L’Islam, cette cause d’angoisse
En consultant mon profil Facebook, je suis tombé sur ce statut qui m’a amusé :
Ce statut m’a amusé parce qu’il m’arrive aussi, tout comme Sara, de croiser de temps en temps des personnes qui partagent cette même obsession. Je devrais plutôt dire la même angoisse, car à discuter avec elles, je trouve qu’il est finalement assez difficile de cerner l’objet exact de leur peur.
S’agit-il d’une peur de l’Islam ? J’en doute car rares sont parmi ces personnes celles qui ont une réelle connaissance de cette religion, des traditions et des courants multiples qui l’irriguent.
S’agit-il d’une peur des musulmans ? J’en doute aussi car peu d’entre elles fréquentent dans leur quotidien des membres (pratiquants ou non) de cette religion.
Je crois plutôt que l’angoisse s’appuie sur une triple confusion :
- la confusion de l’Islam (la religion) avec l’Islamisme (l’instrumentalisation politique de l’Islam) ;
- la confusion entre les musulmans et les arabes (tous les musulmans ne sont pas arabes) ;
- la confusion entre les musulmans et les étrangers (comme s’il était impossible d’être musulman et de nationalité française).
Cette triple confusion conduit à opérer des associations d’idées dévastatrices du style :
Islam = musulmans = arabes = étrangers = barbus = charia = terrorisme = lapidation et excision = repli = non assimilation = danger.
Progressivement, à cause de l’actualité du moment, l’idée d’une dangerosité spécifique à l’Islam se propage un peu partout en Occident.
Certains essayent de la trouver dans les sourates du Coran et les hadiths. D’autres, de façon beaucoup plus délirante, tentent d’en voir la marque dans les « rues arabes » (*).
Bref, l’Islam est volontairement réduit à ses formes intégristes et à son incompatibilité prétendue avec l’Occident.
Ses aspects obscurantistes sont systématiquement mis en avant.
Beaucoup de gens estiment qu’il est contraire à la démocratie et à la laïcité.
L’Islam est volontiers désigné comme un élément extérieur à la société occidentale. Il n’est pas rare qu’on lui oppose « l’identité chrétienne » de l’Europe ou encore la liberté de penser qui, entend-on parfois, serait une caractéristique propre à la civilisation occidentale. On esquive. Une fois de plus.
Or, les interactions ont été nombreuses entre « la terre d’Islam » et ce que l’on appelle « la chrétienté ». Je ne parle pas des guerres, des invasions, des croisades et de tout ce qui est généralement repris dans les livres d’Histoire. Je veux parler bien sûr des interactions positives, notamment des influences intellectuelles, celles dont on ne parle quasiment jamais.
Il faut ainsi rappeler que les intellectuels musulmans ont recueilli, traduit et commenté les textes grecs (philosophiques et scientifiques) que l’Occident chrétien avait perdus ou interdits. Ce travail de redécouverte, c’est la falsafa (la philosophie islamique fondée sur l’héritage de l’Antiquité classique).
Aristote, Platon, Pythagore, Empédocle, Galien, Proclus, pour ne s’en tenir qu’à ces quelques exemples, ont été redécouverts en Occident, au Moyen Age, via le travail des intellectuels musulmans tels que al-Kindi (dit Alchindius), al-Farabi (dit Alpharabius), ibn Sinā (dit Avicenne), al-Rāzi, ibn Bādja (dit Avempace), ou ibn Rouchd (le célèbre Averroès de Cordoue).
Le cas d’Averroès est intéressant.
Profondément influencé par la lecture d’Aristote, Averroès considère que le Coran s’adresse à tous les hommes, aussi bien à ceux qui raisonnent qu’à ceux qui se contentent d’en suivre les préceptes sans aucune distance critique.
Il en déduit qu’on peut lire le Coran en philosophe et qu’on a donc légitimement le droit de l’interpréter et de le commenter.
Bien plus encore, Averroès de Cordoue a été l’un des premiers intellectuels à faire une distinction claire entre la foi et la raison et à postuler l’existence d’un intellect commun à tous les hommes.
Cette séparation entre la foi et la raison (ou la connaissance) a eu pour effet politique de populariser l’idée de la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel (sur laquelle repose la laïcité contemporaine).
Cette idée de séparation a provoqué une vive réaction en Occident parmi les Docteurs de l’Eglise.
Guillaume d’Auvergne, Henri de Gand, Alexandre de Hales, saint Bonaventure, Vital du Four ou le pétaradant Raymond Lulle (la liste n’est nullement exhaustive) se sont inscrits contre cette culture aristotélicienne transmise par les intellectuels musulmans.
Tous se rattachaient à l’enseignement théocratique de saint Augustin et critiquaient le principe d’un intellect commun. Tous refusaient, d’une part, la séparation entre la foi et la connaissance et, d’autre part, la séparation entre le temporel et le spirituel.
Cependant, malgré les critiques, malgré les menaces des bûchers et les excommunications, de nombreux penseurs chrétiens furent influencés par les différents apports de la « falsafa ». Je citerai par exemple Boèce de Dacie, Siger de Brabant, Jean de Jandun, saint Thomas d’Aquin, Marsile de Padoue, ou Pietro d’Albano (là aussi, liste non exhaustive).
En assurant la diffusion des auteurs grecs, les penseurs musulmans ont permis à l’Occident de se réapproprier ce patrimoine philosophique.
En même temps, la philosophie grecque a favorisé, au sein même de l’Islam, l’émergence d’une démarche critique et le goût pour le commentaire et l’exégèse des textes sacrés.
Il ne faut jamais l’oublier surtout quand on prétend analyser le présent.
(*)« La rue arabe » selon Cassandre
Ce texte, publié initialement sur un forum, et diffusé par Didier Goux est à lire. Pour rire ou pleurer selon votre humeur. C’est en tout cas un bon exemple de racisme camouflé sous les oripeaux d’une prétendue observation « ethnologique ». La condescendance et la connerie de l’auteur (à moins qu’il ne s’agisse d’angoisse ?) suintent à chaque phrase. « En Occident, et tout particulièrement en France, la rue citadine a toujours été un lieu d’étonnements et de découvertes, un lieu de plaisir et de spectacle, un lieu d’échanges et de mélanges où hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres, compatriotes et étrangers, sont heureux de se côtoyer et le font paisiblement ; bref, un lieu civilisateur (sic) par excellence. La rue arabe, hormis aux heures de marché, et dans certains hauts lieux du commerce (sic), est tout le contraire : un désert, un désert d’hommes (que les messieurs du forum m’excusent). Un désert d’hommes ou ceux-ci ne semblent être là que pour patrouiller, imposer une sorte de sinistre couvre-feu, comme si le pays était en guerre. Et de fait il l’est, en guerre : contre tout ce qui est “autre”, différent, nouveau. » On y retrouve bien entendu la fameuse confusion entre « arabe » et « Islam » : « La rue arabe, à l’image de l’islam (sic), n’est pas un lieu d’échanges civilisateurs mais un lieu de rapports de forces insidieux, permanents et mortifères où les très jeunes mâles aiguisent leur virilité et trompent leur ennui en démolissant ce qui peut être démoli et en insultant tous ceux et celles qui peuvent être insultés sous le regard indifférent des adultes. »
Il n’ y a rien à espérer et il n’y a rien de bon à attendre de « la rue arabe » qui obéit à une sorte de déterminisme mystérieux. Cassandre la bien nommée préfère employer le mot d’archétype : « On me dira qu’il s’agit d’un archétype qu’on ne trouve pas forcément dans tout le monde arabe ; mais tout le monde arabe, ou presque, tend vers cet archétype (sic) ».
Il faut dire en effet que la rue occidentale – et singulièrement « la rue française » – est un « lieu civilisateur par excellence » : comme nous le savons tous, on n’y rencontre que des êtres civilisés qui ne sont jamais pressés lorsqu’ils vaquent à leurs occupations. Ces derniers ont toujours un « bonjour » aux lèvres, un sourire aimable pour le quidam qu’ils croisent ou encore une main tendue pour les gentils SDF. Dans « la rue française », les personnes handicapées s’y promènent aussi dans le plus grand confort sans crainte de se faire écraser par des automobilistes toujours affables. On n’y verra jamais une femme se faire siffler ou importuner par un mâle en rut. Petits ou grands, jeunes ou vieux, tous vont et viennent dans la « rue française » en mode Amélie Poulain en toute sécurité (sauf bien sûr, dirait Cassandre, lorsqu’ils ont la malchance de croiser un méchant arabe échappé d’une mosquée clandestine de la cité voisine). Le malheur de « la rue française », c’est « la rue arabe ». Bon sang mais c’est bien sûr !
En suivant le raisonnement puant de Cassandre, je me dis que la singularité inquiétante de « la rue arabe » en cette fin 2010 n’a décidément d’égale que la singularité de « la rue juive » en 1941.
Laissons parler un autre « ethnologue » (vidéo sur le site de l'INA).
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