Ségolène voulait consigner le mammouth
Il aura suffi d’une vidéo « pirate » pour transformer la pasionaria blairiste en politicienne de gauche lucide et responsable. Faire travailler les profs 35 heures effectives : la meilleure proposition de Royal depuis des lustres.

Ségolène enfin crédible, enfin sympathique, enfin différente ! Si c’est effectivement un sbire de DSK qui est allé chercher au fond de quelque tiroir une copie de l’enregistrement vidéo de janvier 2006 qui tourne en boucle sur le Net depuis trois jours, c’est une grande idée qu’il a eue là, mais peut-être pas dans le sens où il l’espérait : la favorite socialiste y apparaît soudain lucide, réaliste, consciente de ses propos, le verbe simple, le timbre posé, le regard affirmé, le ton décidé de la femme politique qui n’est pas là pour arroser les chrysanthèmes ou noyer le poisson. Royal en pleine possession de ses moyens, assurée et décidée, franche et ferme comme jamais on ne l’a entendue tout au long de ces primaires socialistes qui n’étaient pas là que pour la piéger, mais qui l’auront quand même largement desservie. Au contraire de cette vidéo. Au contraire des propos qu’elle tient dans cette vidéo.
De quoi parle-t-elle ? Des « profs », comme on les appelle quand on dénombre leurs grandes semaines de vacances, leurs revendications urbaines ou la sacro-sainte réduction qu’ils n’oublient jamais de réclamer quand ils passent en caisse. Les « profs », ces salariés d’un autre temps (partiel) qui ne travaillent « que » 17 heures par semaine mais qui, le « reste du temps » ne se reposent point mais « corrigent les copies », « préparent les cours », « relisent les copies » et « organisent leur emploi du temps ». Enfin, non, l’emploi du temps, c’est en début d’année que ça se passe, quand chacun y va de ses desiderata, entre celui qui souhaite prendre son vendredi, celui que le mercredi arrange, le mardi, ou le jeudi... Un casse tête pour les chefs d’établissements, que de satisfaire ces enseignants dont le temps libre n’est pas vraiment du temps libre mais qu’ils souhaitent quand même organiser comme tel.
Les « profs ». Fatigués quand ils sortent d’une semaine de vacances (la Toussaint, par exemple), dépités quand ils s’aperçoivent, fin juillet, qu’ils sont déjà à « la moitié de leurs vacances d’été ». Les « profs » qui ont un tableau d’absence. Un tableau jamais vierge, parfois rempli jusqu’à la gueule de noms suivis de dates. C’est fou ce qu’il y a comme grippes, comme infections en tout genre, comme gastro, comme virus dans l’Education nationale. Claude Allègre avait pointé du doigt en son temps cet « absentéisme ». Il avait souhaité, à l’époque, « dégraisser le mammouth », ce secteur public enseignant qu’il jugeait un peu enrobé. Mais le mammouth, grandes oreilles, grosse trompe, gros sabots syndicaux ne l’avait pas entendu de cette oreille et avait renvoyé ledit ministre à la période glaciaire.
On ne s’attaque pas aux « profs » impunément, on l’a vu encore ce week-end. Immédiatement ils répliquent, par la voix de leurs représentants syndicaux, affutés, préparés, qui n’attendent que ça pour se rappeler au bon souvenir de tout candidat.
Ségolène Royal, elle qui fait de l’éducation une priorité, sait tout cela. Et d’emblée, dans son petit laïus, elle prévient : « Moi j’ai fait une proposition - par ailleurs je ne vais pas encore la crier sur les toits parce que je ne veux pas me prendre des coups des organisations syndicales enseignantes. » Lucide Ségolène. Ne pas la crier sur les toits, sage décision. Le problème c’est que certains ont choisi de franchir le toit et de porter la parole royale sur la place publique. Dix mois après. Quelle est-elle, cette proposition ? « Je pense qu’un des nœuds de l’échec scolaire se joue au collège. C’est-à-dire que les enfants arrivent en 6e, 5e, et là s’ils décrochent, on sait déjà ceux qui n’iront pas jusqu’au baccalauréat ou ceux qui seront en situation de décrochage scolaire. » D’abord le constat, lucide. L’auditoire de la dame du Poitou opine, il ne sait pas encore ce qui va suivre.
« Je pense qu’une des révolutions c’est de faire les 35 heures au collège. C’est-à-dire que les enseignants restent 35 heures au collège. » Gloups ! Celui dans la salle qui avait déjà planifié ses week-ends accolés aux jours fériés commence à s’étrangler légèrement. Trente-cinq heures, en une semaine, se dit-il, ça fait combien par jour ?... « Et dans ce paquet global, il y a des cours, mais ils ne quittent pas le collège quand ils ont fini leurs cours... » Ne pas quitter le collège quand on a fini les cours... Notre ami enseignant a la bouche sèche, soudain, il se demande quand il va pouvoir profiter de sa piscine, son jardin, de ses skis ou de ses réductions easy jet s’il doit rester au collège trente-cinq heures par semaine... Et ses copies, qui les corrigera, alors ?...
« On est quand même dans un système absurde où aujourd’hui en France, on a maintenant des entreprises cotées en Bourse, Acadomia, etc., qui donnent droit à des déductions fiscales, et ceux qui donnent ces cours, ce sont les profs du secteur public ! » Là, dans la salle, on écoute toujours, mais le brouhaha prend du volume, ça s’agite, ça remue, Ségolène est proche de la fin de l’envoi et à la fin de l’envoi, elle va toucher : « Comment se fait-il que des enseignants du secteur public aient le temps d’aller faire du soutien individualisé payant, et ils n’ont pas le temps de faire du soutien individualisé gratuit dans les établissements scolaires ? » Boum. Un soupir d’encaissement s’entend alors. D’encaissement, oui, comme le bruit qu’on fait quand on encaisse un coup, quand un rugbyman bleu encaisse un trois quarts black. Oumff, ou quelque chose dans ces eaux-là.
« Comment se fait-il que des enseignants du secteur public aient le temps d’aller faire du soutien individualisé payant, et ils n’ont pas le temps de faire du soutien individualisé gratuit dans les établissements scolaires ? » C’est moi qui repose la question, comme pour la souligner. La meilleure question de la candidate Royal, une question à la fois plus pertinente et mieux posée que l’attaque trop frontale d’Allègre. Plutôt que de critiquer un réel mais inquantifiable « absentéisme », Ségolène pose une équation simple, sans inconnue, facile à résoudre. Ou les professeurs ont, comme ils le prétendent, autant de travail, sinon plus, à faire à la maison qu’au collège, et à ce moment-là, ils n’auraient pas le temps de donner des cours de soutien scolaire, ou ils ont tout le temps nécessaire pour donner des cours de soutien scolaire qui soignent leurs fins de mois parce qu’ils n’ont fondamentalement rien d’autre à faire. Ils vaquent. S’ils vaquent, c’est qu’ils ont du temps libre, et s’ils ont du temps libre, que celui-ci serve à leurs élèves en difficulté. Voilà ce que dit Royal, heurtée à juste titre par l’incongruité (le mot est faible) de voir certains profs du secteur public donner à titre privé des cours à leurs propres élèves ! Et Royal a raison. Elle a raison de dire que ce système « confus » peut favoriser l’échec scolaire. Elle a raison de dire que ce système est scandaleux quand il concerne les enseignants du secteur public. Elle a raison de dire qu’un professeur présent à temps plein dans son établissement sera plus efficace et utile à ses élèves qu’un professeur seulement là aux heures de cours et ensuite injoignable. Elle a aussi raison de penser que certains, assis sur leurs « privilèges », ne voudront pas entendre parler de modifier leurs « 17 heures », qu’ils resteront sur leurs « acquis ». Elle a raison de craindre que jamais les syndicats ne l’écouteront.
Elle n’a même jamais eu autant raison. Mille fois raison.
Mais c’était il y a dix mois. Depuis la dame est plus candidate que jamais, a changé d’épaule son fusil, et se voit fort embarrassée de voir resurgir ces propos. Elle recule, fait marche arrière, salue le « corps enseignant ». Dommage. Parce que comme elle le disait au début du film, elle se montrait là « assez révolutionnaire ». Elle mettait enfin le doigt, précisément, clairement, sur un des grands problèmes de notre société. En exhumant cette vidéo, DSK ou ses amis lui ont fait un superbe cadeau. Elle l’a refusé. Elle n’aurait pas dû. Elle ne « pointait » pas « du doigt le corps enseignant », comme l’a prétendu hier cet âne de Bayrou, aussi révolutionnaire, lui, qu’un directeur de programme de M6, mais elle situait un mal, elle circonscrivait remarquablement les raisons, ou une partie d’entre elles en tout cas, d’un échec scolaire qui coûte cher aux jeunes, à l’école et plus tard sur le marché du travail.
Mais il sera dit que personne, décidément, ne s’attaquera de front au mammouth. Les hommes d’hier, moins armés, moins intelligents, le harcelaient, l’encerclaient jusqu’à le piéger, l’entraver, le blesser, à mort. Les hommes d’aujourd’hui ne l’approchent qu’à peine, effrayés par sa masse syndicale, son empattement, son art consommé de bloquer les rues.
Il n’est pas né, celui qui mettra le mammouth à poil.
Sur le même thème
Sur les profsLa guerre civile à vos portes : quand les racailles attaquent les collèges de Saint-Denis (93)
Le témoignage terrifiant d'une surveillante d'un collège de banlieue...
Tout commence dans les petites classes
#bac2021 Macron et Blanquer détruisent le bac pour lancer la privatisation du lycée et une éducation à plusieurs vitesses #NonALaSelection
218 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON