Sarkozy, Parisot, Chérèque, Royal... les élections présidentielles et le droit de grève
Il y a de quoi s’inquiéter de ce qu’on nous prépare pour après les présidentielles de 2007. L’incontestable convergence d’approches, à quelques apparences près, entre l’UMP, le Parti socialiste, l’UDF, le MEDEF, la CFDT... correspond à quelque chose de profond, et certainement en rapport avec l’évolution à l’échelle européenne. Concentration financière et industrielle, directive Bolkestein, généralisation du dumping social, délocalisations, relance du Traité constitutionnel européen... Autant d’éléments laissant peu de choix aux décideurs français partisans de la « construction européenne ». Ces derniers semblent rechercher des manières « présentables » de museler un mouvement social qui les a mis en difficulté et d’imposer un « retour au bercail » à un électorat qui manifeste un mécontentement croissant. Comme le blocage des « petits candidats », la mise en cause du syndicalisme français et du droit de grève tel qu’il existe dans notre Constitution s’inscrit dans cette stratégie.
En pré-campagne électorale, Nicolas Sarkozy a clôturé le 31 août, par une intervention remarquée et applaudie, l’Université d’été du MEDEF tenue autour du thème "Concilier l’inconciliable". Tout un programme, après le fiasco du Contrat première embauche (CPE) qu’avait précédé l’échec du référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE).
Le président de l’UMP a notamment proposé que les travailleurs soient mis à même de voter à bulletin secret sur l’opportunité des grèves : "Je souhaite que par la loi, et ce sera une de mes propositions, lorsqu’il y a un conflit et une grève dans une entreprise, dans une université ou dans une administration, [...] dans les huit jours soit organisé un vote à bulletins secrets pour en finir avec la dictature de certaines minorités." Il s’en est pris aux 35 heures et a lancé une petite phrase qui résume toute une stratégie : "Le problème de la France n’est pas d’avoir des syndicats trop puissants, mais pas assez puissants" car, semble-t-il, "quand on est petit, on a tendance à faire la politique des plus durs, des plus sectaires". La petite phrase du "syndicaliste" Nicolas Sarkozy, en phase avec le point de vue de la "syndicaliste" Laurence Parisot, n’est en rien divergente de l’appréciation de la "syndicaliste" Ségolène Royal, également en pré-campagne électorale, lorsqu’elle réclame un "syndicalisme de masse" avec la référence : "Dans certains pays, l’adhésion est quasi obligatoire, au sens où elle est couplée avec l’assurance-chômage ou l’assurance sur les accidents du travail. C’est ainsi qu’en Suède, le taux de syndicalisation est de 80 %."
Les principaux courants "de gouvernement" s’accordent donc avec le patronat "éclairé" pour souhaiter des syndicats "forts" afin d’échapper à ce qu’ils présentent comme des "agissements groupusculaires". Une convergence bien dans la ligne de la politique d’ "union nationale" évoquée dans mon article du 31 août. Au même moment, aux propositions diverses de "gouvernement d’union nationale" (article du 29 août), est venue s’ajouter celle d’un "gouvernement d’entente nationale" avancée par François Bayrou, qui s’en prend au "sectarisme", à l’Université d’été de l’UDF, en présence des invités Michel Barnier et Michel Rocard. Ce dernier en a profité pour rappeler qu’il est membre du PS et "social-démocrate". Pour François Bayrou, "le drame de la France, c’est que des gens qui, au fond, partagent exactement les mêmes valeurs et la même approche, ceux-là, le système sectaire dans lequel on vit leur interdit même de parler entre eux". On pourrait lui demander à quoi servent tant de politiques, si c’est pour penser et faire tous pareil, mais ne soyons pas impertinents. Il s’agit de "personnalités", de "talents", dont le pays doit être heureux de pouvoir profiter. Sauf que les Français n’en ont pas eu forcément le même perception lors du premier tour des présidentielles de 2002 ou lors du référendum de mai 2005. Quant aux mobilisations qui ont obtenu le retrait du CPE, elles ont été tout sauf "sectaires" ou "groupusculaires".
Tant pis si les citoyens se posent des questions sur tous ces trafics politiques. Devant l’auditoire de l’UDF, le "social-démocrate de dialogue" Michel Rocard a évoqué la nécessité de "réfléchir au refus de la guerre civile". Quelques jours plus tôt, le secrétaire général de la CFDT avait demandé la création de toute urgence d’un "espace de dialogue social" et, aussitôt après, la présidente du MEDEF s’était prononcée pour un "espace de discussion [...] institutionnalisé" notamment par l’inscription dans la Constitution d’un "droit de négociation" à côté du droit de grève. Dans la même lancée, François Chérèque propose d’instaurer un "délai minimum de concertation avant réforme" afin d’éviter des "psychodrames dans notre pays où des mauvaises décisions prises de manière unilatérale provoquent des crises". Il apporte son grain de sel à la cogestion du système avec une telle diligence qu’on peut se demander si ces convergences n’ont pas joué un rôle dans l’arrêt du mouvement "anti-CPE" qui aurait pu se poursuivre, exigeant le retrait du Contrat nouvelles embauches (CNE).
Il y a aussi quelques voix d’apparence dissidente. L’Humanité du 1er septembre écrit : "Les patrons tutoient Sarkozy... En vedette américaine, le président de l’UMP promet au MEDEF, en cas de victoire à la présidentielle, de s’attaquer au droit de grève."... Mais les patrons tutoient également les vedettes de la "gauche", que financiers et PDG fréquentent autant que celles de la "droite". Et que fait-on pour contrer cette "politique unique" ? Le Parti communiste évite de s’engager à ne pas participer à un gouvernement avec un Parti socialiste où la "voie Royal" attire la majorité et, à défaut, ça risque d’être Jospin qu’on connaît déjà. Le gouvernement de la "gauche plurielle" de 1997-2002 s’est soldé par une catastrophe électorale dont il ne semble pas que les formations politiques concernées aient envie de tirer les conséquences. Quant aux autres candidats à la candidature PS, Jack Lang et Dominique Strauss-Kahn, ils sont des habituels du Siècle, de même que Laurent Fabius, membre également de la Trilatérale. José Bové a récemment estimé que "le PCF n’a pas tranché entre l’alliance avec le PS, au risque d’y perdre son âme et même son organisation, ou l’unité des forces antilibérales, comme le souhaite majoritairement son électorat".
Au sein du groupe des député-e-s communistes et républicains de l’Assemblée nationale, on trouve le maire de Montreuil Jean-Pierre Brard, l’un des fondateurs, avec Philippe Herzog, le dirigeant de la CGT Jean-Christophe Le Digou, Jean Peyrelevade et Michel Rocard, d’une autre entité "transversale" : le club Confrontations Europe. Ce cercle se définit comme étant "à la fois un think tank européen, un lobby d’influence et un mouvement de démocratie participative connu et estimé dans les institutions et les réseaux européens", réunissant "des personnes de sensibilités et d’expériences différentes : dirigeants d’entreprises, syndicalistes, élus, intellectuels, acteurs associatifs et politiques issus de plusieurs pays européens". La composition de son Comité de parrainage est édifiante, avec entre autres : Alexandre Adler, Edmond Alphandéry, Martine Aubry, Michel Barnier, Jean-Louis Bourlanges, Claude Cheysson, Daniel Cohn-Bendit, Etienne Davignon, Jacques Delors, Jean-Paul Fitoussi, Noël Forgeard, Louis Gallois, Jean Gandois, Anne-Marie Idrac, Denis Kessler, Alain Lamassoure, Pascal Lamy, Anne Lauvergeon, Francis Mer, Michel Pebereau, Jack Ralite, Dominique Strauss-Kahn, Serge Tchuruk... Dans l’ensemble, un comité où les membres ou anciens membres du Siècle, de la Trilatérale et du Cercle de Bilderberg ne font pas défaut.
De même, les déclarations de la vice-présidente de l’UDF Marielle de Sarnez à Aujourd’hui en France du 31 août contre la "pensée unique" peuvent-elles susciter un certain scepticisme. Un autre vice-président de l’UDF, Jean-Louis Bourlanges, est membre de la Trilatérale et son président François Bayrou l’a été jusqu’à une date récente. Quant au Siècle, les dirigeants de l’UDF n’en ont jamais été absents. Marielle de Sarnez se plaint du manque d’indépendance des médias : "Il y a en France une collusion entre pouvoir et médias unique en Europe, puisque de très grands groupes industriels propriétaires de médias dépendent de l’Etat pour leurs marchés. C’est un système malsain...". Des déclarations dont les responsables de l’UDF s’abstenaient avant la création de l’UMP aux dépens de leur parti. Mais la vice-présidente de l’UDF "oublie" la responsabilité des milieux financiers et des multinationales dans la perte d’indépendance de la presse, en France comme ailleurs. Le groupe Carlyle, qui a récemment acheté, "réformé" et revendu Le Figaro, n’appartient pas à l’Etat français. Si passer sous silence le rôle de multinationales et lobbies de la grande finance dans la décadence de la presse ne relève pas de la "pensée unique", il faudra nous l’expliquer.
S’agit-il vraiment de "concilier l’inconciliable", comme le prétend le MEDEF, ou de faire croire à l’existence de divergences au sein des "élites" pour masquer la décrépitude de la politique française et continuer à attirer des électeurs ? Comment, dans une situation sociale qui ne cesse de s’aggraver depuis trois décennies, faire voter une nouvelle fois des citoyens qui sont les éternels tondus d’une politique au service d’une minorité ? Quoi qu’il en soit, il a été décidé que "les gens" doivent se faire à l’idée qu’il faudra "y passer", et pas question de permettre que "n’importe qui" soit candidat aux présidentielles. Le barrage des cinq cents signatures est là pour ça, comme l’a rappelé François Hollande il n’y a pas si longtemps.
On "comprend" que, dans un tel contexte, le syndicalisme "radical à la française" dérange. Avec des syndicats moulés "à l’européenne", il aurait été plus facile, par exemple, de faire passer le TCE. Ce n’est pas que les directions des grandes centrales ne soient pas noyautées par les milieux "bien-pensants", mais il faut en finir une fois pour toutes avec ces militants qui résistent, "font pression" sur les directions et osent même de temps à autre créer de nouveaux syndicats. Syndicats et droit de grève font partie des outils concrets dont disposent salariés et fonctionnaires pour défendre leurs droits et leurs acquis sociaux. Les syndicats sont également des lieux de réflexion citoyenne : tout le monde a pu constater en 2005 l’embarras de la direction de la CGT, lorsque les militants se sont prononcés contre le TCE. Il s’agit donc d’un enjeu majeur.
En réalité, des questions telles que le fonctionnement des syndicats ou un éventuel "encadrement" du droit de grève sont devenues beaucoup plus cruciales que les promesses que les vedettes politiques puissent faire par rapport aux privatisations, au SMIC ou à la précarité. Car depuis vingt-cinq ans ces engagements n’ont jamais été tenus. Pour les promesses électorales et les programmes de circonstance, si les romains disaient : Verba volant, scripta manent (les paroles s’envolent, les écrits restent), de nos jours un autre adage paraît plus juste : paroles et écrits s’envolent. Bien naïf qui voudra "juger sur programme".
Certes, le Parti Socialiste s’est immédiatement opposé aux propositions de Nicolas Sarkozy. Il a rappelé les "principes constitutionnels en vigueur, selon lesquels la grève est un droit individuel appartenant à chaque salarié" et fait remarquer que "la soumission de l’exercice du droit de grève à un vote des salariés est une volonté évidente de contourner les organisations syndicales et les représentants du personnel". Mais on peut, à la lumière des déclarations de Ségolène Royal, se demander ce qui nous attend après les élections. Car comment concilier vraiment le droit de grève "individuel" avec le "syndicalisme de masse", l’ "exemple européen" et l’adhésion obligatoire dont parle la pré-candidate PS ? Ce qui n’est pas "acceptable" venant de Nicolas Sarkozy et dans les modalités qu’il propose pourrait le devenir, sous d’autres formes mais avec un contenu analogue, sous un gouvernement PS. D’autant plus que la notion de droit de grève n’est pas la même dans tous les pays de l’Union Européenne.
Les lobbies "pro-européens" comme la Fondation Robert Schuman sont très clairs quant à leur perception de la "situation française" en matière de droit de grève. Un texte du printemps 2003, paru sur le site de cette Fondation, se plaignait d’une "paralysie engendrée par une poignée de grévistes dans les transports publics français". Les milieux décideurs français "réfléchissent à la question des grèves" depuis longtemps. Dans un article du 23 juin 2004 paru dans Le Figaro, Nicolas Lecaussin, chargé d’études à l’IFRAP et rédacteur en chef de la revue Société Civile, soulignait : "Concernant le droit de grève, tous les Etats le prévoient mais il est très réglementé, voire impossible à exercer, comme en Allemagne ou en Autriche. En Espagne et en Grande-Bretagne, les grèves à caractère politique sont interdites, tandis que les grèves dites "de solidarité", consistant à cesser le travail en vue de soutenir une revendication professionnelle ou économique concernant des groupes autres que ceux qui sont en grève, font l’objet de réglementations très strictes. C’est seulement en France et en Italie qu’un syndicat représentatif peut, à lui seul, décider d’une grève. Ailleurs, comme en Allemagne et au Danemark, les syndicats décidant la grève doivent représenter un certain pourcentage des salariés, jusqu’à 75% de l’autre côté du Rhin. De même, dans certains pays, la décision de faire la grève doit être votée à bulletin secret pour éviter les pressions sur les salariés." Ségolène Royal et la direction du PS le savaient très bien, lorsque la majorité de ce parti (notamment les Hollande, Royal, Jospin, Lang, Strauss-Kahn...) a fait campagne pour le TCE au printemps 2005.
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