Sarkozy, rupture tranquille ou inquiétante illusion ?
Nicolas Sarkozy s’est cette fois confié sur ce en quoi il croit, ce qu’il souhaite pour la France, pour ses citoyens, sur la base de ce qu’il croit être les attentes des Français. Bref, une sorte de parti pris gaulliste réactualisé pour s’ajuster aux données de l’époque actuelle. Le début de l’émission fut quelque peu laborieux. Il faut dire qu’Arlette Chabot y allait d’une froideur toute professionnelle, essayant de montrer une indépendance rédactionnelle en titillant Sarkozy sur des détails de questions politiciennes qui n’intéressent pas forcément les Français, ni d’ailleurs le président de l’UMP qui se met dans la peau d’un Français moyen pour se faire élire par la moyenne des Français devant exprimer leur suffrages. Sarkozy l’avait déjà évoqué dans une interview donnée à Libération, les questions des journalistes l’agacent.
Venons-en au fond. Sarkozy a placé d’entrée de jeu ses formules prêtes à l’emploi et déjà servies aux quotidiens régionaux du 30 novembre. On ne sait si les hésitations sont liées à l’entrée dans l’arène médiatique, ou si ces formules ont été suggérées à l’intéressé par ses conseillers en communication. De Ségolène Royal, il dit que son ordre juste n’est juste que de l’ordre, lui opposant le mouvement. Puis, il semble se fendre d’une formule mitterrandienne avec la rupture tranquille, autrement dit l’alliance de la force et de la prudence, assez pour faire avancer les Français mais mesurée pour le pas les faire trébucher. On notera une ruse gaullienne si on soupçonne que l’opposition entre le « juste de l’ordre » et le mouvement renvoie, par des miroirs sémantiques cachés, à cette fameuse opposition entre France légale et France légitime. Madame Royal incarne le droit, la légalité, un ordre figé et encadré, opposé à la légitimité d’un pays en mouvement, conquérant, résistant à l’épreuve de la mondialisation, carrément résiliente. Plus tard dans l’émission, un thème gaullien refera surface, lorsque Sarkozy affirme que les Français veulent le changement, le rassemblement et la rupture, mais qu’ils ont besoin aussi de protection. N’est-ce pas là le motif très gaullien employé il y a plus de quarante ans, en pleine croissance, lorsqu’il traçait le portait d’une Française moyenne qui veut la modernité, avoir une machine à laver, mais qui n’en reste pas moins la bonne mère de famille héritant de la tradition française ? Cela dit, le PS sait aussi piocher dans ce diptyque associant le progrès et la protection, avec son idée de parcours professionnel, forcément mouvementé, mais sécurisé.
La principale partie de l’émission a permis à Sarkozy de répondre à des Français types dont la situation ou la profession incarne les principaux thèmes choisis pour être prioritaires aux yeux des citoyens et donc présents dans la tête des politiques. Immigration, pouvoir d’achat, délinquance et éducation ont été mis au centre des délibérations entre un Sarkozy déterminé, habile dans la parole, parfois rusé, rarement subtil ou ironique. Bref, un grand oral qui l’a remis dans la course, après cette sourde bronca médiatique lançant des rumeurs sur des mouvements de fronde au sein de l’UMP, non sans sous-entendre que Sarkozy a tendance à faire peur et à inquiéter les Français. Elle est bien bonne, celle-là. Comme ça la presse nous aurait caché ça, depuis quatre ans ? Il fait peur aux Français, notre animal politique à la tête de l’UMP ? Compte tenu de ce mouvement de terrain émotionnel, Sarkozy, en général nourri de Sun Tse, doué pour l’art de la guerre des images, a dû corriger cette idée en s’efforçant d’insister sur le côté rassurant, sur la protection qu’il garantira avec l’Etat. Changement de cap. Nous ne sommes plus dans le thème de l’autorité de l’Etat, mais dans celui de la maternité étatique, ce qui ne manquera pas de faire sourire les contempteurs de la madone Royal.
La note générale sera bonne. Oui, sauf à être de mauvaise foi, on rendra justice à cet excellent orateur qu’est Nicolas Sarkozy, capable de se sortir des pièges qu’on lui tend, non sans pointer que son élément le moins solide est l’enseignement. Mais Sarkozy n’a pas été ministre de l’Education. On lui reconnaîtra une fermeté et une détermination le mettant à égalité avec Le Pen, la brutalité en moins. Et un à-propos tout aussi développé que celui de François Bayrou. Bref, une synthèse presque parfaite. Madame Royal aura fort à faire avec ce redoutable bretteur. Et le moment de vérité nous sera servi lors de débats qu’on pressent comme disputés si le second tour est bien celui annoncé par les oracles sondeurs. En cas d’un équilibre des forces, ce type de débat pourra faire basculer dans un sens ou dans l’autre le résultat.
Que ces éloges ne nous dispensent pas d’émettre quelques critiques en recadrant cette émission. En premier lieu, on voit ce côté attrape-tout qui sert de principe tacticien, autant au PS qu’à l’UMP. Ils semblerait que l’élection se joue au centre avec un ratissage large, ce qui n’est pas la meilleure des choses pour la démocratie, ni d’ailleurs dans la tendance d’une époque. Karl Rove a bâti la victoire de Bush en appuyant sur une aile conservatrice. Si on veut que la France bouge, il faut la prendre sur une des ailes, gauche ou droite. Par ailleurs, le programme de l’UMP n’a rien d’original et semble fait de bricolages divers pour satisfaire cette tactique électorale de l’attrape-tout. Un UMP qui n’a rien d’une famille tranquille mais est composée de clans et de factions (il faudrait en parler aussi, à voir cette vidéo édifiante d’une jeune responsable de l’UMP disponible aussi en bas de page). Enfin, cette omniprésence des candidats, cette propension à dire comment il faut penser toutes choses dans la République et comment il faut procéder en toute circonstance, relève de l’exploit du surhomme providentiel, non sans que cela ne laisse un goût amer au citoyen, qui se sent pris dans une puissance qui lui ressemble mais le noie dans une série de clichés émis par une seule personne qui pense pour tous et donc pour aucun. Bref, l’illusion est bien orchestrée. On dirait presque que la France est agie par un seul homme qui sait presque tout. Des grands principes fondant une civilisation, pointant les grandes lignes de l’évolution du monde, il ne fut pas question. Au bout du compte, Sarkozy est à la hauteur pour gouverner une province du monde qu’est la France, un peu comme Schwarzy gouverne un Etat du superempire américain. C’est un peu mon intuition.
En conclusion, Sarkozy s’est révélé comme un excellent candidat dans la course à la présidentielle, un guerrier médiatique, mais ce qui importera après 2007 n’a pas été évoqué. Bref, tout ça manque de transparence, les choses importantes semblent être voilées. Ce qui inquiète forcément ceux qui réfléchissent au delà d’une prestation médiatique.
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