Sarkozy entre fraternité et perpétuité
Après Blum et Jaurès, Sarkozy a emprunté à Rimbaud, Baudelaire, Jean-Paul II et Martin Luther King quelques élans lyriques pour satisfaire les hormones très à l’ouvrage des jeunes pousses de l’UMP, hier au Zénith. Loin de Rio.

"Je vous demande de faire le rêve que le peuple français tout entier se lève pour que la fraternité ne soit plus seulement un mot gravé sur le fronton des mairies, mais devienne une réalité entre les hommes et les femmes de notre pays"(...) "Je rêve qu’un jour tous les enfants dont les familles sont françaises depuis des générations, tous les enfants de rapatriés et de harkis, tous les enfants d’immigrés, tous les petits-enfants d’Italiens, de Polonais et de Républicains espagnols, tous les enfants catholiques, protestants, juifs, musulmans puissent s’asseoir ensemble à la table de la fraternité française" (...) "Je rêve que vous viviez dans une France où personne ne soit jugé à la couleur de sa peau, à sa religion ou à l’adresse de son quartier, mais bien sur la nature de son caractère"(...) "Je rêve que tous les enfants de tous les quartiers, de toutes les couleurs, de toutes les religions qui habitent ce pays qui est le leur puissent partager la même fierté d’être français, les mêmes rêves, les mêmes ambitions, qu’ils aient le sentiment de vivre dans le même pays, avec les mêmes chances, et avec les mêmes droits. Voilà mon rêve pour la France du XXIe siècle".
Le retour du froid était pourtant annoncé, mais hier, au Zénith, à Paris, on transpirait d’émotion, davantage encore qu’à un concert de Patrick Bruel. Il fallait entendre cette cohorte de jeunes gens en tee-shirt et pancartes, vociférants, hurlants, tout en hystéritude délirante face au grand petit chef, sur son estrade, gonflé à bloc, le verbe fort et l’accent lyrique ou le contraire. On était soudain très loin du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale piqué à Le Pen et qui a fâché toute rouge Simone, soutien récent du néo-baudelairien (« Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage... ») candidat de l’UMP. On était soudain loin de ces satanés sondages qui le placent toujours en tête, certes, mais qui le voient chatouillé par le Béarnais de l’UDF. On était loin de toute racaille, de toute voyoucratie, de toute « bande organisée ». C’était la jeunesse UMP en ordre de marche, braillarde et motivée, prête même à supporter Faudel, sans broncher.
« N’ayez pas peur », tel était le leitmotiv de Sarkozy, emprunté au Pape Jean-Paul II. N’ayez pas peur, oui, on le transmettra au Brésil à Cesare Battisti, qui pendant ce temps-là, tandis que Nicolas laissait venir à lui ses petits enfants de troupe, se trouvait fort dépourvu, capturé et brutalement rattrapé par un sombre passé auquel jusqu’à présent, et notamment grâce à Mitterrand, il avait réussi à échapper. N’ayez pas peur, monsieur Battisti, ce n’est qu’un « ténébreux orage » qui vous passe au-dessus de la tête et qui pourrait durer une petite perpétuité, guère plus. Sarkozy n’aime pas les hommes en fuite. Il avait arrêté Colonna, assassin présumé du préfet Erignac, et il aura arrêté Battisti, reconnu coupable de meurtres par la justice italienne, condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité. Son ordre juste à lui, c’est cela : on ne se moque pas des lois, de la justice, on ne le brave pas. Qui essaie le paie. Et avant de quitter Beauvau, Sarko voulait manifestement effacer le dossier Battisti. Il aime les démonstrations de force, Sarkozy, il aime démontrer qu’il a des moyens, qu’il en use, et qu’il se montre intraitable. Que quelques intellectuels de gauche (ou ce qu’il en reste) trouvent cela « scandaleux », il n’en a cure, et répondra à l’envi qu’après tout, cette affaire « concerne la justice italienne ». Sur ce point -là, il n’a pas tout à fait tort.
« Si je suis élu président, je combattrai le communautarisme, parce que c’est la négation de la République ; je le combattrai en défendant la promotion d’une culture commune, celle de la France et de son identité, ses valeurs, ses convictions. » Toujours le double discours, la carotte et le bâton, le code pénal et le gourdin. Son ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale effraie ? Il martèle qu’il n’est aucunement raciste, que son « rêve » le plus cher c’est que tout le monde arrive à vivre ensemble dans la paix, la joie et l’harmonie. Un laïc pur et dur, presque hardcore. Tout le contraire d’un xénophobe atlantiste. Mais les Américains, en tout cas, il les aime, d’où son emprunt au discours de Martin Luther King, « I had a dream » : "Si le rêve a pu changer l’Amérique, pourquoi ne permettrait-il pas aujourd’hui de changer la France ?" Mais de quel rêve parle-t-il, et qu’a-t-il donc pu changer en Amérique ? Ce n’est pas la première fois qu’un responsable politique emprunte la rhétorique du pasteur noir assassiné, et une fois de plus ce n’est que dans le but de faire un effet de style, de délivrer un de ces discours faussement sincères, aux larmes et venant des tripes, qui n’est en fait qu’une marmite de soupe distribuée à la lance à incendie à des temps de (jeunes) cerveaux disponibles. Une page de publicité.
Et ça marche : dans Libération, une jeune militante s’écrie qu’elle est « prête à mourir pour Nicolas ». Plus loin le journaliste raconte : « Quand il parle d’"amour" et de " rêves", Chrystelle reste bouche bée. Elle semble véritablement émue. » D’autres militants souhaitent échanger leurs tee-shirt avec leurs collègues d’autres fédérations, « comme dans les matches de foot ». Et le journaliste de conclure : « Ce qui devait être un exercice de stimulation collective - pour les militants du Loiret - se sera transformé, au fil du meeting, en un moment de recueillement quasi religieux. »
C’est ainsi que se déroulent ces meetings, à gauche comme à droite, au centre comme ailleurs. Toujours cette même ferveur, cette même émotion plus ou moins feinte. Et toujours, de l’extérieur, cet étonnement de voir des gens, jeunes ou moins, endoctrinés à ce point, convaincus à l’extrême, militants et fiers de l’être, loin de la réalité, aveuglés par leurs convictions comme Battisti pouvait l’être dans sa jeunesse.
La petite histoire de cette molle campagne retiendra donc qu’un ancien acteur des années de plomb italiennes a vu finir sa cavale le jour où Nicolas Sarkozy révélait son « rêve » à la jeunesse de Neuilly, France. Le jour où madame Royal se souvenait « d’où elle venait. » Le jour où François Bayrou proposait un « ministère sociétal ».
Ce qui sauvera, peut-être, Battisti : de s’être invité, malgré lui, dans cette campagne. Ce qui embêtera, peut-être, Sarkozy : d’avoir fait rimer, ce jour-là, en plein récital poétique, fraternité et perpétuité.
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