Jean Meslier, plus fort que Jésus-Christ !
- Meslier ? C’est qui ce type ?
- Un curé athée, matérialiste et révolutionnaire... Né dans les Ardennes française le 15 juin 1664 et mort au début de l’été 1729.
- Connais pas…
- C’est normal.
Il y a quelques années, Michel Onfray nous l’avait esquissé dans son « Traité d’athéologie » ce qui pouvait malencontreusement nous conduire, vu la paupérisation du personnage, vers l’autoroute d’un raccourci. La version édulcorée et dépeinte par Voltaire (on y reviendra)...
Mais, ô (demi) miracle, j’ai eu l’occasion d’assister à une conférence organisée par « les Athées de Belgique ».
Serge Deruette, spécialiste passionné de ce passionnant prêcheur contre prêcheur atypique et précurseur, nous présentait son livre « Lire Jean Meslier,… » passerelle vers le témoignage intemporel de ce diable de curé.
Avant de passer à table et en gage d’honnêteté, je vous dois une petite parenthèse au sujet de l’auteur Serge Deruette. Non, ce n’est pas un pote qui m’a demandé de faire la promo de son livre et oui, je l’ai depuis rencontré avec bonheur autour d’un bon repas et j’ai bon espoir que l’on casse encore la croute ensemble. Fin de la digression digestive.
Lire Jean Meslier. Une porte qui s’ouvre sur un des oubliés de l’Histoire. Un homme mis de côté par ceux qui avaient le privilège de l’écrire... Heureusement, celui qui creuse sa propre tombe, laisse des traces.
L’appétit défunt revient en mangeant… Après cette mise en bière apéritive, comme plat de résistance pour un tel résistant, je me devais d’attaquer, l’eau à la louche, cet ouvrage savamment cultivé…
Tant que j’en ai encore le goût en bouche, en voici le bouquet persistant :
On pourrait dire de Meslier que c’est un homme qui a reculé pour mieux sauter. Son savoir, il le doit à sa position et surtout à son analyse critique du système qu’il représente. Son défaut ? Être en avance sur son temps, même les Lumières n’auront pas son éclat. Voltaire (on y revient), sacralisé depuis, ne l’avait d’ailleurs compris qu’à moitié. A tel point que son outrecuidance le poussa à couper sous son ciseau déiste une œuvre athée, à réduire à la critique déicole un argumentaire matérialiste bien étoffé, à dénaturer un texte qu’il n’avait pas pondu. Voltaire nous parla d’un testament d’une soixantaine de feuillets quand Meslier nous laissa un mémoire et un « Anti-Fénelon » représentant plus d’un millier de pages.
Meslier, un révolutionnaire, parce que dans cette littérature de 18 siècles, il est bien un des seuls à s’adresser au peuple et pas à l’élite aristocratique. Son “Mes chers amis” est sans équivoque, il s’adresse à sa paroisse, à ses frères de déroute...
Serge Deruette nous explique aussi (p.32) : “Meslier est le premier penseur à réunir en une seule et même conception du monde et de la vie, l’athéisme, le matérialisme, le communisme et la pensée révolutionnaire”. Le tout dans une conception achevée, il n’y a qu’à se servir... Un vrai précurseur qui récusa la magie noire quand Holbach s’adonnait encore à l’astrologie. “La France trouve en lui le premier théoricien qui ait combiné son exigence de communisme avec celle de la révolution conçue comme nécessité pratique” (p.36)
Meslier démonte le christianisme et les religions monothéistes simplement en trempant sa plume dans l’encre du bon sens et de la logique. Il ne donne pas des arguments, mais huit preuves. Quand une seule devrait suffire...
Première preuve :
Les religions “ne sont toutes que des inventions humaines” et se contredisent entre elles...
Deuxième preuve :
La foi qui “sert de fondement à toutes les religions ” se fonde sur l’imposture des miracles, et particulièrement, dans le christianisme, sur l’imposture de l’incarnation et les contradictions des Evangiles.
Troisième preuve :
Les “prétendues visions et révélations divines” sont des fables trompeuses, les sacrifices bibliques d’animaux sont des pratiques barbares et celui de Christ est une aberration.
Quatrième preuve :
Les « prétendues prophéties de l’Ancien testament » (et celles tout aussi fausses des Evangiles) ne sont pas réalisées, elles ne prouvent rien et ne peuvent pas non plus être considérées comme des histoires symboliques.
Cinquième preuve :
Le christianisme présente « des erreurs » aussi bien dans « sa doctrine », comme la reconnaissance de trois dieux en un seul, l’idolâtrie – celle surtout des « dieux de pâte et de farine »-, la toute-puissance d’un Dieu pourtant insatisfait et colérique, que dans « sa morale », celle qui prône la souffrance et favorise la malfaisance (dans le texte : les méchants) autant que sa morale sexuelle.
Sixième preuve :
Le christianisme soutient « la tyrannie des grands », dénoncée au travers d’une critique serrée de la noblesse, de la monarchie, du clergé et de l’ordre social de l’Ancien Régime, comme le sont également l’inégalité causée par l’appropriation privée et d’autres injustices comme l’indissolubilité des mariages.
Septième preuve :
Derrière « la fausseté même de l’opinion des hommes touchant la prétendue existence des dieux », c’est tout particulièrement la démonstration que la matière est incréé et a d’elle-même son propre mouvement qui est envisagée au travers d’une critique serrée des arguments cartésiens (ceux de Fénelon et de Malebranche) et de la construction d’une théorie matérialiste conséquente, mais aussi la mise en évidence d’imperfections et du mal qui ne peuvent décemment être attribués à un « Dieu tout-puissant » et « infiniment bon ».
Huitième preuve :
Sous la critique de la « fausseté même de l’opinion que le hommes ont de la spiritualité et de l’immortalité de leurs âmes », c’est une théorie à la fois matérialiste et anticartésienne de la pensée et de l’ « âme » comme « modifications de l’ « être composé de matière » qui est proposée, entre autres dans l’opposition à la théorie des « animaux machine ».
Bien sûr, ces détracteurs vont pérorer sur le fait qu’un curé « athée » a préféré conserver son ministère plutôt que de cracher son hostie… Que c’est à vomir… Meslier, un anorexique du courage, une demi portion hédoniste de ses propres privilèges ?
Un hypocrite ?
Que nenni !
Laissons l’épitaphe pousse-café à Roland Desné qui préface ce livre, ainsi la boucle sera bouclée : « Osons le dire, Meslier n’est pas resté prêtre malgré ses idées, mais à cause d’elles ».
En effet, à cette époque là, comment aurait-il pu rester proche de la source ecclésiastique (pour l’analyser) en se défroquant ? Comment aurait-il pu rester proches des ses « chers amis » en fuyant ses responsabilités ?
A ajouter au menu de votre bibliothèque et à dévorer sans modération…
Lire Jean Meslier, Curée et athée révolutionnaire. (Introduction au Meslièrisme et extrait de son œuvre). Edition Aden dans la collection « Opium du peuple »
Jean-François Jacobs
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