Le pape François et la simplicité volontaire
D’entrée de jeu, il a annoncé la couleur : il et François. Comme dans François d’Assise, qui est l’archétype de la simplicité volontaire… Tout le monde a su bien vite qu’il voyageait en métro et qu’il menait une vie spartiate. Puis il a refusé une cape en hermine qu’on lui offrait pour qu’il ait cet air des grands rois, refusé aussi de porter les mules rouges traditionnelles du pontificat, signifiant que ses souliers à lui sont faits pour voyager et non pour être montrés du haut d’une chaise à porteur. « Le carnaval est fini » a simplement dit François… Le pape de la simplicité volontaire vient d’arriver.

L’Église a seulement compris que la richesse est devenue totalement symbolique, s’imprimant en billets de monopoly, ou apparaissant virtuelle en formules cabalistiques aux écrans d’ordinateurs d’un geste des banquiers ; elle ne repose plus que sur la force de l’Etat. La richesse n’est plus la source du Pouvoir, mais est devenue une simple conséquence du pouvoir, puisque le Pouvoir peut s’octroyer tout ce qu’il veut de cette richesse symbolique et virtuelle qu’il crée lui-même et dont la valeur ne dépend plus que de son arbitraire.
La richesse immense, exorbitante, est donc devenue triviale. Nul besoin de thésauriser ; on peut se contenter de posséder des sommes relativement modestes pour la consommation courante et, pour le reste, le Pouvoir crée selon les besoins autant de cette richesse monnaie qui n’est qu’un leurre, simple outil-prétexte pour indiquer qui a la propriété tranquille de toute richesse réelle, mobilière et immobilière, laquelle par un réseau dense de lois et de titres, de liens et de crédits soutenu par la force de l’État, appartient en fait à qui le pouvoir veut bien.
Dans ce contexte, être riche et surtout paraître riche est inutile, ridicule, vexatoire… Quand Gates ou Buffet donnent des dizaines de milliards de dollars, ce n’est pas par ascèse ; c’est qu’ils ont compris que l’argent n’est plus la source du pouvoir. Staline n’avait sans doute pas de compte en Suisse et je parierais que Castro n’en a pas non plus. Assurez-vous du pouvoir et le reste vous sera donné par surcroît. Le message de François 1er est que l’Église dénonce l’apparat et va renoncer à la richesse dont cette ostentation était le symbole. Il était temps…
L’Église va renoncer à la richesse, mais il n’est pas dit que l’Église veuille renoncer au pouvoir. Si la richesse n’est plus la source du pouvoir, où en est donc désormais la source ? Dans la force de l’État, nous l’avons dit, mais QUI dirige cette force ? CEUX QUI SAVENT. Le pouvoir et chacune de ses parcelles, à tous les niveaux, repose sur l’autorité que confère la confiance en celui qui sait. On obéit à celui qui sait, parce que la science et la technique, ont leurs exigences qu’on ne peut pas contester. C’est cette subordination progressive du capital – qui augmente sans cesse – à la COMPÉTENCE qui reste rare, qui est l’ultime conséquence de l’abondance qu’a apportée la révolution industrielle. C’est le grand changement de paradigme de notre époque.
On en a vu d’autres… Le but en est toujours que le rapport des forces change le moins possible… mais avec de nouveaux derrières posés sur les trônes. Ainsi, par exemple, remplacer la noblesse du sang par celle de l’argent, et le roi de droit divin, par la dictature d’une oligarchie de possédants jouant à la démocratie et feignant de se faire adouber par le peuple.
Le peuple ne sort jamais grand vainqueur de ces permutations qui font transiter le pouvoir d’une élite à l’autre, mais tous ceux qui aspirent au pouvoir n’ayant pas les mêmes intérêts ni les mêmes stratégies, il en résulte des batailles entre « ceux d’en-haut » qui sont la seule chance pour ceux d’en bas d’avoir un peu plus. C’est cette zizanie occasionnelle entre les forts qui permet à l’évolution de laisser les faibles monter d’un cran. Pas beaucoup, mais un peu… La Révolution française a ainsi permis un peu plus d’égalité, beaucoup moins de brutalité. Un petit progrès, mais un pas en avant.
Quand un petit progrès a donné tout ce qu’il peut, il faut faire un autre pas. L’humanité claudique ainsi vers un avenir meilleur. Maintenant, la gouvernance des petits roitelets banquiers oligarques ne répond plus aux besoins… ils ne sont plus obéis, ils se chamaillent et perdent le pouvoir avec l’autorité. Il faut un changement. On en tuera quelques uns, pour se soulager, mais surtout on les ruinera. De ce changement de paradigme est à naître un nouvel ordre social, une nouvelle hiérarchie des valeurs, une nouvelle classe dirigeante, celle des « experts »… Évidemment, il y a des résistances.
Il y a 60 ans qu’une classe de possédants capitalistes livre une lutte d’arrière-garde pour ne pas céder le pouvoir à une nouvelle élite de la connaissance/compétence. Elle s’accroche par divers moyens, la guerre, l’intrigue, la corruption, surtout, que rend irrésistible le poison de la consommation à outrance de biens matériels dont elle a fait le but absolu de la vie, manipulant l’éducation et l’Information pour que personne n’en doute.
Pas facile de choisir la simplicité, car on a mis la population en état d’hypnose, pour la faire courir comme un écureuil en cage sur sa roue, activant une noria qui produit aujourd’hui plus de dérisoire que d’essentiel… mais donne beaucoup de plaisir à une petite classe de psychopathes qui s’amusent à « commercer » au lieu de produire, gardant la majorité de la population dans l’indigence. C’est d’avoir créé cette addiction à la possession du futile et du superflu comme succédané à un véritable sens à la vie qui est le péché contre l’esprit qui ne sera pas pardonné aux capitalistes ni aux banksters.
Mais un état d’hypnose est précaire, surtout s’il doit voiler une vraie souffrance. Si la suggestion est brisée, ne serait-ce qu’un instant, il n’est pas facile de la remettre en selle. En quelques mots, le Pape François a rompu l’illusion. « Le carnaval est fini… » INSTANTANNÉMENT, les yeux se décillent et tout le monde a compris que limousines, mules de soie et Gardes Suisses ne font pas un Pape, mais le simple respect qu’il impose par son attitude, son message… et la parfaite adéquation de ce qu’il est et fait avec ce que la population veut qu’il soit et qu’il fasse.
Un mot, et un Pape en habit doré semble un anachronisme parfaitement ridicule. Tous les vêtements mordorés vont donc vite partir aux musées sous peine d’être accueillis par des quolibets. Pas seulement à Rome, mais partout. Pas seulement dans l’Église, mais dans tous les palais et palaces, où ce changement déjà bien engagé n’attendait que cet imprimatur.
On ne saurait surestimer l’impact de cet événement. Si Dieu lui prête vie, ce pape marquera sans doute l’Histoire comme aucun autre ne l’a fait. La composition du Collège des Cardinaux fera qu’aucun retour en arrière ne sera possible après lui. Et le plus probable est que le pouvoir de choisir le prochain pape n’appartienne même plus aux cardinaux, mais aux 5 000 évêques catholiques ou simplement chrétiens !
Choisir la simplicité volontaire, c’est détruire radicalement le consumérisme qui est la clef-de-voute de la société actuelle. C’est compléter la transition vers un monde où le pouvoir appartient aux experts plutôt qu’aux riches, en sciant la branche sur laquelle nous sommes assis… Ce qui se passe au Vatican s’inscrit dans cette perspective, car ceux qui scient la branche ont chacun leur plan pour ce qui viendra après … et l’Église a certes le sien…
Longue vie à François…. Mais n’oublions pas la face discrète du changement qui se produit. Un pape jésuite, c’est une manière de penser et de gérer controversée au sein de l’Église qui devient la façon de penser et de gérer de l’Église elle-même. Dans un monde où c’est la compétence – le capital humain – qui se substitue au capital traditionnel comme premier facteur de la production, les Jésuites représentent une force considérable. Un « brain trust » redoutable. C »est un coup d’État au Vatican. Pour le meilleur ou pour le pire.
On a parlé de complot des financiers pour mettre la main sur le Vatican ; possible, mais il serait simpliste de penser que les fils de Loyola sont contrôlés par Goldman Sachs. De connivence, peut-être, on verra par les gestes concrets que posera l’Église pour les déshérités ; mais à leur service ? Je ne le crois pas. Il faut plutôt s’attendre à une bataille d’influence féroce que gagneront les plus forts… mais et dont sortira pour les faibles un petit pas en avant vers la justice. Souhaitons que ce soit un grand pas…
Pierre JC Allard
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