Retour sur « le Safari MoDem »

Quatre jours. Embedded et en colo. Quatre jours pour peser, mesurer, écouter, analyser ce qui se joue "au centre" de notre vie politique.
Quelle est la stratégie de ce centre qui en coeur chante "ne m’appelez plus jamais centre" ? Comme dans la chanson de Sardou, "le centre il m’a laissé tombé" reprend en sourdine Bayrou, dégainant sur Morin en mode "on" et négociant avec ses vendeurs de tapis partis à l’ennemi en mode "off".
Lui a passé l’été à regarder au loin. A porter son regard sur 2012, mais pas seulement. Sur ce qui compose et composera l’échiquier politique européen et... américain.
Car vous l’aurez ou non relevé, mais le langage de l’intuitif et sempiternel patron du MoDem a changé. Ne plus se positionner par rapport à la gauche et la droite : "nous sommes Les Démocrates", clame-t-il. laissant entendre que d’autres ne le seraient pas. Laissant apparaître cette proximité avec une gauche moderne. Outre-Atlantique, l’opposition aux républicains est démocrate. "Il y a un grand courant démocrate en formation dans le monde. Et le monde a besoin de ce courant", analyse-t-il. Selon lui en Chine "les démocrates" sont même des "résistants". Un mot dont il use - voir dont il abuse. "Nous ne sommes pas en guerre, ni en guérilla", haranguait-il pourtant dimanche à la tribune, comptant et faisant applaudir ses troupes : les quelques députés, sénateurs, députés européens, maires, mais aussi et surtout ses 500 candidats aux législatives (dont près de 75 n’ont pas passé le cap des 5 %) et ceux à venir. Il veut être "l’Opposition". Celle qui se pare d’une majuscule. Une opposition constructive, neuve, "décomplexée", a-t-on envie de lui souffler. Quand à "la rupture", il la renvoie dans la face de ce "meilleur ennemie de trente ans" qui en a fait sa marque de fabrique. Pour lui, la vraie rupture est celle, en cours, avec les valeurs de la France. Humaniste. Sociale. Rebelle. Une France "non alignée".

Quelle lecture du monde propose le Béarnais ? Arrêtons-nous sur cet extrait de son discours de clôture : "(...) La question est celle-ci : soumission ou résistance au modèle dominant dans le monde ? Il y a un modèle dominant, extraordinairement efficace, extraordinairement puissant, extraordinairement performant, comme on dit, si du moins on considère que la performance se mesure uniquement à la puissance. Ce modèle dominant, contrairement à ce qu’on dit en France, on ne doit pas le qualifier de « libéral ». Du libéral, de la liberté, il en faut et je ne crois pas que l’on puisse construire un projet de société humaniste qui ne prendrait pas en compte les principes qu’ont exprimé les grands penseurs libéraux. La liberté, c’est le premier des droits de l’homme, et comme vous le savez, l’habeas corpus l’a dit pour l’ensemble de l’Europe. Et la liberté, c’est la condition d’une économie en bonne santé et d’une société en bonne santé. Ce modèle, c’est le modèle « inégalitaire », et même le modèle super-inégalitaire, que j’ai appelé récemment dans la revue Commentaire le modèle d’inégalité croissante. Le modèle où les inégalités s’accumulent, au travers des générations. Des fortunes très vite faites, notamment dans l’univers financier, et par la suppression des droits de succession, l’accumulation de patrimoine, l’accumulation du capital, qui se poursuit sur plusieurs générations, faisant de l’inégalité croissante le principe même de ce modèle. Une étude parue cette semaine montre que l’augmentation du niveau de vie des Etats-Unis ces dernières années a profité, entièrement, aux 5 % les plus riches de la population américaine, et pour la moitié au 1 % les plus riches. Les 95 % autres, ceux qui travaillent, ceux qui triment, et qui travaillent beaucoup, et qui travaillent plus que nous, pour créer une croissance de l’ordre de 4 % par an, ceux-là ont stagné ou reculé ! Et cela est rendu possible, évidemment, par la pression continue que crée sur le marché du travail une immigration très importante, de l’ordre de 1,5 million/2 millions de personnes par an, bien contents d’échapper à leur misère - et comment le leur reprocherait-on ? - et dont la présence toujours plus nombreuse explique que le prix du travail non qualifié baisse constamment. C’est une société inégalitaire, et ce n’est pas l’aspiration de la société française. Je veux être parfaitement objectif : cela a été pensé, non pas voulu, mais pensé : l’inégalité croissante comme moteur des sociétés - et c’est un moteur bigrement puissant - l’accumulation continue de capital au profit de quelques-uns ; la prééminence de l’univers financier, obsédante, qui fait que ce qui défile constamment au bas des écrans des chaînes d’information, inlassablement, ce sont les cours de la bourse ; l’influence incroyable de cet univers sur la politique américaine, puisque ce sont ceux-là, les mêmes, qui paient les campagnes des deux camps, tout cela c’est un modèle de société, et ce n’est pas le nôtre. Je croyais, je crois, je croirai toujours que face à ce modèle dominant, quand bien même tout le monde plierait, il y aurait toujours dans le monde une résistance, et que cette résistance, c’est celle de la France ! Inégalité comme principe, ou égalité comme recherche, ceci définit deux projets de société. Égalité ne se résume pas à égalitarisme. La recherche de l’égalité réelle, de droits et de devoirs, a besoin d’être redéfinie, elle ne l’a pas été depuis longtemps. Et si j’ai eu depuis si longtemps une confrontation avec Nicolas Sarkozy, une confrontation politique, une confrontation sur le fond, c’est sur ce modèle de société (...)"
Car voilà bien son message face à une gauche qu’il juge "archaïque" et une droite "néobonapartiste, populiste et conservatrice" : "nous sommes les défenseurs du pluralisme, de la diversité, de la compréhension et du rassemblement". Comprenez : nous sommes justes. Et modernes. "Une internationale démocrate se formera", chante ce crypto-révolutionnaire, qui en 68 pointait son nez sur un plateau du Larzac devenu centre d’un monde. Et de toutes les utopies.
"Les signes multipliés au monde de l’argent, au CAC 40, aux milliardaires, à l’univers du Fouquet’s, la « pipolisation » de la société, les vedettes éphémères, la vedettarisation de la politique, la jubilation des hot-dogs avec Bush père, Bush mère, Bush couple, - et que j’ai aimé ce jour-là que Cécilia Sarkozy ait une angine blanche ! - et qu’aussitôt rentré on se précipite, toutes affaires cessantes, pour envoyer le ministre des Affaires étrangères en Irak, pour y dire tout haut ce que l’administration américaine pense tout bas, et que le ministre de la Défense vienne et explique sans précaution, sans introduction, que, toutes affaires cessantes, il faut cesser de « chipoter » et qu’il faut dare-dare rentrer dans l’Otan, tout cela - chacun des gestes, pris individuellement, pourrait être maladresse, hâte de novice, geste improvisé - eh bien tout cela fait un système, et ce système, je le crois, ce n’est pas le choix fondamental, historique, des valeurs de la France."

L’antisystème Bayrou, celui qui prône une nouvelle séparation des pouvoirs, pour les médias, croit en son mouvement. A un élan plus grand que lui. Lui qui a pourtant déjà une si haute idée de lui-même. Lui qui jusque-là avait le plus grand mal à reconnaître erreurs et torts. Prenons un cas d’école. Lors de la campagne présidentielle, nous avons été pléthore à lui souffler de créer un nouveau parti, de rassemblement, car "les Français ne veulent pas voter et ne voteront pas UDF". Il a joué la sourde oreille. Samedi pourtant, "off", il me le confiait : "oui, a posteriori c’était une erreur de ne pas l’avoir fait plus tôt". Lui arracher les mots. Dépasser la langue de bois. Et se demander alors : que fera-t-il de ces 45 000 adhérents dont tant sont venus "pour voir" ? Ne pas se contenter (soufflez-le lui) de jouer les attachés de presse d’une ambition - la sienne - et sortir de l’incantation. Proposer. Construire. Renaître peut-être même. Voilà ce que doit et peut - sans doute - faire le MoDem. Mais en aura-t-il le projet et les moyens ?
En interne, le "bordel" est partout. Du temps de l’ancienne (et toujours bien là) UDF, c’était déjà le "grand n’importe quoi" avouent les vieux de la vieille. "Untel n’avait pas tel ou tel outil pour sa campagne ? C’était la photocopieuse qui était en panne. Et il fallait faire avec les bouts de ficelles disponibles". C’était "avant" ? L’affirmative rassurerait. Il n’en est rien. L’ouverture sarkozyste va se poursuivre dans les jours à venir et les commissions encore se multiplier. Confidence partagée, cela ne sera pas sans dégât sur les troupes dirigeantes du minitel centriste (on en reparle ici dans quelques jours). Bariani, de son côté, joue une étrange partition ; Marielle, elle, demeure ultra (et trop) présente, voir foncièrement dirigiste et Cavada semble quant à lui jouer sa carte, celle de la présidence du nouveau parti, jouant de sa popularité et de son cursus atypique - n’en déplaise à celui qui se voyait déjà en haut de l’affiche, situation qu’un certain François défend, bâton de pèlerin à la main, depuis plus de dix ans. Cap21, enfin, sera-t-il dissout ? Rien n’est moins sûr. Et les "Modemistes" de parler du risque de voir naître des courants Cap21, Verts, UDF canal historique ou encore confédérationistes.
Ce qui les lie ? Une forme d’insoumission rageuse, face au "modèle où l’on vénère l’argent, non pas l’économie, non pas la création, non pas l’entreprise, mais où l’on propose l’argent comme valeur. Bayrou développait hier cette vue : "La ministre de l’Economie l’a dit, naïvement peut-être, sans nuances. Elle a dit : le but du gouvernement, c’est de « réhabiliter l’argent, corollaire du succès. ». Je pensais qu’il y avait bien des choses à réhabiliter en France : l’effort, l’esprit critique, l’idée de justice, l’esprit démocratique, la séparation des pouvoirs, le respect des citoyens, l’amour de la liberté, mais j’avoue qu’il ne m’était pas venu à l’esprit que le but d’un gouvernement de mon pays pût être de réhabiliter l’argent. J’avais même l’impression qu’il se réhabilite bien tout seul, dans la société où nous vivons !" Applaudissements nourris.
Car voilà bien le souhait des fondateurs de ce nouveau parti : être une machine de guerre en phase avec la société et ses espérances. Etre audacieux, ou ne pas être. Et risquer de sombrer dans la guerre des chefaillons et la course aux maroquins.

"Pour la première fois", disait hier Bayrou, "le déficit et la dette qui nous plombent et nous plomberont dans les décennies qui viennent, étaient devenus un sujet politique et une préoccupation pour les Français. Pour la première fois, notre peuple avait pris conscience qu’il y avait dans cette facilité un handicap et une injustice. Et il était prêt à l’effort". Mais le débat a cessé, dès le soir du sacre du président rédacteur en chef de la République. Et avec ce débat, s’est tu un peu de cet esprit critique qui fait la beauté d’un pays de grognons. Voilà le premier combat que devra livrer cette force politique nouvelle : réveiller quelques consciences. Libérer la parole. Sa parole déjà. Hausser le ton. Le niveau du débat. Et pour cela tourner la page de ses propres difficultés (financières, organisationnelles, statutaires et de leadership). Le contexte économique de cette rentrée semble vouloir l’y aider...
"Proposons aux Français une conception nouvelle de la vie politique municipale, où l’on peut rassembler des gens de conviction différente pour aider les problèmes de la vie de tous les jours. Ce sera une condition sine qua non à notre participation aux coalitions ou majorités de rassemblement, nécessaires pour que les villes soient gouvernées. Notre critère sera : nos partenaires seront ceux d’un bord ou de l’autre, nous n’avons pas d’ennemis dans le champ démocratique français, en tout cas nous imposerons comme article premier des majorités ouvertes et rassembleuses, et pas sectaires ou avec des oeillères", précisait-il hier, le souffle court, aux premiers d’entre eux qu’il enverra à la mine municipale. Les "deux mille" battent des mains. Salle acquise ? Presque... Reste ce goût d’inachevé.
Il fallait ce dernier discours et ces quelques lignes pour ne pas conclure à une "vaste fumisterie on the beach" chuchote l’un. In extremis, "Monsieur presque 19 %" a rattrapé au vol un sentiment diffus, celui d’être "parfois pris pour des poissons rouges", me dira un militant. Râleurs, l’esprit critique en verve, le plus souvent jusque-là apolitiques, ceux-là reviendront bronzés et pour une grande parti d’entre eux rassurés par ce premier "Forum des Démocrates". "Tout reste à faire, mais l’envie est intacte", crachera un cadre du parti naissant. Dans l’entrebâillement d’une porte, un autre marmonne que "les deux mois à venir seront tout sauf une sinécure, ce que l’on verra dès les prochains jours"... Ambiance.
Le rassemblement prôné à l’extérieur devra se faire à l’intérieur. Sans quoi le bocal MoDem accoucherait d’une grenouille.
Une grenouille qui voulait se faire plus grosse que l’âne et le boeuf réunis.

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