Être païen aujourd’hui, à propos des celtismes français
De nos jours, il n'est pas évident d'être croyant. Tout court. L'époque ne s'y prête pas. Du moins en France, avec 60% de « carnants » : carnant, c'est le terme que j'emploierais plutôt que incroyant, mécréant, infidèle, etc. En effet, on ne voit pas pourquoi il faudrait qu'ils soient privés de croyance et de fidélité. Quelque part, ils croient en leur carne avant tout, or la carne ne donne pas accès au spirituel ni au divin. Par contre, ce qui donne accès au spirituel et au divin, c'est comme un sixième sens. Une croyance.
Croyance, du latin credere, qui se rapporte au cœur. Pour commencer, croire, c'est être persuadé que la carne ne suffit pas. Croire, ce n'est pas forcément déborder l'univers par l'esprit, même si c'est une possibilité quand le spirituel et le divin proposent une transcendance ou un absolu – qui semblent extrêmes et totalitaires, au fond (comme c'est le cas des unithéistes – juifs, chrétiens, musulmans). On peut croire, même quand ça reste dans l'ordre de l'univers. Toutes les croyances (dans un spirituel, un divin) ne cherchent pas l'origine ni la fin abstraite. Il y a des croyances qui restent, disons, « cosmiques ». C'est très courant dans le new age psychédélique, si déluré.
Notre époque ne se prête pas à la croyance, c'est pour cela que les unithéistes peuvent se faire passer pour à contre-courant, à rebours, à contre-temps, de nos jours. De plus, c'est aussi pour cela que les « carnants » et tous les scientistes (croyants en la science) peuvent se donner pour les plus judicieux. Pourtant, il y a des personnes empiriques voire scientifiques, qui sont croyantes. L'un n'empêche pas l'autre. Par le passé, mais surtout en dehors de France, beaucoup de personnes empiriques voire scientifiques furent et sont croyantes. C'est ainsi, il n'y a pas besoin de « profession de foi carnante » pour rester empirique voire scientifique, même si les « carnants » trouvent cela saugrenu, et qu'ils sont bien obligés de constater, empiriquement voire scientifiquement, d'autres professions de foi croyantes.
Mais alors, quand on se prétend païen – c'est-à-dire essentiellement polythéiste et panthéiste – on passe pour « vraiment à l'Ouest ». D'ailleurs, c'est le cas de le dire, « à l'Ouest », puisque le polythéisme et le panthéisme français se concentrent surtout dans les celtismes. Celtismes, qui eux-mêmes semblent surtout concentrés en Bretagne (druidiques) et en Normandie (vikings). Et pourtant, les païens français ne sont pas forcément bretons ni normands, pas plus quand ils sont druidiques que vikings. Explications.

Source internautique
Être païen aujourd'hui, comme beaucoup de choses, c'est un choix. Mais, évidemment, comme tout choix, ses motivations ne sont pas toujours simples, surtout qu'il s'agit de croyance : de manière générale, être croyant, ce n'est pas évident, nous l'avons dit.
Même s'il arrive que croire nous « tombe dessus » comme une évidence, les choses se compliquent dès qu'on cherche à les raisonner, et de toutes façons si l'on pouvait parler de croyance clairement, cela fait longtemps qu'on en aurait des preuves. Au lieu de quoi, on n'en a que des épreuves (des « éprouvements »), et des témoignages. Bizarrement, cela s'éprouve parce que nous sommes carnés a priori. C'est la raison pour laquelle les « carnants » disent que les croyances sont psychiques/nerveuses, voire psychiatriques/neuropathologiques.
Pourtant, il n'y a aucune raison de refuser de croire, et préférer ne faire que « carner ». C'est pour cela, que bien des personnes renoncent à se poser la question de la « carnance » ou de la croyance : elles se disent que c'est indécidable, et on les dit agnostiques, littéralement ne sachant pas. C'est un choix, évidemment, mais il semble manquer de cœur, au fond, au viscéral de la « carnance » comme au magistral de la croyance. Ça semble un peu lâche, sans courage, mais surtout ça permet de ne pas y réfléchir : c'est moins prenant. Passons.
Archéofuturisme des païens
Être païen aujourd'hui, pour commencer, ça semble présenter l'avantage paradoxal d'être plus « carnant » que les croyances unithéistes (juives, chrétiennes, musulmanes), d'autant plus que les croyances païennes – comme leur nom l'indique – font référence au paysan, au pays, au terroir, au paillard, au carné. C'est un fait, que les païens s'éprouvent plus carnés que les unithéistes, car le polythéisme des dieux raconte des histoires sensuelles voire cruelles, et le panthéisme éprend fatalement notre carne en la spiritualisant et la divinisant. C'est bien pour cela, que je parlais de « croyances à caractère cosmique » en en-tête, face à des croyances plus transcendantistes et absolutistes. Chez les païens, on retrouve beaucoup plus d'écologues et de pugnaces, c'est conforme aux rêvasseries actuelles, autour des Histoires païennes : d'abord, parce que la Terre était moins peuplée, plus sauvage, et ensuite parce que les hommes s'affrontaient plus souvent réellement.
Ainsi, pour commencer, être païen aujourd'hui, c'est avoir le sentiment – régulièrement new age – de « se reconnecter à la Terre », « faire un retour aux sources », « être authentique », « retrouver son courage et sa bravoure ». Il y est d'ailleurs régulièrement question d'un masculin sacré – au risque de passer pour masculiniste – en plus du fameux féminin sacré, dans des termes paritaires puisqu'il y a eu un droit paritaire dans l'Ancienne Europe d'avant l'unithéisme ; des guerrières et des reines influentes. Être païen aujourd'hui, est d'autant plus plaisant qu'à « la magie des origines » – « origines méconnues » – vient se joindre une part de féminisme. Bref, être païen aujourd'hui, est à la fois quelque chose comme « identitariste » (disons enraciné) et quelque chose comme « progressiste » (disons moral, dans le vent).
Le plus étrange même, c'est que les Anciens Européens sont à décoloniser (retrouvez votre âme profonde !) : car, colonisés par les impériaux romains comme les unithéistes juifs, chrétiens et musulmans … les Anciens Européens s'apparentent aux peuplades africaines, amérindiennes et hindoues devant les Européens Modernes. Les païens ont tout pour eux, donc, encore qu'ils importunent par leur blanchitude peu mondialiste : ils importunent à la fois les antiracistes, qui ne savent pas les stigmatiser autrement qu'en les associant bêtement à l'estrèmdrwate comme toujours (par exemple, Guillaume Faye) ainsi que les mondialistes déterritorialisants associés à l'antiracisme, mondialistes qui pourtant sont un danger même pour les décolonialistes. Mais la vérité, c'est que les païens d'aujourd'hui sont les véritables alliés des peuples de la Terre, car ils se reconnaissent pour partie des leurs, face à l'euro-américanisation moderne.
Tout ceci brasse forcément très large. C'est bien la force des païens d'aujourd'hui, puisque, comme toute religion, cela charrie l'humanité pour le pire et pour le meilleur, en long en large et en travers, fourre-tout pêle-mêle. Il faut bien du ralliement, même les « carnants » le voient bien empiriquement. Être païen aujourd'hui, c'est archéofuturiste.
Les Celtismes français
Tout à l'heure, entre les celtismes français, j'évoquais la Normandie anciennement viking. C'était pour faire plaisir aux Néo-Vikings de ma connaissance, mais on sait bien qu'ils se font moins connaître que les druidisants. C'est que les druidisants, bon an mal an, cherchent à se constituer en « Église », tandis que les Vikings ne sont pas connus pour leur « œcuménisme ». De plus, il faut bien noter que les Vikings viennent 500 ans à 1000 ans après les Celtes qui ont connu l'empire romain. En fait, les Vikings sont quelque chose comme des descendants celtiques du Nord européen. Les derniers à avoir été colonisés, après l'empire, par l'unithéisme romain féodal, c'est-à-dire les restes de l'empire. Pourtant, plus récents, les Néo-Vikings sont plus actifs que les druidisants en Europe, avec l'Asatru (littéralement : la foi dans les Ases, catégorie de dieux vikings) mais Odin, dieu prégnant chez les Vikings, a bien des caractères similaires au Lug gaulois des siècles auparavant : dieu magicien, poète, savant et guerrier tout à la fois. C'est dire la parenté. Qui, de loin en loin, remonte aux Indo-Européens.
Les druidisants sont extrêmement associés à la Bretagne, elle-même associée à la Grande Bretagne et à l'Irlande, et de fil en aiguille au monde anglo-saxon. Ce monde lui-même, comporte donc des tentatives de reconstructionnisme païen. Mais nous devons surtout à Astérix le Gaulois, ainsi qu'à l'activisme culturel breton, toute l'imagerie celtique, entre Alan Stivell, Tri Yann, Manau et Matmatah. Reste qu'anciennement, les impériaux romains n'ont jamais colonisé l'Irlande ni l'Écosse, et que la tradition se serait continuée dans ces régions d'Europe dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, avec le légendaire barde Taliesin suivi des triades bardiques faisant, en fait, référence à un fond commun indo-européen peu différencié et rejoignant même les Védas indiens (le chiffre trois, la prégnance de l'idée de trinité, que l'on retrouve évidemment dans le christianisme).
C'est donc le christianisme irlandais qui s'est chargé de l'Ancienne Celtitude locale, par exemple dans le Lebor na hUindre, relatant l'histoire mythique des anciens dieux, Tuatha dé Danann, les tribus de la déesse Danu. Mais ce texte et ceux qui l'accompagnent, datent déjà du XIIème siècle, c'est-à-dire à une période même ultérieure aux Vikings. On peut certes y fleurer un parfum d'Ancien Europe celtique, et cela sert beaucoup la recherche pour interpréter les divinités celtiques dégottées çà et là partout en Europe archéologique. Il en va de même des branches galloises, rédigées à la même époque que la fameuse matière de Bretagne, notamment les légendes autour du roi Arthur – Arthur, qui aurait vécu à la charnière de l'empire romain et de l'âge féodal, comme on voit cela mis en scène dans la sixième saison de Kaamelott, d'Alexandre Astier.
Des Complications d'influence
En fait, tout ce druidisme paradoxalement chrétien est l'équivalent, si vous voulez, des substrats païens d'Amérique Latine anciennement inca, maya, aztèque, etc. : en Amérique Latine, mélangé au christianisme, on retrouve tout un folklore magique hérité, reconstruit et cultivé, des anciennes civilisations précolombiennes. Nous pouvons dire que c'est exactement la même chose au Moyen-Âge, avec ce christianisme celtique ou ce celtisme chrétien.
Dès lors, il n'est pas étonnant qu'aujourd'hui un ordre druidique tel que la Manred, assume sa chrétienté essentielle. La vérité, c'est que l'esprit chrétien – et plus généralement unithéiste : judéo-chrétien et musulman – a tout imprégné depuis. On le sent dans les triades bardiques déjà citées : il est question d'un Dieu unique, même trinitaire. Les musulmans peuvent s'y opposer – à cette trinité, – qu'ils retrouvent pourtant cela d'une manière ou d'une autre.
En effet, je parlais tout à l'heure de racines indo-européennes. Ces racines remonteraient, donc, jusqu'au védisme indien, à s'être perpétuées dans l'hindouisme où le souffle primordial se manifeste dans trois avatars divins. Or l'islam a été largement en contact avec l'Inde, au point de reconnaître un auteur ésotériste tel que René Guénon, converti à l'islam. René Guénon s'inspira beaucoup de l'hindouisme, bien qu'il se convertit à l'islam sunnite soufi d’Égypte. Passons sur ses aspects nazifiants, l'essentiel est de dire que de telles spéculations ont abouti à un ordre druidique guénonien (dit « de la Tradition primordial »). Comme quoi, le monde est petit … Oui, le monde est petit, et il y a de quoi en perdre son latin – je veux dire son celtique … Car, de fait, les celtismes se perdent tout en s'y retrouvant et se diffusant, dans toutes ces tendances.
Ne manquait que la franc-maçonnerie
Avant tout, ces tendances contemporaines n'auraient pas connu autant de succès si, au XVIIème siècle, le franc-maçon écossais John Toland n'avait pas relancé la machine. C'est ce rationaliste qualifié de libre-penseur, qui refonda le premier une loge à caractère druidique, dans l'esprit patriarchique chrétien de l'époque, encore que progressiste pour son temps. Rares sont les ordres druidiques contemporains qui se passeraient d'une référence à John Toland, et pourtant rien de plus ambigu qu'une référence à John Toland – à cause, justement, de son franc-maçonnisme et de son rationalisme bizarres face à l'imagerie druidique … une imagerie qui elle-même, dépend des erreurs archéo/historiennes de l'époque ! … où l'on comprend néanmoins, que cela puisse aujourd'hui se rallier au guénonisme sans problème (les deux se veulent initiatiques, comme le druidisme).
Il y a aussi une référence semble-t-il incontournable à Iolo Morganwg, dans la veine de John Toland, servant parfois à se distinguer de ce dernier, comme c'est le cas de l'actuel Collège Druidique Traditionnel. Entre reconstructionnisme culturel et occultisme initiatique, tout cela fait un sacré chantier.
Vive le druide Panoramix ?
Ce sacré chantier redevient, néanmoins, extrêmement rassurant dès qu'il se rattache à l'imagerie bretonne la plus répandue. Cette imagerie bretonne est largement portée par la Gorsedd de Bretagne pourtant héritère de John Toland. Cela pour le meilleur, encore qu'il s'agisse d'une association folkloriste et touristique se réunissant dans la nature. Similaires, des associations telles que la CillDara, école druidique et spirituelle de reconnexion à la Nature Sacrée, ou encore les membres du groupe Druides, philosophes d'hier, d'aujourd'hui et de demain, tenu par un Corse ainsi qu'un membre de l'OBOD, ordre des bardes, ovates et druides. Le new age n'est jamais loin, et avant tout l'écologisme.
Dans toutes ces histoires, même si des filiations néo-traditionnelles se créent, nous avons largement affaire à des druidismes contemporains, bordéliques comme l'idée d'une Gaule turbulente, réjouissants comme l'imagerie gauloise, dont certains cherchent manifestement à faire dans le new age afin de rentabilité, en accentuant le fourre-tout. L'OBOD, très clairement, n'a aucun scrupule à tout amalgamer : cela ne ferait qu'améliorer sa réputation d'« ouverture d'esprit » … « Ouverture d'esprit », à laquelle semble souvent se résumer les druidismes contemporains, ou du moins les personnes qui s'en réclament – comme si elles sortaient tous de Woodstock ou bien d'une initiative rurale utopique post-soixante-huitarde, comme dans le téléfilm Nés en 68 avec Laetita Casta.
Des Celtismes érudits
Car enfin, le véritable druidisme – pour ce qu'on en sait archéo/historiennement – n'a jamais été un phénomène pan-celtique ni même interceltique. Il naît vers le IIIème siècle avant Jésus-Christ en Belgique, et court doucement jusqu'au premier ou deuxième siècle dans le continent en passant par les îles, sans se répandre à échelle européenne, en dégénérant dans les milieux ruraux sous le coup de la romanisation qui le combattit pour anti-romain. C'étaient les réseaux druidiques qui, en effet, avaient servi Vercingétorix dans son ultime sursaut anti-romain, et de toutes façons eux, les druides, qui portaient une philosophie religieuse caractérisée. Cette philosophie croyait en l'immortalité, ainsi qu'en un autre monde, comme probablement l'ensemble des Celtes même animés par d'autres types de prêtres, mages, devins et sages (il n'y a pas de honte à ne pas être druide) : autant d'éléments que ne portaient pas avec eux ni la religion romaine, ni le judéo-christianisme originel. Le christianisme est un unithéisme fortement influencé par le celtisme, avec son invention de paradis, reprise par les musulmans sous l'appellation de vie future …
Les anciens druides constituaient comme une religion instituée, avec ses sacrifices animaux. Les sacrifices humains étaient d'une grande rareté, uniquement là pour ce qui engageait le devenir guerrier de la civilisation, or il était aussi pratiqué par les Gréco-romains aux époques archaïques. A la limite, des personnes pouvaient d'elles-mêmes s'offrir en sacrifice aux dieux celtes, dans des suicides rituels qui leur servaient surtout à pouvoir redistribuer un pécule pour les leurs, avant de les quitter, grâce à des solidarités druidiques. Bref, les Celtes n'étaient pas aussi effroyables qu'on ne le pense, à ce niveau, depuis nos mœurs humanitaires simili-chrétiennes.
Eh bien, des druidismes contemporains cherchent à se reconstruire de façon ainsi érudite, sans sacrifice humain évidemment puisque c'est interdit par nos lois simili-chrétiennes, humanitaires. Il s'agit essentiellement du Réseau Gaulois et de la Kredenn Geltiek Hollvedel, et son forum en ligne Druuidiacto, situés du côté de Toulon.
Avec elle, on remarque tout de suite que le « charme » new age est rompu, et que tous enthousiasmes militants tombent à plat. C'est une bonne chose sous un angle mais, sous un autre angle, elle ne pousse pas sa politisation jusqu'au bout. En effet, les anciens druides ressortaient de l'aristocratie, formés pour plusieurs années au statut de druide, et finissaient par s'engager politiquement, comme pour le soutien à Vercingétorix. Car il faut bien prendre conscience que les anciens druides étaient acteurs de leurs territoires, en leur temps. Aussi les celtismes érudits d'aujourd'hui ne vont-ils pas au bout de leurs conséquences, par souci apartisan, et se dépolitisent.
De toutes façons, on voit mal comment ils pourraient ressortir d'une aristocratie, aussi y a-t-il bâtardise historique néo-traditionnelle. A noter cet article, de Gottfried Yann Karlssohn, administrateur du Réseau Gaulois : les Vraies sources de la tradition celtique, qui vaut vraiment le coup. Avis aux curieux.
Outsiders païens
Restent enfin des initiatives druidiques éparses çà et là, de la part d'outsiders qui pourraient aussi bien s'être auto-proclamés « druides contemporains » – ce qui n'est pas forcément pire ni meilleur qu'un légendaire Taliesin, que de controversées triades bardiques, que des christianismes celtiques avant tout insulaires (breton, brittonique, irlandais), qu'un franc-maçon John Toland, ou qu'un littéraire Iolo Morganwg. Le fait est que votre serviteur est près d'être l'un de ces francs-tireurs néo-celtiques comme il y en a d'autres. Que valent-ils, en dehors la foi qu'ils ont en eux-mêmes ? Il faut le sentir, comme dans toute religion. Les Anciens Dieux de l'Europe vivent toujours, le Grand Pan n'est pas mort.
Bilan provisoire
De toute évidence, pour l'heure, les celtismes français sont un mic-mac assez impressionnant de néo-chamanisme, spiritisme, occultisme, franc-maçonnisme, écologisme, spiritualisme et reconstructionnisme érudit. Un mic-mac impressionnant, mais non moins underground dans son genre « ouvert d'esprit », touristiquement attractif (comme n'importe quelle religion), mais aussi rêvasseur, et fervent. Comme le christianisme d'Amérique Latine, comme tout l'ésotérisme de nos rayons de librairie, c'est un vaste enthousiasme ou amalgame plus ou moins harmonieux, plus ou moins rentable, plus ou moins bâtard, plus ou moins spirituel, plus ou moins sérieux. La religion ! …
Les celtismes actuels, en France, ne nous le cachons pas, sont communément festivaliers, ou bien propres à certains milieux plutôt geek. Entre festivals médiévaux, festivals interceltiques et groupes de musique celtisantes çà et là – jusqu'au niveau national, avec la « Star Académicienne » Nolwenn Leroy – les celtismes passent pour festifs, donc, profondément christianisés, par exemple avec les feux de la Saint Jean ou les bières de la Saint Patrick. C'est de l'ordre du folklore, pétri d'un néo-traditionalisme où se disputent les fantaisies, la fantasy, le conte merveilleux et l'Histoire légendaire. Néanmoins, la question de savoir « qu'est-ce qu'être vraiment païen ? » se pose avec autant d'acuité que pour toute autre croyance. Et la réponse est qu'il n'y a pas de réponse, sauf à sombrer dans l'intégrisme (mais qu'est-ce que l'intégrisme, sinon une vaste comédie de la croyance ?). Ici, l'intégrisme serait de nature protochronique : c'est-à-dire qu'on cherchait en vain un temps originaire ou une tradition primordiale (qui tourne si facilement au complotisme historique comme quoi des sociétés secrètes auraient perpétué la tradition), même à travers l'historisme le plus scrupuleux des celtismes érudits. Car il n'y a pas de « vraie époque claire, distincte et unifiée » à laquelle se référer. Il n'y a pas d'âge d'or même Ancien.
Au reste, tous ces groupements sont aussi claniques que leurs ancêtres gaulois. C'est-à-dire que, comme dans toutes associations, les personnes finissent plus ou moins par marmonner les unes contre les autres, à se tolérer tout en se divisant, à se rassembler quand elles se ressemblent. C'est ainsi. En effet, tous les groupes dans j'ai parlé se respectent tout en se désaimant, à s'en vouloir plus ou moins pour ceci ou pour cela, à se demander au fond qui est le plus authentique de tous. Mais le plus essentiel est qu'ils manquent d'implantation, et de financement.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation assez cocasse, puisque toute la branche bretonne, brittonique et irlandaise peut se réclamer d'un héritage celto-chrétien assez manifeste, et c'est d'ailleurs sur cette base-là qu'elle mérite sa réputation folklorique. Pourtant, cela ne veut pas dire que ces druidismes-là soient les plus scrupuleux à l'égard de la donne archéo/historienne à disposition. Néanmoins, il y a une hérédité, il ne faut pas se le cacher, aussi légère serait-elle (de littérature chrétienne).
Viennent alors toutes les tendances initiatiques, ésotéristes voire occultistes, dont personne n'est pourtant jamais revenu avec des pouvoirs surnaturels manifestes, aussi peut-on toujours se demander quels « secrets » ils recèlent, que cela ne fait qu'alimenter le romantisme celtique. Ce romantisme, que l'on retrouve particulièrement dans les celtistes de fantasy ou encore néo-chamaniques, chacun dans leurs genres. Il s'agit de cultures essentiellement populaires, dont certaines recèlent des exigences. C'est que les anciens druides étaient bien philosophes, astronomes, et précisément astrologues. Ils administraient bien des aspects « intellectuels » de l'Ancienne Europe : ce que manifestement l'administration française ne leur cédera pas, en dehors d'une éventuelle reconnaissance du culte, comme d'autres pays d'Europe et pour d'autres religions.
Aussi les druides en sont-ils plus ou moins réduits au statut de « prêtres » et « moines » de la forêt, bon an mal an, avec leurs druidesses archéo/historiennement introuvables : les anciens druides étaient masculins, les femmes occupant essentiellement des fonctions d'adjointes du culte, mais aussi de « nonnes », et de magiciennes, voyantes, devineresses puissantes. Pas étonnant que tout cela se mélange avec l'ésotérisme vulgaire de nos jours, indistinctement. C'est « de la magie ». Y trouveriez-vous votre bonheur ? … Si éclectique bonheur ! Bonheur démocratique et laïc, actuellement.
Valeur de la laïcité
De fait, la laïcité, pour principe politiquement neutre envers les religions qu'elle soit, est spirituellement polythéiste mécréante, à laisser être et advenir tous les cultes par liberté de conscience, sans en élire aucun. Qu'elle le veuille ou non, la laïcité n'est pas anodine. A minima, elle fait culturellement sens dans une direction plutôt qu'une autre (direction polythéiste mécréante). Or, dans ce contexte, être païen aujourd'hui que le christianisme recule en Europe, est significatif. Territorialement auto-immune, au plan géopolitique.
Les puissances de l'inconscient collectif
Car au milieu de toute cette richesse foireuse, mais néanmoins richesse, il est encore une dernière forme de celtisme, courante à travers tous les autres selon amateurs plus ou moins connaisseurs. C'est celle inspirée par la psychologie archétypale de Carl Gustav Jung, psychiatre suisse, zurichois, un temps disciple de Sigmund Freud avant que de choisir sa propre voie : Carl Gustav Jung reconnaissait au psychisme une tendance religieuse, non-maladive. Pour cela, on l'accusa de mysticisme, mais il resta spirituellement empiriste. Néanmoins, Carl Gustav Jung faisait beaucoup d'anthropologie comparée, et peut être rattaché aux tendances syncrétistes et ésotéristes, de type « temps originaire » ou « tradition primordiale ». Sur ces points, nous ne le suivrons pas ici.
Ce pour quoi nous le suivrons, c'est dans sa reconnaissance onirique et mentale, de tendances religieuses à l'âme humaine, caractérisée par de grands axes qu'il nommait des archétypes de l'inconscient collectif – ou des dispositions à produire des mêmes schèmes de sens, sous différentes formes culturelles ou par différentes personnes. C'est une façon scientifique de le dire, qui n'a d'intérêt que momentané, pour la démonstration. C'est-à-dire que l'être humain est sujet a des puissances vécues, expérimentées, des puissances « d'éprouvement », culturellement caractérisées.
C'est cela, précisément cela – ces expériences de puissances culturellement éprouvées, – à quoi nous reconnecte l'être-païen d'aujourd'hui. Qu'il se manifeste à travers une « méditation » dans l'honneur des dieux, ou bien à travers la participation « chamanique » à la nature, il se passe là quelque chose d'effectivement païen, plus ou moins politique, plus ou moins simili-chrétien/humanitaire … c'est que l'influence chrétienne est extrêmement présente, depuis l'an mil où l'on recopia les écrits celtisants d'époque. On se débarrasse comme on peut de ses apitoiements, de son martyre et de sa coulpe. On ne se défait pas si facilement de l'unithéisme et sa tendance à l'humiliation, jusque dans les prétentions à « l'ouverture d'esprit » et à « la sincérité croyante ». Bien des pratiques « magiques » ne sont en fait que des façons de rejouer une messe verte, et un altermondialisme simili-chrétien.
Et pourtant, il se joue là quelque chose de plus profond. L'ancien druidisme disait : Honore les dieux. Ne fais pas le mal. Deviens courageux. C'est quelque chose de peu chrétien que cet honneur, ainsi que ce courage, en vérité, car l'unithéiste en général n'honore pas : il prie et se recueille pour se culpabiliser ; l'unithéiste se désespère de faire le bien, il ne se contente pas d'éviter le mal, et culpabilise ; l'unithéiste n'a pas besoin de courage, tant qu'il se croit gracié par son dieu de la culpabilité. Mais le païen ne s'humilie pas ainsi, il n'en a pas besoin car il ne comprend pas comment il serait coupable avant d'avoir mal agi – et pourtant, il ne se prend pas pour Dieu. Tout ce qu'il cherche, c'est à déployer son potentiel.
La démarche spirituelle doit être sincère mais peut évidemment, comme dans toute religion, être feinte et jouée par comédie humaine. C'est humain. Néanmoins, le païen se sent moins en demeure de surjouer que le chrétien, car il ne sera pas puni s'il n'imite pas ses confrères dans la foi. Deviens courageux. Les dieux honorent les hommes en retour, en les laissant faire leurs preuves à leur humaine mesure, par-devers leur puissance spirituelle. Mais si ce ne sont pas les dieux, alors la Nature que nous sommes s'exprime, voilà tout, panthéiste, et manifestement elle ne cherche pas autre chose que notre avènement jusqu'à la mort.
Maintenant, ceux qui s'ennuieraient de cet article peuvent arrêter leur lecture. Pour les autres, je n'ai qu'à suggérer mon « éprouvement » archéofuturiste celtiste.
Témoignage
Morrigan, ou Morgane, déesse de la Terre, est la déesse des eaux, des mers, des océans, des lacs et des rivières avant tout, car la Terre est la planète bleue. Des eaux émane tout ce qui sourd terriblement et nous aiguillonne jusqu'à nous ravaler à la mort. Morrigan est la Terre-Mer, bien avant que d'être la Terre-Mère. C'est que la Terre comme terre, sol, continent, est d'abord de Cernunos, le dieu-cerf, dieu cornu, dieu Pan du monde celtique, de la faune et de la flore, jusque dans ses instincts les plus saillants, sa sève montante, sa puissance sombre, son printemps et son automne, sa naissance, sa mort et sa renaissance. Mais, en fait de sombreur, le dieu souterrain Dis Ater est comme un dragon, à veiller les morts et couver son or, pour la simple raison que l'or est synonyme de temps mort, de travail effectué, terminé et disparu, figé dans l’œuvre finie. Mais l'ouvrage resplendit, et celui qui l'effectue n'est autre que Lug, dieu stellaire, dieu des multitudes d'étoiles, compétents dans tous les arts & métiers et sans lequel n'adviendrait pas le monde proprement humain, dans la compagnie de Brigantia la très haute, artiste et inventrice. Ce monde est protégé par Ogmios, souverain combattant, sous la protection d'Anna, déesse de la grande Nuit, la Nuit sans nom, celle sur le fond de laquelle tout se trame dans l'espace infini … Ceci n'est qu'une brève fable de ce que j'éprouve parfois dans mon for intérieur, selon, dans mes balades, mes méditations et mes réflexions. « Car les dieux aussi, philosophent », disait Friedrich Nietzsche, dans Par-delà bien et mal.
De temps en temps néanmoins, il faut savoir leur faire des sacrifices. Ce n'est pas un hasard, si l'on jette régulièrement encore des pièces de monnaie dans les fontaines, d'ailleurs … mais il faut savoir sacrifier, réapprendre à sacrifier, au besoin. Les anciens Celtes détruisaient parfois du matériel fiable et précieux, et l'on enterrait les princes avec nombre d'attirail. Côté viking, on a récemment découvert tout un drakkar en guise de tombe ! …
Il faut savoir concrètement, physiquement, réellement, opérer des sacrifices. Aussi singulier que ce soit, riches ou pauvres, à la mesure de nos moyens, il faut savoir jeter de l'argent par les fenêtres, détruire des biens qui nous importent ou bien, si votre tempérament simili-chrétien/humanitaire domine encore, il faut savoir céder aux associations caritatives même pour rien, même quand aucun surplus ne se fait sentir, savoir donner plus de quelques centimes à la quête ecclésiale – les curés seront contents, même si l'Église vaticane n'en a pas besoin en vérité.
Il n'y a que dans le sacrifice, que l'on devient véritablement libre, ainsi que Belenos, dieu resplendissant, nous libère la voie. La lumière naturelle se donne libéralement. Il faut être véritablement libéral, il faut pratiquer des libéralités jusqu'à l'absurde, ainsi que dans les banquets anciens, où les riches et les nobles accédaient à toutes les requêtes populaires, pour la gloire de tous. Il faut perdre, pour se trouver. (Et le chrétien de venir en disant que c'était pourtant quelque chose qu'on lisait dans les évangiles : « donnez, et vous recevrez au centuple » … peut-être ! Mais ce n'est pas d'invention chrétienne, et surtout ce n'est pas fait pour humilier ni culpabiliser, si non.)
Vraiment, le celtisme vit toujours, en Europe et dans tous les pays d'influence européenne. Sous un angle même, on peut voir dans cette morale la morale de Henry Ford, qui s'exclamait qu'il fallait investir, pour gagner plus – même si gagner plus n'était pas le but des Celtes. Et de toute façon, la civilisation technicienne des arts & métiers, c'est l'européenne, pour le meilleur et pour le pire. Qu'on le veuille ou non, le celtisme, c'est nous tous encore toujours, jusque dans notre système bancaire morbide. Hélas, si notre civilisation se souvenait d'elle-même, et en l'occurrence du dieu Dis Ater, elle saurait mieux se gérer, et elle sacrifierait tous ses ors, en l'honneur de tous les dieux et du Tout lui-même – jusqu'à sa trame obscure.
Voilà rapidement « mon » « druidisme », comprenne qui peut son « secret », instruit par « l'inconscient collectif » – je veux dire par son cœur.
Sur le même thème
La Religion celte : digressions mythographiques et historiologiquesDes Druides et celtisants contemporains parlent : "la wicca celtibera", religion wiccanne celtibère
Des Vikings et nordisants contemporains parlent
Rentrée littéraire 2022 : des ouvrages vikings et gaulois !
Honneur aux juifs ! et d'avance : Joyeux Noël à tous les monothéistes
78 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON