Une nouvelle politique pour les quartiers défavorisés ?
Il y a un peu plus d’un an, le 27 octobre 2005, les émeutes se déclaraient à Clichy-sous-Bois avant de se répandre dans de nombreuses banlieues et quartiers défavorisés en France. Cette crise prévisible, qui secoua la France, n’était que le long enchaînement de politiques françaises inefficaces.
Pour répondre à cette crise a été constituée, au Sénat, le 18 janvier 2006, une mission d’information sur les quartiers en difficulté. Son ambition n’était pas mince et consistait en un bilan des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d’années, complété par une étude des perspectives d’avenir.
Regroupant 28 sénateurs issus des cinq principaux partis représentés au Sénat, sa démarche s’inscrivait dans un désir de dépasser le clivage droite/gauche. Pour cela, son bureau était constitué de la manière suivante :
- Président : Alex Türk (sénateur non inscrit du Nord)
- Vice-présidents : Philippe Dallier (rattaché à l’UMP, Seine-Saint-Denis) / Jacques Mahéas (socialiste, Seine-Saint-Denis) / André Vallet (UC-UDF, Bouches-du-Rhône) / Roland Muzeau (communiste, Hauts-de-Seine) / Gilbert Barbier (RDSE, Jura)
- Secrétaires : Alain Dufaut (UMP, Vaucluse) / Raymonde le Texier (Socialiste, Val d’Oise)
- Rapporteur : Pierre André (UMP, Aisne)
Commission multipartite et président non affilié à la majorité, comme l’exige la loi, sa mission aura duré plus de neuf mois et aura dirigé ses travaux sur de nombreux sujets, se déplaçant dans les quartiers défavorisés, en région parisienne, en province, et même à l’étranger.
Hier, la mission d’information a rendu publics ses travaux et son rapport, qui s’inscrivent dans ce dépassement du clivage traditionnel de la politique de la ville et de la sécurité. A l’approche des élections présidentielles, il tombe tel un pavé dans la mare, mais n’est toutefois pas un blanc-seing donné à la gauche.
Constat d’échec
Le rapport qui a été remis après enquêtes, auditions, analyses, déplacements, quotidien routinier propre aux commissions et missions parlementaires, est tout d’abord un aveu d’échec. Aveu d’échec qui ne sera pas sans poser quelques problèmes, et tout d’abord au gouvernement actuel, qui sera utilisé par l’opposition comme bouc émissaire de l’échec des diverses politiques de la ville et de la sécurité de tous les gouvernements.
En abordant les thèmes de la rénovation urbaine, de l’éducation, de l’emploi, du rôle des associations, de la prévention de la délinquance, des crédits et de la « gouvernance » (terme très à la mode) de la politique de la ville, les sénateurs ont décidé de couvrir des sujets divers et variés avec en ligne de mire la question des quartiers défavorisés, car tel était l’enjeu. Ces sept thèmes majeurs constituent l’essence des soixante-dix propositions émises par le rapport, rapport soumis au vote du Sénat et qui n’a rencontré aucune opposition. Seul fait notable, l’abstention des socialistes « en raison de leur réserve sur les suites qui seront données à ce rapport plein de bonnes intentions », selon Raymonde le Texier.
La sécurité : échec total, partiel ?
Lorsqu’on fait campagne sur la sécurité, il faut s’assurer que finalement, ce ne soit pas un échec.
Certains y verront sans doute essentiellement un désaveu de la politique de Nicolas Sarkozy en matière sécuritaire. C’est un fait plus ou moins dissimulé dans le rapport, qui pointe la différence de politique entre le précédent gouvernement et le gouvernement actuel.
La différence notable que l’on peut noter est la baisse de la délinquance générale, qui comprend donc tous les voies de fait, ainsi que l’augmentation du taux d’élucidation des affaires. Cela n’a pu être possible qu’en passant d’une police principalement axée sur la prévention à une méthode plus répressive. Cette idée sous-tend une priorité redonnée à l’action judiciaire, comme le notent les sénateurs. Toutefois, les résultats ne masquent pas l’augmentation des violences contre les personnes.
Ayant surfé un peu pour trouver l’évolution des statistiques concernant la délinquance, j’ai trouvé une certaine unanimité en ce qui les concerne. Toutefois, comme toute statistique, celles-ci restent sujettes à caution et surtout à interprétation.
De manière basique, on constate qu’entre 1998 et 2002, la délinquance générale a augmenté de 14% et que l’élucidation des affaires était en recul de 4%. A contrario, depuis 2002, la délinquance générale a reculé de 8,8% tandis que le taux d’élucidation passait de 24 à 34%.
Partant de ce principe, on ne peut que se féliciter de ces bons chiffres qui ne masquent toutefois pas la continuité de la hausse des violences contre les personnes, qui sont continuellement en hausse depuis des années. Cette hausse a été en partie freinée depuis 2002, mais seulement en partie, s’ajoutant à la crise des banlieues. Quel est le résultat de cinq ans d’action, dans la continuité des politiques précédentes ? Quelles pistes pour l’avenir ?
Renouveau de l’action politique envers les quartiers défavorisés ?
C’est dans cette tradition de politiques de la ville et politiques de sécurité continues depuis vingt ans que s’inscrit la démarche du Sénat, outil vieillot et parfois désuet de la vie politique française sous la Ve République. Pétris de bonnes intentions, les sénateurs ont donc dévoilé ce lundi, une liste de soixante-dix propositions destinées à créer un nouveau pacte de solidarité avec les quartiers défavorisés, permettant d’améliorer le cadre de vie dans ces mêmes quartiers. Ces soixante-dix propositions s’articulent autour de sept thématiques :
- Améliorer le cadre de vie
- Mieux répondre aux besoins prioritaires d’éducation
- Une politique de l’emploi qui porte ses fruits
- Assurer la sécurité
- Développer la cohésion sociale
- Améliorer la transparence financière de la politique de la ville
- Faire évoluer la politique de la ville de manière institutionnelle
Ces sept grands axes ont été élaborés afin de répondre aux constats qui font suite aux travaux de la mission d’information sur les problèmes spécifiques des quartiers défavorisés qui ne sont pas homogènes en France même s’il existe quelques constantes (Pour plus d’informations : http://www.senat.fr/rap/r06-049-2/r06-049-2-syn.pdf).
Toutefois, il n’est pas toujours aisé de voir en quoi ce rapport présage un renouveau de l’action politique envers ces quartiers. Ce rapport a eu le mérite d’être consensuel autant au niveau des travaux d’analyse, des auditions qu’au niveau du contenu même des propositions avancées. Son principal point faible est de trancher avec les politiques traditionnels qui sont menées de manière partisane sans chercher à dépasser ce fameux clivage gauche/droite qui induit un traitement différent du problème à chaque fois, alors que la complémentarité en ferait une force et un atout.
Un exemple frappant de cette complémentarité est la recommandation faite par la mission d’information de créer une véritable police de proximité. Entre l’approche sécuritaire et l’approche angélique, sans doute y a-t-il à creuser afin d’élaborer un système qui ne soit ni trop complaisant, ni trop répressif. C’est sans doute un des enjeux majeurs, car d’un côté, la police de proximité telle qu’on l’a connue n’était qu’un instrument pour lutter contre le sentiment d’insécurité, tandis que les objectifs affichés ces dernières années étaient résolument axés sur la résorption de la criminalité à coups de chiffres.
Au-delà de l’action sécuritaire, qui ne devrait pas être un objectif en soi, se pose la question plus générale du cadre de vie dans ce rapport, dont la sécurité n’est qu’une partie. Il met en avant la politique de la ville menée ces dernières années qui devrait à long terme porter ses fruits en mettant à l’index la Seine-Saint-Denis.
Seine-Saint-Denis, territoire spécial ?
Nous avons pris l’habitude d’entendre qu’il ne devrait plus y avoir de zones de non-droit en France, en particulier en Seine-Saint-Denis. Ce département est sans doute un des plus paradoxaux qui puissent exister.
Après les Hauts-de-Seine, il est le département le plus riche. Son PIB est plus élevé qui celui de la Grèce et représente 2,5% du PIB national. Sur ce plan, on pourrait se dire que tout va bien. A l’inverse, s’y concentrent le plus grand nombre de pauvres en France et s’y ajoutent pêle-mêle des questions sur l’éducation, le logement, l’insécurité ou même l’immigration. D’où la question suivante : comment faire pour « redresser » la situation alors que les politiques traditionnelles semblent vouées à l’échec ?
Nos chers sénateurs ont trouvé la solution en proposant d’en faire un territoire spécial, statut particulier qui serait décrété avec une loi Seine-Saint-Denis. Or sous ce coup d’annonce, rien ou presque. Les solutions divergent et restent très floues sur le pourquoi du comment. Bien sûr, des pistes sont évoquées, et notamment l’intercommunalité, qui restera sans doute une voie à explorer avec attention étant donné ses résultats plutôt encourageants dans la région lyonnaise. Au-delà des politiques guidées par l’État, les collectivités locales restent les mieux placées, avec les associations de terrain pour mener une politique adaptée.
C’est en cela sans doute que cette proposition de territoire spécial pourrait trouver son intérêt, car si cela n’a pour but que de promettre des crédits supplémentaires et de créer de nouvelles ZEP, quel intérêt ? N’est-ce pas cette même politique que nous menons déjà ?
Dépasser le clivage politique très fort dans ce département, dans une zone où tout se « touche » dans les villes, c’est un enjeu primordial. A travers la mise en avant des élus locaux, une action conjointe de leur part soutenue par l’État, en concertation avec les acteurs de terrain, une éclaircie se profilera peut-être.
Encore faudrait-il une plus grande transparence au niveau des crédits, de leur attribution et de leur gestion, et enfin l’instauration d’une « bonne gouvernance » si chère à notre diplomatie. La « rupture » est un joli sujet, alors pourquoi ne pas en faire un vrai programme ?
Depi.
P.S : Certains sujets ne sont, sciemment, pas développés dans cet article, même si je les les évoque. Il ne s’agit en effet pas d’un article de réflexion pure sur les banlieues.
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