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Benoît XVI, pape de tous les paradoxes

Quelle sera la trace laissée dans l'histoire par ce pontificat de 8 années ? Benoît XVI a-t-il réussi son pari de "redonner le sens du sacré" à un monde dominé par le matérialisme ? Qu'en est-il de la postérité du Concile Vatican II et comment la nouvelle génération de chrétien voit-elle l'Eglise ? Autant de questions auxquelles cet article tente d'apporter des éléments de réponses.

 
Benoît XVI l'imprévisible

Le lecteur attentif de Benoît XVI est familier de ces traits acérés qui traversent ses écrits. Au détour d'une phrase, d'un paragraphe : une idée, une formulation. Toujours inédite ou déconcertante, souvent provocante. Fidèle à sa devise "coopérateurs de la vérité", il n'hésitera pas à qualifier l'Eglise de "barque qui prend l'eau de toute part", Auschwitz de "symbole de l'enfer sur la terre". A constater à regret que "la liberté et la tolérance sont très souvent séparés de la vérité", ou à attirer l'attention sur l'importance de "l'écologie du corps humain". On l'aura entendu implorer, au début de son pontificat, avec cette tranquille sérénité devenue sa marque de fabrique : "priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas par peur devant les loups". Puis, à l'heure du "renoncement", dans un latin élégant et classique qu'il est un des rares à maîtriser encore parfaitement : "bien conscient de la gravité de cet acte, en pleine liberté, je déclare renoncer au ministère d’Évêque de Rome, Successeur de saint Pierre".

Benoît XVI a-t-il eu conscience du séisme émotionnel et spirituel qu'il provoquait chez son auditoire de cardinaux, chez le peuple chrétien et bien au delà encore ? Sans doute, mais qu'importe ? Benoît XVI agit " Après avoir examiné [s]a conscience devant Dieu" -et lui seul-. Après ce "coup de tonnerre dans un ciel serein" selon la formule désormais célèbre de Mgr Angelo Sodano, doyen du sacré Collège, Benoît XVI reprend le cours de sa conversation et de sa réflexion. Là où il les avait laissées...abandonnant à d’autres le soin de supputer, analyser, évaluer, louer ou critiquer. Et où avait-il donc laissé la conversation ? Quels sont ces sujets qui tiennent tant à coeur de "il profesore" comme le nomment avec affection les italiens ?

Vatican II : "Concile virtuel" et "Concile réel"

Si un sujet lui tient à coeur c'est sans conteste celui du Concile Vatican II. Ce sera le sujet de sa "causerie", confiante et intime avec "ses" prêtres du diocèse de Rome, le jeudi 14 février . Et voilà qu'à nouveau ce pape étonne, par sa franchise et sa clarté d'esprit. Il y a bien eu un "vrai Concile " ou "Concile réel". Certes. Mais 50 ans après, celui-ci reste quasi un inconnu. Alors même qu'un autre concile, ce "concile virtuel" fabriqué de toute pièce par les médias a occupé le terrain, cristallisé les débats, monopolisé la réflexion. Et le pape de s'expliquer tranquillement : "C'était presque un Concile en soi, et le monde a perçu le Concile à travers eux, à travers les media ». « Et tandis que le Concile des Pères se réalisait à l’intérieur de la foi », "le Concile des journalistes s’est réalisé, naturellement, à l’intérieur des catégories des media d’aujourd’hui, c’est-à-dire hors de la foi, avec une herméneutique politique : pour les media, le Concile était une lutte de pouvoir entre divers courants dans l’Église. » L'analyse est percutante. Le constat clair, mais non point pessimiste : « la force réelle du Concile était présente » et « Il me semble que, 50 ans après le Concile, nous voyons comment ce Concile virtuel se brise, se perd, et le vrai Concile apparaît avec toute sa force spirituelle", conclut le pape.

En attendant, le discours de l’Eglise passe peu ou ..pas du tout ! "dans cette perspective, la liturgie comme acte de foi n’intéressait pas", « l’Écriture ? un livre, historique, à traiter historiquement et rien d’autre, et ainsi de suite". Il suffit d’un dernier exemple : l’Opus Dei, simple institution de l’Eglise catholique, dédié à la formation des laïcs chrétiens, cible régulière de tous les fantasmes « politico-complotistes ». Cette distinction "concile virtuel", "concile réel" paraît de fait particulièrement pertinente pour mieux comprendre les quiproquo constants entourant les réalités spirituelles. Réalités plutôt imperméables - par définition comme par nature- aux grilles de lecture politiques et sociologiques en vogue dans nombre de médias traditionnels. Et partant dans l’opinion publique !

Bref, dans le cas concret qui nous occupe, si « le vrai concile a eu du mal à se réaliser et à se concrétiser", parce que "le concile virtuel était plus fort que le Concile réel", rien n'est perdu selon Benoît XVI, bien au contraire. Au seuil même de son renoncement, Il place l'Eglise du IIIème millénaire face à un immense défi : "et voilà notre tâche, particulièrement en cette Année de la foi, travailler pour que le vrai Concile, avec sa force de l’Esprit Saint, se réalise et que l’Église soit réellement renouvelée".

Benoît XVI ou le retour du sacré

Redécouverte du sens du sacré : c’est sans doute le trait le plus saillant qui se détache d’un rapide survol de ces 8 années d’un pontificat auquel aucune souffrance n’aura été épargnée. Beauté de la liturgie, du chant sacré - on sait ce pape esthète et mélomane - insistance sur l'importance de l'adoration, de la méditation personnelle, redécouverte du sens de l'intimité personnelle avec le Christ ..Autant de sujets qui auront jalonné avec insistance les discours, allocutions et homélies -jusqu'à 15 par jour !- de cet homme de foi. Convaincu d'une chose : une vie authentiquement chrétienne n'est possible "que si le véritable visage de Jésus nous est devenu familier » par « le dialogue intérieur », « la pénétration de cette Parole de manière à le rencontrer réellement, et naturellement dans le Mystère de l’Eucharistie ».

Discours inaudible s’il en est, au beau milieu du brouhaha médiatique ambiant. Faut-il en conclure que ce pape vieillissant, à la santé fragile, à la voix douce et au geste encore timide, "renonce" sur un constat d'échec personnel ? C’est sans doute aller un peu vite en besogne…

Par ce geste inouïe et historique du Souverain Pontife qui "renonce " en "pleine conscience" au pouvoir suprême, pour continuer de servir par une vie de prière "cachée aux yeux du monde", Benoît XVI ouvre résolument une brèche de plus dans l'édifice des certitudes du matérialisme contemporain. Et par cette brèche s'engouffre ce "sacré" dont il appelle le retour de tous ces vœux : "La foi conduit à découvrir que la rencontre avec Dieu valorise, perfectionne et élève ce qu’il y a de vrai, de bon et de beau en l’homme. »

Benoît XVI, et après ?

Après un XXème siècle traversé par des conflits inhumains, marqué par l'angoisse de l'absurde, que sera donc ce XXIème siècle ? Interrogé par Peter Seewald pour Focus, quelques semaines avant l'annonce de son renoncement , Benoît XVI déclare, non sans une certaine malice : " Je suis la fin de l'ancien et le début du nouveau".

Les jeunes…une autre de ses priorités. Qui a assisté à cet étonnant phénomène spirituel des dernières Journées Mondiales de la jeunesse à Madrid en août 2011 n’a pu qu'en demeurer saisi. Sous le froid glacial d'une pluie battante, deux millions de jeunes, unis dans un recueillement et un silence palpable au moment de l'élévation du Saint Sacrement, entourent un vieil homme à cheveux blancs. Moment sacré s'il en est. A l’heure où les supputations les plus diverses et les plus folles vont bon train, un paramètre essentiel semble avoir été oublié : cette « génération Benoît XVI » qui s’apprête tout juste à prendre la parole. Qui sait quel monde elle décidera de bâtir ?

 

Béatrice Frotier 

 


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19 réactions à cet article    


  • pomme d’api 26 février 2013 19:27

    Quel Pape formidable !

    Issue de la génération Benoît XVI, je ne peux que lui être reconnaissante pour tout ce qu’il a fait pour l’Eglise et la jeunesse !




    • Béatrice Frotier Béatrice Frotier 1er mars 2013 16:18

      C’est vrai qu’il y avait à nouveau une foule de jeunes pour dire au revoir à Benoît XVI..on dirait que vous l’aimiez vraiment bien ! smiley


    • Sophie 26 février 2013 19:38

      Merci pour cet article passionnant. Benoît XVI est effectivement un pape qui laissera dans l’Histoire une marque indéfectible de paix et de sérénité. Il a su, avec une assurance tranquille transmettre et approfondir de manière lumineuse le contenu de la foi chrétienne. 

      A la suite de Jean-Paul II et dans le même esprit, il a grandement participé au rapprochement inter-religieux. 
      Il laisse une Eglise fortifiée et remplie d’espérance. 

      • FiSur 26 février 2013 20:51

        Oui, on peut dire que beaucoup ont eu du mal à le comprendre. D’ailleurs qui aurait pu prédire qu’il renonce à son pontificat ainsi ? 


        J’ai aimé cet article touchant. Je vous recommande de suivre le lien vers l’année de la Foi, on peut lire les écrits de Benoît XVI en « live », ce qui est plus sûr que par voix interposée. Quant à l’Opus Dei, c’est un quiz !! qui est à découvrir.

         C’est vraiment « un chef spirituel » comme l’a exprimé le président Obama. Il nous a tous laissé abasourdis par sa décision mais il nous a encore donné un exemple d’homme libre.


        • Rémy Mahoudeaux Rémy Mahoudeaux 27 février 2013 10:32

          Merci pour cet article, mais j’ai envie de rajouter deux choses :
          1) le concile Vatican II réel s’imposera en dépit des fantasmes du virtuel, mais cela prendra du temps.
          2) les écrits « au scalpel » de Benoit XVI sont d’une rigueur intellectuelle qui je pense fera date. 


          • Béatrice Frotier Béatrice Frotier 1er mars 2013 16:22

            Complètement d’accord avec vous. Ce pape marquera l’histoire de la pensée, et quant aux fantasmes du virtuel, ils finiront par se dissiper dans le vent...espérons tout de même que dans pas trop de temps ! Je sais bien que Dieu a l’éternité devant lui, mais nous.... smiley


          • Ariane Walter Ariane Walter 27 février 2013 12:10

            L’Eglise est confrontée à un problème difficile à régler.

            On sait que pour elle ,la sexualité n’est qu’un mode de reproduction et que qui ne veut pas d’enfants doit être chaste.

            Hétérosexuels et à plus forte raison les homos, acceptés , à condition qu’ils n’aient aucune sexualité !!!!

            Elle doit reconnaître la sexualité comme plaisir.

            L’homosexualité comme une forme naturelle de sexualité.

            Le mariage entre prêtres , même homosexuels, admis.

            La possibilité de prêtres mariés.

            Tant qu’ils n’en seront pas là, ils en seront au temps des Borgia où tout était interdit alors que tout était permis à ceux qui l’interdisaient . 


            • Aldous Aldous 27 février 2013 13:07

              Vous êtes croyante Ariane ?


              Sinon, qu’entendez vous par ’doit’ ?

              L’eglise doit elle selon vous obéir aux athées ?


            • mimicracra 27 février 2013 21:51

              De Rome où je viens d’assister à la dernière audience de ce Pape, je découvre cet article qui contient une vraie analyse, reposant directement sur les écrits et la parole de Benoit XVI. Ce Pape est un géant que beaucoup devraient lire plutôt que d’en parler. Il a su parler aux monde d’aujourd’hui avec des mots simples et donner aux jeunes, comme vous le dites, des clefs pour leur avenir.


              • Anne 28 février 2013 18:42

                Je viens de regarder les images de Benoît XVI arrivant à Castelgandolfo et rien qu’en voyant la foule sur la place, on comprend que Benoît XVI est un Pape qui a marqué l’histoire. Merci pour cet article !! 


                • laure klein 10 mars 2013 09:35

                  incroyable cette ultime audience !!! Convoquée au pied levé à la Place Saint-Pierre alors qu’elle était prévue salle Paul VI, elle a rassemblé 150 000 pèlerins arrivés du monde entier en 24h... pour être autour de leur Père, qui deviendra un frère quelques heures après.


                  Les média, interloqués ne savent plus « lire » tout cela. aucun culte de la personnalité, avec des vivats !!! et du coeur tout plein.... 

                  Le sel dans la pâte, quoi !

                  N’ayons donc pas peur ! et continuons tous de faire des ronds dans l’eau... l’onde de choc est invisible mais toute-puisante

                  • Jotajo 10 mars 2013 12:32

                    Rien de plus convainquant qu’une foule de 250 000 personnes concentrées place St Pierre une froide matinée d’hiver pour dire « à Dieu » à un Pape qu’ils admiraient.
                    Le reste, les élucubrations plus ou moins vaseuses sur son impact dansl’Eglise, ne sont que des prises de tête peu convaincantes.
                    J’étais là, place St Pierre, le 27 février, presque par hasard  smiley


                    • lasarette 10 mars 2013 18:29

                      Merci pour ce post ! Rien à dire, c’est clean ! Merci Benoît XVI !


                      • loulou 11 mars 2013 18:32

                        JMJ 2005, les pieds dans l’eau du Rhin, premier regard lancé sur cet « homme en blanc » dont je n’avais entendu parlé que par les grands titres post conclaves 2005 : alors c’est lui, le fameux « panzer cardinal » ? Un homme souriant, recueilli, visiblement un peu intimidé par cette foule bigarrée venue des quatre coins du globe jusque dans son pays natal - petit clin Dieu sympatique en ce début de pontificat. 

                        Alors c’est lui, la nouvelle « tête » de l’Eglise ? Cet homme pour qui le plus important est notre liberté ; et qui se place toujours derrière un autre : Jésus. 
                        Je ne sais pas laquelle de ses phrases m’a décidé à prendre au sérieux ces journées, comme beaucoup de ceux qui sont aujourd’hui fiers d’être « la génération Benoît XVI »...Mais c’était peut être bien celle-là : 
                        « Je salue aussi avec affection ceux qui parmi vous ne sont pas baptisés, ceux qui ne connaissent pas encore le Christ ou qui ne se reconnaissent pas dans l’Eglise. Le Pape Jean-Paul II vous a invités tout spécialement à cette rencontre ; je vous remercie d’avoir décidé de venir à Cologne. Certains d’entre vous se reconnaîtront peut-être dans le témoignage qu’Edith Stein donnait de son adolescence, elle qui vécut ensuite au Carmel de Cologne : »J’avais consciemment et délibérément perdu l’habitude de prier« . Durant ces journées, vous pourrez refaire l’expérience bouleversante de la prière comme dialogue avec Dieu, dont nous nous savons aimés et que nous voulons aimer en retour. A vous tous, je voudrais dire avec insistance : ouvrez tout grand votre coeur à Dieu, laissez-vous surprendre par le Christ ! Accordez-lui »le droit de vous parler« durant ces journées ! » 
                        Alors, une trace laissée dans l’histoire, bien sûr, mais une trace laissée dans nos vie aussi, non ? 
                        Et merci pour cet article ! smiley

                        • Béatrice Frotier Béatrice Frotier 12 mars 2013 10:06

                          Merci Loulou pour ce témoignage personnel ! Toujours très intéressant pour les « vieux » d’entendre la voix des jeunes smiley c’est à mon avis une des « paradoxes » de ce pape, et non des moindres, que d’avoir su parler directement aux jeunes. Cela risque de prendre du temps, pour que son message soit vraiment compris ? Oui, mais ceux qui auront la sincérité de s’atteler à la lecture de ses écrits en resteront estomaqués, à mon avis ! En particulier ça vaut le coup de lire sa catéchèse sur l’année de la foi (lire ici : http://www.vatican.va/special/annus_fidei/index_catechesi_annus-fidei_fr.htm) Une mine de réflexions détonantes, pour le monde contemporain, et à mon avis aussi une mine de pistes pour l’avenir !!


                          • Isabel Alvira 12 mars 2013 12:42

                            Cet article m’a passionnée ! Benoît XVI a été un immense cadeau pour notre société actuelle. Merci, Béatrice, de nous avoir rappelé, de manière si synthétique et percutante, ces idées maîtresses de sa pensée et de sa personnalité si riche ! 



                            • Anne 12 mars 2013 15:18

                              C’est malheureux, mais j’ai l’impression qu’ il faut lire les nouvelles (surtout celles concernant l’Église) avec un filtre ! Les média deforment la réalité. Vous pourriez écrire un article « conclave réel, conclave virtuel ». On a l’impression que l’election du Pape est une question de forces en présence, de jeu politique. Heureusement que ce ne sont pas les média qui votent...


                              • Béatrice Frotier Béatrice Frotier 12 mars 2013 19:07

                                C’est vrai, bonne idée d’article ! En même temps je trouve que certains médias ont bien bossé BFM TV par ex smiley et puis IL Y A DES GENS QUI COMMENCENT A REFLECHIR ET LIRE PAR EUX MEMES !! (ça c’était la bonne nouvelle du jour.. smiley Ca va plutôt dans le bon sens, non ?


                                • MT Bellocq 13 mars 2013 18:57

                                  Merci Béatrice pour cet article passionnant ...qui remet les pendules à l’heure !!! et fait prendre conscience de l’héritage de ce Pape !!! Compte-tenu de l’actualité de cette semaine... d’autres articles aussi percutants sont attendus !

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