Ségolène a envie d’un bon coup de Reims
… mais Benoît n’en a cure : il tricote avec Martine un gros pull pour l’hiver, tandis que Bertrand rumine sa défaite. Du coup, Vincent menace. François, lui, préfère ne pas intervenir dans ces disputes de couples : il a déjà donné.
Fra-ter-ni-té, tu parles ! Le PS est redevenu le PS, en ordre dispersé, toutes rancœurs dégainées, ambitions affichées et rancunes exposées, le PS à la va comme je te pousse dans les orties, voilà pour ta peine, c’est celui qui dit qui y est, j’étais là avant, non mais tu l’as vue celle-là ! La gauche comme on l’aime, à la ramasse, grouillante et inaudible, indispensable en l’état pour distraire la droite, qui a bien du mal à trouver d’autres motifs de satisfaction en ce moment. Le pouvoir d’achat ne va pas grimper aux rideaux de sitôt, mais les socialistes, eux, n’ont pas fini de faire rire Nicolas Sarkozy et sa poupée vaudou ! On craignait le bordel, c’est vraiment la chienlit, et ce n’est pas fini, certains prédisent une « nuit des longs couteaux » entre samedi et dimanche… longs couteaux on ne sait pas, mais sans doute beaucoup de vaisselle cassée dans cette crise de ménage.
Comment en est-on arrivé là ? C’est la faute à Ségolène, bien sûr, hurlent les motions A, B, C et D ! Pas du tout c’est la faute à Martine, Bertrand, Benoît, se défend la motion E ! Comment en est-on arrivé là ? Pas la peine de remonter à Epinay par l’autoroute, juste se recaler sur le deuxième tour de la présidentielle. Ce soir-là, Martine, Bertrand et même Benoît, Henri, Jean-Luc et François ont bien cru voir les dernières images en live de Ségolène Royal, redevenue d’un coup d’un seul présidente de la région Poitou-Charente, c’est-à-dire pas grand-chose comparé à l’Elysée promis. Ce soir-là, tandis qu’au Fouquet’s Bigard coupait la viande de Johnny, Lionel Jospin était convaincu d’assister à l’enterrement de son ennemie jurée. Seulement voilà, Lionel Jospin se trompe plus souvent qu’il ne fait le tour de l’île de Ré à vélo, c’est-à-dire très souvent. Sylviane, qui conseillait encore récemment à Royal de travailler chez Patrick Sébastien, devrait lui donner quelques conseils, à Lionel. Comme se taire, par exemple, et réfléchir. Puis parler, ensuite, si c’est nécessaire. Ça éviterait à Bertrand Delanoë de se vautrer comme un cul de jatte sur son vélib’. En mai 2007, comme tant d’autres à gauche, beaucoup ont cru voir Royal mourir. Mais non, la dame est coriace, tenace et ambitieuse, entêtée et narcissique, têtue et arriviste, comme François Bayrou. Elle sait se relever des gamelles.
Et pendant que Ségolène s’ingéniait à remonter la pente, que faisaient donc Martine, Bertrand, Benoît et les autres ? Rien. Ils inauguraient quelques chrysanthèmes et puis c’est tout. Ils additionnaient leurs points retraite et répondaient aimablement aux journalistes qui leur demandaient, de temps à autre, entre la poire et le fromage, s’ils se verraient un jour à la tête du PS, voire candidats à la prochaine présidentielle. Pendant ce temps, Ségolène se restructurait, se coupait les cheveux, se trouvait un nouveau boyfriend glamour et moderne, que l’on nommera Bruno Gaccio, et s’inventait un nouveau personnage, à mi-chemin entre Chantal Goya agitée et Anne Roumanoff sobre. Delanoë, lui, pendant ce temps, gobait tout ce qu’on lui disait, se contentait de laisser le temps passer, convaincu qu’il jouait pour lui, le temps, aussi tranquille que Jospin dans son île, aussi inoffensif aussi, aussi inexistant. Aubry, elle, qui n’espérait plus grand-chose, mais, quand même, se lançait dans la course aux motions presque à contrecœur, parce qu’il fallait bien y aller, et parce que Ségolène, une nouvelle fois, osait se repointer.
En fait, la situation au PS est très simple : il y a ceux qui suivent Royal, et ceux qui la détestent. Les premiers moutonnent, les seconds s’opposent trop mollement. Le front anti-Royal est tellement divisé qu’on se demande même parfois s’il existe. Il y a dans ce « TSS » là tellement de non-dits, de désaccords imparfaits et d’alliances de raison qu’on peut légitimement penser que Royal a de beaux jours devant elle. En ordre dispersé, ses opposants n’ont aucune chance, ils transpirent d’incohérence, là où elle, au moins, reste claire sur sa ligne, toujours en horizon, en point de fuite son objectif suprême : le palais. Ses opposants, eux, bougonnent, boudent ou marmonnent, mais on ne les comprend pas vraiment, on ne voit pas où ils veulent en venir. C’est un peu la jeune ingénue face aux vieux cons, sauf que l’ingénue a dépassé depuis quelques printemps déjà la cinquantaine. Les cons, eux, sont un peu plus vieux.
Alors, du coup, comme personne ne décide, c’est Hamon, comme Marcel, qui se dévoue, débauche Martine et propose de constituer un attelage suffisamment solide, solidaire et soluble dans la gauche pour empêcher Ségolène de sortir du frigidaire ses préalables et ses envies. Hamon s’avance et il convainc Martine, presque, et demande à Bertrand de se réveiller un peu et de choisir son camp. Sa stratégie est simple, au jeune Hamon : trancher tout de suite la question d’une éventuelle alliance avec le MoDem, pas dans quatre ans, pas à la Saint-Glinglin, tout de suite et clairement : ou le MoDem s’inscrit à gauche, ou il est hors de question de copiner avec lui. Une attitude que n’aura bien sûr pas Royal, qui elle veut exactement le contraire : que le PS s’identifie au centre pour rafler la mise. Les dés, grâce à Hamon, pas Marcel, mais Benoît, sont donc jetés, et le choix est simple pour le parti aujourd’hui encore dirigé par l’ex de Mme Royal : ou se dissoudre dans le centre droit pour espérer piquer des voix à l’UMP ou se refonder à gauche, voire à gauche de la gauche, non pour bloquer les TGV, mais pour prouver aux Français que le socialisme existe encore. Ce dont Royal, manifestement, n’est pas convaincue.
Ségolène pense qu’elle a perdu en 2007 parce qu’elle a fait une campagne trop à gauche. Elle pense même que la gauche, celle de Mitterrand ou de Rocard, ou de Jospin, est trop à gauche. Elle préférerait s’appeler démocrate, et que Sarkozy s’appelle républicain, au lieu de quoi, elle doit se débattre avec un « appareil » qu’elle juge manifestement obsolète, dépassé, lent et lourd. Alors, oui, elle choisira peut-être finalement de sortir du frigidaire ses ambitions et, à température ambiante, une fois chef des éléphants, elle s’empressera de les accompagner au cimetière, une fois pour toutes. Mais les pachydermes ne l’entendent pas de cette oreille, qu’on sait grande, ils souhaitent s’accrocher, coûte que coûte, et ont peut-être trouvé en Hamon celui qui les guidera vers une fin plus tendre.
Ségolène a envie, oui, et Benoît a compris son envie : celle d’en finir avec le PS. Prendre les commandes du navire et mettre aux cales tous ceux et celles qui lui en ont fait baver depuis des années. Au pain sec et à l’eau, pour repartir avec ceux qui l’applaudissent, « l’aiment », la félicitent pour son audace et l’encouragent, encore et encore, jusqu’au triomphe ou au ridicule. Jusqu’aux deux, peut-être.
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