Les caricatures de la discorde
Un journal danois, en l’occurrence Jyllands-Posten, a, au nom de la liberté de la presse et de l’expression, en vigueur en Occident et dans les pays démocratiques, publié le 30 Septembre dernier, 12 caricatures de Mahomet, le prophète de l’Islam.
Comme il fallait logiquement s’y attendre, cette attitude, jugée désinvolte, a provoqué une ire et un tollé général dans la communauté et le monde musulmans.
Dans un élan de solidarité, deux journaux, l’un norvégien et l’autre français, à la suite du journal danois, ont publié les mêmes caricatures incriminées. Un geste fort louable !
Pourtant, il est bien connu, que dans cette religion , toute représentation du fondateur est strictement interdite, dans le souci de prévenir et d’éviter tout culte dévoyé voué à une image, considéré à tort ou à raison comme de l’idolâtrie, fût-elle celle du messager. Plus qu’un interdit, c’est un dogme en Islam. Tout intellectuel digne de ce nom, à plus forte raison, un journaliste effectivement et correctement formé, est censé ne pas ignorer cet état de fait qui relève de la culture générale. Dans ce canevas, il aurait pu anticiper la réaction du monde musulman et éviter ainsi un autre sujet de désaccord entre l’Occident et l’Islam.
Sommés de présenter leurs excuses à la communauté bafouée, les caricaturistes et les journaux concernés se sont réfugiés derrière le principe sacro-saint de la liberté d’expression, l’un des acquis et piliers fondamentaux du monde occidental, et ont justifié leur démarche en arguant du fait que l’interdit islamique, frappant toute représentation du messager, ne concernait dans la pratique que les fidèles musulmans, et ne pourrait par voie de conséquence s’appliquer à eux, puisqu’ils ne sont pas musulmans, et que d’ailleurs ils n’avaient transgressé aucune loi de leur pays de résidence respectif, en publiant ces caricatures estimées outrancières.
Cette interprétation plus ou moins tendancieuse, plutôt que d’apaiser les esprits, a exacerbé les passions et les réactions des protagonistes.
Dans le sillage de cette logique boiteuse, on pourrait avancer l’argument aussi fallacieux que celui auquel il est fait allusion plus haut, que la liberté d’expression et la liberté de la presse, du moins vue sous cet angle, ne concernent dans ce cas que l’ univers occidental. Et que le prophète Mahomet n’en étant pas un élément, jusqu`à preuve du contraire, il va de soi que tout ce qui a trait à lui ne saurait être traité sur la base d’une liberté de presse et d’expression de conception occidentale. Pour abonder dans le même sens, on pourrait se demander depuis quand des non musulmans décident et définissent à qui doivent s’appliquer et à qui ne doivent pas s’appliquer les interdits religieux musulmans ?
D’ailleurs, dans l’univers historique et culturel danois en particulier, et occidental en général, auquel appartiennent les journalistes et les journaux incriminés, ce ne sont ni les thèmes ni les sujets qui manquent ou font défaut en matière de caricature !
Ainsi, en Palestine, dans la bande de Gaza, la représentation de l’Union européenne a été attaquée et fermée jusqu’à nouvel ordre par des manifestants enragés. Certains observateurs occidentaux s’en sont offusqués pour la juste raison que l’Union européenne octroie à l’autorité palestinienne une aide de plus de 500 millions d’euros par an ! Un prédicateur a insisté sur le fait que des excuses ne suffisent plus à laver l’affront dont sont victimes les musulmans, et a réclamé que soit tranchée la tête des mécréants s’étant rendus coupables de cette infamie, rappelant, s’il en était encore nécessaire, la « fatwa » dont fut victime en son temps l’auteur des tristement célèbres Versets sataniques, Salman Rushdie. A Jérusalem, les manifestants ont crié leur colère. Les drapeaux danois, norvégiens et français ont été piétinés et enflammés à Naplouse, en Cisjordanie.
En Indonésie, une foule en colère a attaqué le hall de l’immeuble dans lequel se trouve l’ambassade du Danemark. Les forces de l’ordre ont réussi in extremis à empêcher les manifestants de joindre l’étage supérieur où se situent les locaux de l’ambassade danoise.
En Irak, des manifestants ont scandé des slogans hostiles au Danemark.
Au Koweït et en Arabie Saoudite, pays alliés des occidentaux, le boycott des produits danois a été organisé en signe de protestation.
Au Pakistan, l’un des rares pays musulmans à posséder la bombe atomique, et à combattre le terrorisme de concert avec l’Occident, le Parlement a fermement condamné la publication et la diffusion des caricatures du prophète.
L’Iran, par la voix de son président Mahmoud Ahmadinedjad, a fustigé les journalistes responsables de cette « hérésie », et la foule a proféré des « mort à l’Amérique ! », « mort au Danemark ! ».
Même son de cloche en Turquie, candidat à l’entrée dans l’Union, ainsi qu’en Syrie, à Damas, où les bureaux des ambassades norvégiennes et danoises sont partis en fumée.
Au Liban à Beyrouth, la représentation diplomatique danoise a été mise à feu.
En Jordanie ainsi qu’au Qatar, pays arabo-musulman au régime modéré et aligné sur l’Occident, la foule a crié sa colère contre les « blasphémateurs ».Une réaction en chaîne aux effets imprévisibles, et destructeurs.
En Europe, emboîtant le pas à France Soir, dont le rédacteur en chef a été limogé à la suite de la publication des caricatures , des journaux italiens, espagnols, allemands et suisses sont entrés dans la danse en diffusant les dessins de la discorde.
Nous sommes ici en présence de la collision, à une échelle moindre, entre deux visions divergentes du monde, entre deux civilisations différentes, deux cultures diverses. Si on n’y prend garde, cette diversité et cette différence, plutôt que de constituer un enrichissement, risquent de devenir un facteur de division et d’antagonisme insurmontable.
Il n’est pas question de renoncer aux richesses inestimables que sont la liberté de presse et la liberté d’expression.
La vie en société est un exercice perpétuel de compromis et de renoncement pour sauvegarder la cordialité et la convivialité, la bienséance, la paix et l’harmonie. C’est pour cette raison hautement vertueuse que, dès lors que la pratique ou l’exercice du droit à la liberté d’expression pourrait entraîner des troubles graves et menacer l’équilibre mondial, blesser l’amour-propre, compromettre ou piétiner la dignité, il faut montrer sa grandeur d’âme en y renonçant, en n’y recourant pas. Faire preuve de « savoir vivre » ! La France est l’un des pays champions en la matière ! Et les discours apaisants du président de la République et du Premier ministre en constituent une preuve de choix, s’il en était encore besoin.
L’homme est assailli par de multiples idées virevoltantes et tentatrices ! Et parmi les hommes, les meilleurs sont ceux qui savent faire la part des choses entre ces mille et une idées et qui possèdent la force et la capacité de discernement !
L’Occident ne gagnerait rien à s’aliéner la collaboration des pays arabo-musulmans modérés et alignés sur son modèle.
Et qu’on se le dise, le monde ne sera jamais suffisamment civilisé, suffisamment évolué pour faire l’économie d’une guerre. Les prophètes de malheur qui ont prédit que la 3e guerre sera culturelle ou religieuse se frottent déjà les mains, car ils interprètent ce problème comme les prémices de la réalisation de leurs prophéties funèbres, comme ils l’ont fait pour un certain 11 septembre, qui ne cesse de brandir sa face hideuse à la surface de la planète. Cela alimente leur fonds de commerce.
Tout compte fait, on aurait pu faire l’économie de cette crise. Désormais, toutes les religions, sans exception, sont protégées contre les attaques de ce genre ; c’est une de ces lois non écrites, mais qui doivent incessamment rester à l’esprit.
Ainsi soit-il !
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