça suffit pour en faire un coupable idéal. Il subit 9 heures d’interrogatoire, où on le retrouve recroquevillé sous une table, traumatisé. On a bien fait une prise de son ADN, qui révèle qu’il n’est pas le violeur. Mais un jury populaire le déclare en 1991 quand même meutrier. Seize ans après les faits, en pleine campagne pour son poste de Sénateur, Pirro, le procureur qui l’a envoyé en prison se fait violemment tacler par des activistes du mouvement Innocence Project, qui ont refait analyser le sperme prélévé sur la victime et l’ont comparé au fichier fédéral, ce que visiblement Pirro n’avait pas pris la peine de faire. Il nomme directement Steven Cunningham, alors en prison pour le meurtre de la sœur de sa propre petite amie, un Cunningham qui avoue aussitôt le crime ! Jeskovic avait demandé à plusieurs reprises à être reçu par Pirro. il n’avait pas les moyens de se payer un avocat. “She knew I had no money for a lawyer,”raconte-t-il à sa sortie de prison “So, in other words, what she was telling me was : ‘I’ve got no time for you. It’s over. That’s shut. That’s it.’ "Je n’ai pas de temps à vous consacrer, le dossier est clos", lui avait-elle répondu du haut de son dédain : 16 ans à croupir innocent, pendant que la responsable de son procès faisait la fête chaque semaine dans sa luxueuse villa. Le jour de sa libération, Pirro n’est pas là non plus : elle fait une conférence le matin sur la peine de mort... et passe l’après midi à l’ONU pour marquer son soutien à Israël. Ce n’est pas la première fois qu’elle l’affiche aussi ouvertement. Sur son site de campagne, on la voit en photo devant un half-track du Golan, vestige de la guerre des 6 jours. Cela s’appelle entretenir un électorat, ou un lobby, très puissant à New York davantage que de réelles convictions (elle est catholique pratiquante).
Dernièrement, un dernier scandale semble définitivement sceller son irrésistible ascension. Certains y voient d’ailleurs une profonde légèreté, ou une irresponsabilité totale. Pour une magistrate, ça la fiche mal. Non contente d’être procureur, en effet, elle avait aussi une petite boutique de fabrication de bijoux, "JP Styles Inc"., où elle était dit-elle... seule fabricante, à laisser croire qu’il ’s’agissait d’un hobby du soir après le travail "avec seulement du fil et des aiguilles", raille la presse. Le hic, c’est que les impôts ont trouvé que les bijoux rapportaient, en centaines de dollars chacun, et qu’il y en avait pas mal, non déclarés bien entendu. Pour parfaire le tout, Pirro déclare candidement aux autorités que les bénéfices de la vente de ses bijoux devaient aller à une association caritative, My Sisters’ Place, une maison d’accueil pour femmes battues (toujours le côté sentimental, invariable chez cette prétentieuse née). L’association, jointe, cite bien un seul don de 1 475 dollars en 2003 (déductibles d’impôts !), mais c’est tout. Une misère, pour Pirro la millionnaire.
Trop gourmande, Pirro aura tout simplement été trop gourmande. Reine de la nuit et des dîners en ville autrefois, faisant du vélo le jour, et même un bisou au mari (?) volage le soir, pour préserver la façade, présente partout dans les médias, mais aujourd’hui sur le déclin. A tous les niveaux. Même au point de vue chirurgie esthétique, elle a voulu trop en faire. Voilà comment la décrit un blogger, en 2007, après une visite chez Neiman Marcus (un designer en mode et bijoux, qu’elle avait joint pour distribuer les siens) : "Up close and personal, Pirro is about as taut and surgeried up as one person can be. In fact she is pretty terrifying". Vouloir trop en faire et en vouloir trop en même temps... ça vous détruit votre homme. En l’occurence ici, une femme qui a rêvé éveillée un peu trop longtemps semble-t-il. Plus dure sera donc sa chute, désormais en cours, et inéluctable. La chute de la maison Pirro est programmée, et rien ne l’arrêtera plus. Les médias américains démonteront l’icône médiatique plus vite qu’ils ne l’ont construite, soyons-en sûr.
Son successeur dans son comté de Westchester, une autre femme, Janet DiFiore, le 8 janvier 2006, n’a pas eu un seul mot pour elle. Logique, c’est elle qui a dû s’excuser et non Pirro lors de la découverte de l’innocence de Deskovic. "Janet DiFiore acted quickly when we asked for DNA testing to get a database hit," dira plus tard le responsable d’Innocence Project. De la part de Pirro, pas un seul mot d’excuses ni de contrition. Encore une adepte de la non-repentance, sans doute. Similitude toujours. Elle avait toujours bloqué les demandes de réouverture d’enquête, en fait, restant droite campée sur sa conviction seule, chose que son successeur n’a pas voulu faire. Certains de ses employés avaient la gorge serrée pourtant, regrettant l’énergie de la précédente... et en oubliant déjà ses déboires actuels. Et en rappelant que Pirro avait proposé de maintenir en détention les accusés les plus violents en matière d’agression sexuelle, même après leur condamnation, une proposition qui fait étrangement écho à celle proposée récemment par un président français. L’intéressée se drapant à nouveau dans un élan émotionnel "j’ai toujours voulu protéger les innocents" à faire pleurer dans les chaumières. Quitte à prendre quelques largesses avec l’éthique et vivre dans un luxe ostentatoire ? Un engagement pris, selon elle, le jour où un gamin de 9 ans est venu témoigner devant elle, racontant le meutre qu’il avait vécu. Encore du pathos, pourrait-on ajouter. La mode actuelle comme méthode de travail. Elle en avait conclu "qu’ on en faisait pas encore assez pour les victimes", là encore un drôle d’écho en ce qu’on peut entendre depuis quelque temps dans la bouche de Rachida Dati et de Nicolas Sarkozy, tous deux déjà tout acquis à cette cause facile et électoraliste (cf. l’affaire Dupuy). Aujourd’hui, Pirro a perdu son poste, n’a pas été réélue dans son district, s’apprête à enterrer définitivement sa carrière politique, après pourtant avoir rêvé un temps au plus haut poste dans le pays (et tenter même de combattre à New York la coriace Hillary Clinton).
Notre président, qui prend si souvent l’Amérique en modèle, devrait donc se méfier. Dans ce pays, il y a aussi des exemples à ne pas suivre. Le prototype Pirro n’a pas a être importé, et encore moins à être copié. Son échec final démontre avec brio les limites de l’usage inconsidéré de la démagogie en politique. Souhaitons à Rachida Dati que ce soit l’échec de Jeanine Pirro qui lui serve d’exemple, et non son irrésistible ascension.
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