Les vérités des complotismes (1) : actualité de Ponce Pilate
On ne va pas tou(te)s les aborder ici, à se les réserver pour d'autres fournées. Mais que disent nodalement les complotismes, sur l'imaginaire collectif ?
Ce sera leurs vérités bien à eux, leurs vérités vraies, à défaut d'en proposer quant à eux.
« Et si tu regardes suffisamment longtemps dans l'abîme, l'abîme regarde en toi. » disait Nietzsche.
Or, pour bien commencer, les complotismes ont ceci en commun qu'ils prétendent tous avancer des vérités vraies, voire la vérité vraie. Mais pourquoi faut-il insister ainsi pléonastiquement avec la redondance substantive-adjective du nom vérité et de sa qualification vraie ?…
Il faut y insister parce que l'époque est au véritarisme. Sur ce point, encore un combat que les complotistes ont en commun avec les conformistes : le Zeitgeist réel veut cela. S'opposer à du (pré)(sup)posé, c'est avoir besoin qu'existe ce (pré)(sup)posé, pour exister soi-même comme opposition : « les opposés s'attirent »… Ainsi, il ne faudrait jamais s'opposer mais toujours s'apposer – et c'est bien ce qu'on comprit les épicheirocrates (les affairistes, si vous préférez, fonctionnant plus ou moins en cartels).
Bref, il y a dans les complotismes quelque chose qu'il n'y a pas dans les choses largement diffusées : la prétention de détenir quelque vérité vraie, encore que les choses largement diffusées aient pour elles le pouvoir – pouvoir, qui peut se passer de vérité, du moment qu'il a l'effectualité du véritarisme commun. Et ça marche : peu importe comment ! puisque ça marche… en tout cas c'est ainsi que nul ne songe bien à penser, épicheirocrate ou non, bien que ce soit lâche.
La vérité effectuelle n'a pas besoin d'être vraie, du moment qu'elle est ce qu'elle est, c'est-à-dire une forme de vérité. Le commun des mortels n'en a pas intrinsèquement besoin d'autres, bien qu'il ne soit pas interdit d'en chercher d'autres – à condition bien entendu, qu'il s'agisse de vérités.
« Pilate lui dit [à Jésus le Nazôréen, juif messianique] : Qu'est-ce que la vérité ? Après avoir dit cela, il [Ponce Pilate] sortit de nouveau pour aller vers les Juifs, et il leur dit : Je ne trouve aucun crime en lui [Jésus le Nazôréen, juif messianique]. » - Jean 18-38, trad. Louis Segond
Tout l'enjeu civilisationnel est là, du moins dans les mondes chrétiens et post-chrétiens qui dominent largement la Terre, mais à vrai dire aussi pour les autres, car Ponce Pilate est polythéiste romain, et résume à lui seul les possibilités de sortir la tête de l'eau. En effet, tandis que Jésus le Nazôréen, juif messianique, est présenté par les évangiles pour un prétendant à la vérité dans l'absolu (vérité religieuse particulière, en faits) Ponce Pilate témoigne d'abord en faveur d'un heureux scepticisme.
Puis, rendant compte de son interrogatoire à d'autres prétendants à la vérité dans l'absolu (autre vérité religieuse particulière, en faits), Ponce Pilate n'y voit aucun problème, car il n'y a aucun danger pour la vérité effectuelle – qui est le pouvoir sociopolitique romain.
Bien que voyou, ce Jésus le Nazôréen, juif messianique, futur principe occidental de nature géostratégique… singulier succès… et bien, bien que voyou, ce Jésus ne mérite pas le foin qu'en font ces fouineurs de pharisiens, archétypes du jésuite et de la charia.
Et tout ceci n'aurait philosophiquement rien donné, si ça n'avait pas été brassé par le plotinisme quelques siècles plus tard, depuis la surévaluation de Socrate par Platon et l'assimilation de Socrate à Jésus.
Le débat quant à la (aux) vérité(s) et la confusion de leurs genres, soulève toujours les cœurs. Le véritarisme est partout, qui est une course à la vérité en s'en prétendant, à travers des vérités concurrentes parfois contradictoires, parfois complémentaires, et généralement (en faits) disparates et hétérogènes.
Étant donné que personne ne s'exprime depuis la même perspective, ni dans la même dynamique, ni avec la même maîtrise de son expression (et de l'expressivité en général) tout se passe en forme de cacophonie où in fine c'est le statu quo qui demeure, c'est-à-dire la perpétuation des forces en présence.
Ça bourdonne dans les ciboulots – quand ils sont seulement capables d'y entendre quelque chose ! – raison pour laquelle tout le monde est fatigué d'y songer, et s'arrange relativement de la vérité effectuelle : celle qui arrange le pouvoir.
Or, des complotistes auront beau jeu de prétendre que la cacophonie bourdonnante et fatigante, fait partie de la stratégie des pouvoirs pour qu'on en reste là, qu'ils ne feront que contribuer à cette cacophonie bourdonnante et fatigante, à travers leurs usages de médias personnels et/ou à peu près personnalisés.
En matière de vérité(s) comme ailleurs, il y a les extrémistes, et il y a les légitimistes. Ou, si vous préférez, les séparatistes et les fascistes… Mais on découvre alors très bien, que le seul problème dans l'affaire, c'est l'essence de la vérité, de définir ce qu'est une vérité essentielle (et ce n'est pas la même chose que l'essence de la vérité), et s'il y a seulement quelque chose d'essentiel en la ou les vérité(s) !…
Question qui peut sembler aberrante, tant nous désirons le vrai par peur de (nous) tromper, sachant qu'actuellement cette peur angoisse nos libertés au point qu'on y place des enjeux vitaux… sans parler de toutes ces petites ou grandes vérités sur lesquelles on préfère garder le secret, afin de nous procurer de petits et grands pouvoirs, dans la vie !
Des complotistes arguent donc d'un secret pour un immense pouvoir de la part des autorités (en quoi ils charrient avec eux toute la lie n'ayant pas géré son complexe d’œdipe, c'est-à-dire tous ceux qui ont un sombre problème avec leur père et un fallacieux amour pour leur mère…) … mais des complotistes inventent aussi des secrets en gardant eux-mêmes le secret sur leur invention, pour se donner du pouvoir sur des communautés plus ou moins internautiques. Ça peut aussi être rentable, et ça s'est toujours appelé du charlatanisme.
De Jésus le Nazôréen, juif messianique qui prétend détenir la vérité dans l'absolu au nom du pouvoir ultime de son dieu, et Ponce Pilate, antique gouverneur romain de la Judée, faisant preuve de scepticisme parce que son pouvoir reste intact, qui a raison ?
La réponse à cette question est évidemment inacceptable pour tous ceux qui ont besoin de gages d'assurance à défaut de confiances en soi : l'un et l'autre, ni l'un ni l'autre, l'un par l'autre. Ou bien, dit avec un bon vieux dicton : en matière de vérité(s), nous n'avons aucun choix : il faut tomber de Charybde en Scylla, ou bien sombrer dans la folie, sachant que tomber de Charybde en Scylla en a rendu et en rendra fous plus d'un.
C'est la raison pour laquelle Désiré Érasme de Rotterdam écrivit un Éloge de la Folie, à conseiller dans les écoles, les études, et sur les chevets. Car « c'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous ».
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