Saint-Barthélemy tourne le dos à l’Europe
Le 8 octobre, les élus de Saint-Barthélemy ont émis le souhait de passer du statut de région ultrapériphérique (RUP) de l’Europe au statut de pays et territoire d’Outre-Mer (PTOM). Au conseil interministériel de l’Outre-Mer du 6 novembre, cette demande devrait être examinée, et très probablement adoptée, vu que le gouvernement a pour vocation de relayer la volonté des populations locales, dans leur choix d’un statut “à la carte”. Il ne restera plus ensuite qu’à la faire adopter à l’unanimité lors d’un conseil européen après la mise en place des institutions de Lisbonne. Le seul hic, justement, c’est que la population locale n’a pas été consultée.
Une élue s’est abstenue pour cette raison que la population n’avait pas été consultée ni même impliquée dans cette démarche. J’ai voté contre, pour cette même raison et pour signifier qu’il n’y avait pas nécessité et a fortiori aucune urgence à passer en PTOM.
En 2003, 95% de la population a voté pour le détachement de Saint-Barthélemy de la Guadeloupe et son passage en Collectivité d’Outre-Mer (COM). Mais la population ne s’est pas prononcée pour la sortie ou non de l’Europe, qui n’est aucunement lié au choix de passer en COM. St-Martin en est la preuve : ayant eu la même évolution institutionnelle en COM, elle fera très probablement le choix de rester RUP.
En 2007, lors des élections pour le premier conseil territorial de l’île, l’Europe a été la grande absente des débats : les élus d’aujourd’hui n’ont donc pas été mandatés pour sortir ou non de l’Europe. En 2008, une présentation publique sur l’Europe, par des experts venus de Guadeloupe, a eu lieu. Mais est-ce suffisant pour se forger une opinion ?
On aurait dû consulter la population afin d’avoir la légitimité suffisante pour appuyer une telle demande. Au lieu de cela, on se retrouve avec une demande adoptée par 17 élus, après un débat d’une heure et un document d’aide à la décision de... 2 pages !
Sortir de l’Europe n’apportera rien à Saint-Barthélemy
L’Europe n’est pas qu’un marché unique, qu’une monnaie unique, qu’une politique agricole commune : c’est la réalisation d’une utopie, un modèle de démocratie sociale, un moyen d’améliorer la qualité de vie des européens, une place de choix sur la scène internationale.
Saint-Barthélemy a la chance de faire partie de cette Union Européenne. En sortir, c’est renier un peu ces valeurs européennes.
Sur le plan institutionnel, les RUP sont mieux organisées pour défendre leurs intérêts et laissent la possibilité de demander des modifications et dérogations au droit commun. En devenant PTOM, Saint-Barthélemy se priverait de ce poids institutionnel. Elle serait aussi la première collectivité et sans doute la seule à faire la démarche dans le sens RUP vers PTOM.
Economiquement parlant, le changement de statut ne modifiera rien ou si peu : les aides européennes seront inexistantes dans l’un et l’autre statut.
Reste la question des carburants, qui consiste à déroger aux normes européennes sur la qualité des carburants de façon à pouvoir s’approvisionner sur les marchés régionaux que sont le Vénézuela ou Trinidad et Tobago. Cette essence est meilleur marché (0,20€ par litre) mais de moins bonne qualité (3% de benzène au lieu de 1%)
Cette question des carburants, qui depuis plusieurs mois sert de seule justification à la nécessité de changer de statut, n’a plus lieu d’être. En restant RUP, Saint-Barthélemy peut en effet demander une dérogation aux normes européennes, comme vient de le faire la Guyane, dont la demande est soutenue en ce moment auprès de la Commission Européenne par la secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer.
Dans les domaines de compétence législative de la COM*, on ne bénéficiera plus de la réglementation européenne, protectrice, notamment en matière d’environnement, de santé, de droit des consommateurs. Nul ne sait non plus quelles seront toutes les implications du choix de passer en PTOM, par exemple dans le domaine du droit du travail des étrangers, y compris des européens.
Les élus de Saint-Barthélemy bénéficient d’ores et déjà avec la COM d’une grande liberté d’action qu’ils n’exploitent pas suffisamment : les codes de l’urbanisme et de l’environnement par exemple, sont des copies quasi-conformes des codes nationaux. A quoi bon alors demander encore plus de liberté de gestion ?
La décision de sortie de l’Europe me paraît prématurée. Je préfèrerais qu’on continue d’abord la mise en place de la collectivité (adoption de la convention fiscale et de la carte d’urbanisme), qu’on regarde comment évolue l’Europe dans ses nouvelles institutions, qu’on utilise tous les leviers possibles des RUP, et surtout qu’on engage un débat de fonds avec la population.
Benoit Chauvin
Elu au conseil territorial de Saint-Barthélemy
* Saint-Barthélemy dispose de la capacité à légiférer dans un certain nombre de domaines tels que le tourisme, l’urbanisme, la fiscalité, l’environnement, les transports, l’énergie.
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